Si l’unanimité est faite sur le dangereux surendettement des pays en développement depuis l’avènement de la pandémie du coronavirus, la solution pour soutenir ces Etats et assurer la sécurité financière mondiale peine à mobiliser toutes les voix. En faveur d’une refonte du système financier qui pressure les prêteurs, les empêchant d’investir dans les services vitaux, la Conférence des nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced) lance un appel afin d’éviter une crise généralisée de la dette.
Sylvestre TCHOMAKOU
Résultant de la pandémie de COVID-19, la dette souveraine extérieure des pays en développement, représentant les fonds empruntés en devises étrangères, a enregistré une hausse significative de 15,7 %, atteignant ainsi 11 400 milliards de dollars à la fin de l’année 2022. La complexité de cette augmentation réside dans la diversité des prêteurs et des instruments financiers utilisés. Parallèlement, l’augmentation des coûts liés au service de la dette suscite une inquiétude tout aussi alarmante. Les pays à faible revenu et à revenu intermédiaire inférieur, souvent désignés comme « marchés frontières », qui ont contracté des emprunts à des taux d’intérêt bas et dans un contexte d’enthousiasme des investisseurs, consacrent désormais environ 23 % et 13 % de leurs recettes d’exportation respectives au remboursement de leur dette extérieure. Cette proportion est considérée comme élevée, notamment en comparaison avec l’après-Seconde Guerre mondiale, où l’Allemagne de l’Ouest a plafonné la part de ses recettes d’exportation dédiée au service de la dette à 5 % pour contribuer à sa reconstruction. Confrontée à cette pression croissante sur les pays en développement, la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (Cnuced) souligne dans son dernier rapport l’urgence de réformer l’architecture de la dette mondiale afin de prévenir une crise généralisée de la dette dans ces nations. Anastasia Nesvetailova, chef du service des politiques macroéconomiques et de développement à la Cnuced, insiste sur la nécessité d’agir immédiatement, soulignant que « le coût de l’inaction est trop élevé ».
Selon le rapport, l’augmentation des coûts liés à la dette entrave l’allocation de ressources publiques cruciales au développement. Près de la moitié de la population mondiale, soit environ 3,3 milliards de personnes, réside dans des pays qui consacrent davantage de fonds au remboursement des intérêts de leur dette qu’à des secteurs essentiels tels que l’éducation ou la santé. La situation décrite est qualifiée d’insoutenable, et Anastasia Nesvetailova souligne qu’« alors qu’une crise systémique de la dette se profile à l’horizon, dans laquelle un nombre croissant de pays en développement passent de la détresse au défaut de paiement, une crise du développement est déjà en cours.».
Un cycle de vie de la dette souveraine en cinq étapes
En vue d’analyser et d’améliorer l’architecture de la dette mondiale, le rapport propose un cycle de vie de la dette souveraine en cinq étapes. Ces étapes incluent l’endettement, l’émission d’instruments d’endettement tels que les obligations et les prêts, la gestion de la dette, le suivi de la viabilité de la dette, et, si nécessaire, la restructuration ou la renégociation des conditions de la dette. Penelope Hawkins, chef du service de la dette et du financement du développement de la CNUCED, souligne la nécessité d’une réflexion nouvelle et créative à chaque étape du cycle de la dette, ainsi que de nouvelles approches pour surmonter le fossé persistant entre les solutions statutaires et contractuelles.
Recommandations et politiques proposées
Le rapport de la CNUCED propose un ensemble de recommandations visant à réajuster la structure de la dette mondiale en tenant compte des besoins des nations en développement. Une recommandation clé préconise d’accroître les prêts concessionnels, caractérisés par des taux d’intérêt plus bas et des délais de remboursement plus longs, ainsi que les subventions. Cette augmentation pourrait être réalisée en renforçant le capital de base des institutions bancaires multilatérales et régionales afin d’augmenter leur capacité de prêt. Une autre mesure pour mobiliser des financements concessionnels consiste à émettre des droits de tirage spéciaux (DTS), une forme de monnaie internationale émise par le FMI pour permettre aux pays membres d’augmenter leurs réserves monétaires en les échangeant contre des devises nationales selon leurs besoins. Accroître la transparence des conditions de financement est également crucial. Le rapport suggère que la réduction de l’asymétrie des ressources et de l’information entre les emprunteurs et les prêteurs, associée à des mesures législatives dans les pays prêteurs, peut dissuader les pratiques de prêt prédatrices. Hawkins souligne que la transparence va au-delà de la simple divulgation de données, impliquant un engagement envers la construction d’une architecture financière mondiale juste et responsable pour tous. D’autres recommandations portent sur l’extension de l’accès des pays en développement aux devises étrangères par le biais des banques centrales, ainsi que sur le renforcement de leur résilience face à une crise extérieure grâce à des règles de suspension des obligations des débiteurs. Ces règles pourraient inclure des clauses sur la dette prenant en compte l’impact climatique, permettant ainsi de suspendre les remboursements de la dette et offrant un répit pour la gestion de la crise.