Le Bénin est une terre bénie. Car, il dispose de beaucoup d’opportunités naturelles agricoles dont la production de l’anacarde. Mais, cette filière qui comporte tant de devises pour booster l’économie béninoise en dehors du coton, semble ne pas être une préoccupation principale.
LA FILIERE ANACARDE AU BENIN : EVITONS DE GACHER CETTE OPPORTUNITE
par Roland RIBOUX, Président Directeur Général de FLUDOR BENIN S.A.
Président du Conseil des Investisseurs Privés au Bénin
Animateur du Mouvement Cajou Demain
L’anacarde (communément appelé cajou) est un produit de l’agriculture dont l’intérêt économique ne cesse de croître dans le monde. La filière anacarde prend de l’importance dans certains pays tropicaux – asiatiques et africains – dont le Bénin où elle est l’un des piliers de développement à haute valeur ajoutée à promouvoir, dans le cadre du Programme d’Actions du Gouvernement.
Au Bénin, l’anacarde est la deuxième culture d’exportation après le coton. Son potentiel avéré, qui peut lui permettre de prendre très largement la première place, ne demande maintenant qu’à être révélé.
Depuis la mise en place du gouvernement du Président Patrice Talon, « on ne parle plus d’agriculture, mais on fait de l’agriculture ». C’est ce qu’a fait savoir récemment le ministre de l’agriculture, au cours d’une émission radiotélévisée, diffusée le 3 avril 2018 sur les antennes de la chaine publique, rappelant au passage les mécanismes qui ont déjà et doivent encore impulser l’essor de la révolution verte.
La Productivité de la filière anacarde, l’enjeu majeur pour le Bénin
L’économie contemporaine est caractérisée par sa globalisation et sa mondialisation ; le secteur de l’anacarde n’y échappe pas. De l’Inde à la Côte d’Ivoire et au Vietnam en passant par le Nigeria et autres, les concurrents du Bénin sur ce secteur sont nombreux, ambitieux et tous très déterminés.
En effet, la Côte d’Ivoire – leader mondial – produit annuellement 725.000 tonnes de noix de cajou brutes(NCB) et a décidé d’atteindre dans les deux prochaines années, le million de tonnes. L’Inde produit 650.000 tonnes de NCB et le Vietnam 325.00 tonnes. De leur côté, les planteurs nigérians attendent actuellement de leur gouvernement, trois millions de plants améliorés d’anacardiers pour un objectif de 500.000 tonnes de noix de cajou brutes d’ici 2020.
Le Bénin, quant à lui, a une production annuelle de noix de cajou brutes variant de 100.000 à 130.000 tonnes pour une superficie plantée estimée à près de 240.000 hectares, soit une productivité de 350 à 450 kg/ha, très loin de la moyenne mondiale qui se situe à 850 kg à l’hectare, certains pays dépassant les 1.000 kg/ha.
Face à ce constat, le gouvernement a pris deux décisions importantes : accroitre d’ici 2021 le verger de 60.000 hectares pour le porter à 300.000 hectares et faire grimper la productivité pour parvenir à une production de 300.000 tonnes de noix de cajou brutes par an, soit 1.000 kg/ha.
En atteignant l’objectif de 300.000 tonnes de NCB par an, dont 150.000 tonnes exportées brutes et 150.000 tonnes transformées localement, la filière anacarde présenterait un flux financier dépassant 300 milliards de francs CFA, un montant qui est presque le double du chiffre d’affaires de la filière coton sur la base d’une production de 450.000 tonnes de coton-graine, soit 170 milliards de francs CFA.
Cela donne une idée du rôle majeur que pourrait jouer la filière anacarde dans l’économie nationale. Le défi à relever par notre pays, celui de la productivité, n’est donc pas des moindres.
Heureusement, notre pays dispose aujourd’hui – comme ce fut le cas jadis pour le palmier à huile – des connaissances scientifiques pertinentes et des compétences techniques extrêmement qualifiées – pour relever le défi de la productivité.
