Quels sont les faits marquants dans le domaine du développement en 2023 ? Et que peut-on attendre de 2024 ? Thomas Melonio, économiste et directeur exécutif Innovation, stratégie et recherche à l’AFD, répond à ces préoccupations. Interview.
Que faut-il retenir de l’année 2023 dans le domaine du développement ?
Deux choses m’ont particulièrement marqué. La première, c’est la réflexion très active sur le sens même de la politique de développement et ses modalités. Nous avons organisé en France le sommet pour un Nouveau pacte financier mondial, au moment où une forme de clivage Nord-Sud se créait. La tension était forte en lien avec le durcissement des conditions financières dans les pays en développement, mais aussi avec l’intensification des conséquences du changement climatique. Ce sommet a permis de travailler sur des solutions pour résoudre ou réduire le risque de fracture entre les pays disposant de monnaies fortes – États-Unis, Europe, Chine, Japon, Royaume-Uni… – et le reste du monde, en agrégeant des formes d’innovation financière ou des financements additionnels, notamment via les banques publiques de développement.
Deuxième fait marquant, la poursuite en 2023 de la fragmentation géopolitique, en lien d’abord avec l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Les pays pauvres ont subi l’année dernière l’inflation des biens alimentaires, des engrais, de l’énergie, qui a amené à une rechute dans la pauvreté et une détérioration des conditions de vie. Sur le plan diplomatique, quelques gouvernements se sont alignés de manière très forte derrière la Russie, affichant une forte hostilité politique dans leurs discours publics, et c’est l’une des raisons pour lesquelles l’activité de l’AFD a été fortement impactée au Sahel. L’intensification de la crise au Proche-Orient est aussi non seulement un drame humain pour toutes les victimes civiles, mais aussi un fait géopolitique. A contrario, nous avons observé une forte demande de la France dans différents pays (Moldavie, Ukraine, Mongolie, Papouasie-Nouvelle-Guinée…), ce qui démontre d’ailleurs la pertinence d’un mandat géographique large pour notre Groupe.
Parmi les grands événements de l’année, il y a bien sûr la COP28, avec cette forte tension autour des énergies fossiles, un sujet qui, compte tenu de la localisation de la conférence, ne pouvait être passé sous silence. Ce qui est intéressant, c’est qu’il a été débattu et que la COP s’est achevée sur un mandat ouvert de réduction de l’usage des fossiles, donc un mandat d’action. Nous entamons désormais une séquence qui doit s’achever en 2025 à la COP au Brésil, qui conduira à une nouvelle discussion sur les objectifs de la finance climat et probablement sur les émissions de gaz à effet de serre. Nous serons aussi dix ans après le lancement des Objectifs de développement durable (ODD), et ce sera un moment de remobilisation pour leur financement.
Il y a aussi eu en 2023 pour l’AFD un Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (Cicid), dont le rôle est de définir la politique française d’aide au développement.
Oui, suite au sommet pour un Nouveau pacte financier mondial, la France a voulu transcrire ses grandes orientations dans sa politique d’aide au développement. Le Conseil présidentiel pour le développement et le Cicid ont avancé dans la même temporalité pour donner à l’AFD un cadre rénové d’action. Notre volonté est d’être encore plus innovant dans notre offre de financements, notamment pour le climat. De nouvelles modalités de pilotage vont aussi nous donner plus de souplesse pour répondre à cette demande. Par exemple, l’argent de l’État français que nous utilisons sous forme de don ou de bonification de taux d’intérêt ne sera plus seulement orienté vers une liste devenue trop restreinte de pays pauvres dits prioritaires : nous allons consacrer la majorité de l’effort budgétaire aux pays les moins avancés, ainsi qu’aux plus vulnérables, notamment au changement climatique.
À quoi peut-on s’attendre en 2024 ?
Une actualité importante pour nous, c’est la nouvelle stratégie qui se prépare à l’échelle du Groupe. Elle sera fondée très largement sur les défis qui sont apparus ou qui ont été confirmés en 2023. Si on veut se mettre « du côté des autres », c’est parce qu’il y a un risque de fracture ou de distanciation Nord-Sud. Nous souhaitons réduire cet écart, à notre niveau, en ayant pour nos partenaires et clients une plus grande attention et une offre qui permette le plus possible de répondre aux besoins tels qu’ils nous sont exprimés. Nous voulons toujours proposer des solutions qui font avancer un ou plusieurs ODD, sans en faire reculer d’autres. Car le système financier soutient souvent des projets dans lesquels une finalité estimable est atteinte, mais au détriment d’une ou deux autres. Nous voulons avoir des impacts importants, mais dans un ensemble de qualité. Notre avis de développement durable, l’outil de validation des projets, est de plus en plus axé sur des normes internationales comme celles de l’OCDE, ce qui nous donne un cadre de pilotage cohérent. Nous travaillons aussi à des normes de finance durable plus solides.
En 2024, un nouveau sommet Finance en commun devrait avoir lieu, cette fois en Chine. On ne peut pas aujourd’hui travailler sur le climat, la biodiversité, la finance durable ou l’endettement sans échanger avec la Chine. Nous voulons aussi contribuer à ce que les Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris soient des « JODD », des jeux durables permettant de réfléchir à des sujets comme l’inclusion et le lien social.
Comment faire pour rester optimistes dans un contexte international où les crises économiques, écologiques, humanitaires et diplomatiques s’enchaînent?
En étant combatifs ! Mais en se gardant de deux excès : penser que le passé était radieux et que l’avenir sera nécessairement l’éden. Tout n’allait pas mieux il y a 50, 100 ou 200 ans. Il y a des progrès, c’est vrai en France, mais encore plus dans le reste de l’humanité. On a tendance à penser que les défis du jour sont plus massifs que ceux d’hier. Bien sûr, nous avons à affronter le changement climatique, la fragmentation géopolitique, le vieillissement de nombreuses sociétés et des tensions sociales. Pour autant, lorsqu’on regarde en arrière, le XXe siècle a eu lui aussi son lot de défis !
Le début de la pandémie de sida, par exemple, avec une mortalité terrifiante et une absence totale de médicaments, était un drame terrible. Et elle reste un défi. Mais il y a aujourd’hui des solutions médicales, financières, qui ont permis de redonner de l’espoir et d’apporter des solutions efficaces. Cela a demandé beaucoup d’efforts, de prévention, de moyens de recherche, et ce n’est que sur une période d’une trentaine d’années qu’on a pu observer des résultats significatifs. Pour le climat, il s’agit aussi de long terme, si l’on considère que nous sommes encore dans les prémices d’une transition. L’ampleur des défis nous donne justement la force d’avancer et d’agir sur le temps long.
À l’AFD, nous sommes à la fois dans les défis du moment et dans l’anticipation de ceux de demain. C’est le sens que je donnerais au développement durable. Réduire les émissions de gaz à effet de serre sans accroître les inégalités, voire en les réduisant, par exemple, fait partie de notre travail. D’où, je crois, le besoin de combativité dans le temps long.
Source : AFD