Le processus des pays de l’Union économique et monétaire de l’Afrique de l’ouest (Uemoa) vers le passage de l’utilisation du franc CFA vers l’Eco a reçu un véritable coup de fouet, il y a quelques jours. En visite à Abidjan, le français a annoncé, le samedi 21 décembre 2019, la fin imminente du franc CFA. Toutefois, cette mutation se fait-elle dans les règles de l’art ? Analyse de l’ex ministre de l’Industrie et des petites et moyennes entreprises entre 1998 et 2001, professeur John Igué.
Nafiou OGOUCHOLA
« L’Eco verra le jour en 2020, je m’en félicite ». C’est par ces mots que le chef d’Etat français a confirmé le nom de la monnaie commune qui doit remplacer le franc CFA dans huit pays francophones de l’Afrique de l’Ouest. Il a acté cette « réforme historique majeure » avec son homologue ivoirien Alassane Ouattara, qui a détaillé l’accord conclu entre les huit pays qu’il représentait (Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal et Togo) et la République française.
Le président en exercice de l’Uemoa, Alassane Ouattara, a indiqué que la réforme comprenait, outre le changement de nom, « l’arrêt de la centralisation de 50% des réserves » des pays concernés au Trésor français et le retrait de la France des « instances de gouvernance dans lesquelles elle était présente ». « Le franc CFA a été un outil essentiel », mais « nous devons entreprendre des réformes encore plus ambitieuses afin de consolider notre dynamique de croissance, préserver le pouvoir d’achat de nos populations », a confié le président ivoirien.
Le risque de la gabegie, selon John Igué
Le directeur technique du Laboratoire d’analyse régionale et d’expertise sociale (Lares), un centre de recherche indépendant basé à Cotonou, John Igué, avait, par le biais d’un entretien, abordé le problème du processus à mettre en œuvre pour aboutir à une monnaie unique forte et source de développement durable des Etats de l’Afrique de l’ouest. « … pour que cette monnaie unique soit forte, il faut que ça s’adosse derrière un Etat. Parce que si l’Euro marche aujourd’hui, c’est l’Allemagne qui y a mis toute sa fortune, toute sa force économique et sa rigueur de gestion. Donc il nous faut un Etat comme ça qui se porte garant pour gérer la monnaie unique sinon ça va être de la gabegie. Or on n’a pas encore trouvé cet Etat ; ce n’est pas qu’il n’en existe pas. On n’y a pas encore pensé ; si on y pense on va en trouver », avait renseigné John Igué.
De même, le problème de l’implication de l’ensemble de la communauté ouest-africaine dans le processus de changement du franc CFA en Eco peut être source de difficultés futures, selon le professeur agrégé de géographie à l’Université nationale du Bénin, actuelle Université d’Abomey-Calavi. « … j’ai déjà fait cette conférence au sommet de l’Uemoa mais les gens ne m’ont pas écouté et je leur dit qu’une monnaie n’est pas seulement une question administrative. Or l’argument que les gens qui utilisent le franc CFA avancent est essentiellement administratif. Vous ne pouvez pas avoir 30% et vous imposez aux 70% qui restent… Il n’aura pas de parité entre l’Eco et le Franc CFA dans la monnaie CEDEAO unique là. Les anglophones n’accepteront jamais ça, voilà ce qui se passe. Ça c’est des informations que je vous apporte en tant que journaliste vous pouvez vérifier ça. C’est Macron qui a appelé Macky Sall et Ouattara pour dire que depuis qu’il est arrivé au pouvoir, il y a eu beaucoup de contestations sur le franc CFA. Que lui ne peut pas ne pas anticiper sur le problème que les gens posent et comme anticipation il suggère de proposer la transformation du franc CFA en Eco dans le cadre de la monnaie unique ; puisse que c’est comme ça on a décidé d’appeler cette monnaie depuis des années. Au lieu que Macky Sall et Ouattara aillent discuter avec leurs pairs, depuis Paris ils font une déclaration et dans la perspective de la monnaie unique ils ont proposé que le franc CFA devienne Eco. Sans discuter avec Macron des modifications, des règles qui lient le franc CFA à la France monétaire. Or le Nigéria fait 70% des économies de la sous-région. Voilà où on en est aujourd’hui. Et je trouve que Buhari a raison parce que j’ai déjà dit ça dans l’interview qu’on m’a accordée », a-t-il renseigné.
Pour finir, John Igué a confié : « Ce sera très difficile à tous les quinze Etats membres de la CEDAO d’arriver à trouver cette convergence ; parce que c’est un exercice extrêmement difficile lié à la conjoncture internationale et régionale qu’on n’arrive pas toujours à maitriser ; comme par exemple l’abondance des pluies au moment où les paysans ont besoin d’avoir une seconde saison sèche. Donc il y a beaucoup de choses qui faussent votre équilibre macroéconomique. Donc la convergence macroéconomique est un principe mais très peu d’Etats peuvent l’avoir, je ne sais pas si je me suis fait comprendre. Donc la création de la monnaie est un acte essentiellement politique. Aucun pays n’a créé la monnaie sur la base de la convergence macroéconomique. Mais si on fait cet acte économique il faut s’assurer de deux choses, qu’on dispose d’une économie qui permet de distribuer la monnaie et une institution forte que les gens vont respecter ».