Souvenons-nous que la Malaisie est devenue le leader mondial incontesté du palmier à huile à partir de semences provenant du centre de recherche de Pobé, dans le département du Plateau. Géographiquement plus près de nous, ce sont des recherches menées en 1923 à Niaouli, dans le département de l’Atlantique, qui ont contribué à l’essor de la caféiculture en Côte d’Ivoire et à la renommée du « Robusta ».
Actuellement, le potentiel génétique a été identifié par l’INRAB (Institut National de la Recherche Agronomique du Bénin) et, à travers le Centre de Recherches Agricoles (CRA-Centre), il a initié différentes techniques de plantations directes.
Etat des lieux et besoins
Le plan du ministère de l’agriculture pour réaliser les objectifs du Programme d’Actions du Gouvernement est d’accroitre de 60.000 hectares le verger d’anacardiers existant, soit 20.000 hectares par an de plantations nouvelles sur 3 ans, et de régénérer en partie le verger d’anacardiers en raison de l’état vieillissant de plus de 50% des plantations existantes.
Pour les nouvelles plantations
La première option est de fournir annuellement, sur la base de 100 graines à l’hectare et avec une marge de sécurité de 20%, plus ou moins 2.200.000 graines aux planteurs. Cependant (voir l’encadré), si le semi de graines est certes l’option la plus facile et la plus rapide à mettre en œuvre, elle est aussi la plus aléatoire et la moins performante au regard des résultats attendus.
Il faut donc se tourner vers la fourniture aux planteurs de matériel végétal amélioré en pépinières. Sur la base de 120 plantules à l’hectare, il s’agit d’avoir la capacité de mettre à leur disposition un total de 2.400.000 plantules par an (voir encadré).
Pour la fourniture aux planteurs de matériel végétal amélioré, on a recensé 39 pépiniéristes qui, en 2017, ont produit 77.000 plants, sur un besoin de 227.000. Il faut noter un taux d’échec très élevé puisqu’à peine 6 d’entre eux ont obtenus 80% de réussite, les autres ne dépassant guère 30 à 40%. Pour assurer la production de quantités de plants dont la filière anacarde à besoin, il conviendrait de mettre en place immédiatement cent nouveaux pépiniéristes produisant chacun 20.000 plants ou deux cents pépiniéristes produisant chacun 10.000 plants soit 2.000.000 de plants et de mettre à niveau, tant en nombre de plants qu’en taux de réussite, les 39 pépiniéristes existants afin qu’ils fournissent la quote-part restante.
En attendant que les pépinières nationales soient en régime de croisière, le Bénin devra impérativement se tourner vers des pays de la sous-région – Côte d’Ivoire et Ghana notamment – pour approvisionner sa filière anacarde en plantules.
Cela est d’autant plus nécessaire que la récente augmentation du prix de la noix de cajou bord champ a fait de cette spéculation la plus rentable de toutes. Il est assez évident que l’Esprit Planteur dont nous souhaitions, dans nos Tribunes de décembre 2017[1], le développement parmi les Béninois, va éclore spontanément. Il est à craindre l’utilisation inappropriée de semences non sélectionnées par les nouveaux planteurs
Il importe donc que les structures compétentes du Ministère en charge de l’Agriculture prennent les mesures idoines pour satisfaire les légitimes attentes des planteurs engagés dans la filière en leur fournissant du matériel végétal amélioré. La redynamisation de la Recherche pour une efficacité attendue de ses prestations doit également faciliter l’adoption par les planteurs des bonnes pratiques de plantation
A cet effet, la mesure première et prioritaire consisterait en un effort approprié pour promouvoir le métier de pépiniériste anacardier et susciter l’installation de 100 à 200 pépiniéristes en leur offrant des mesures fiscales et des appuis techniques incitatifs.
Si ces pépiniéristes sont rapidement pris en charge par les structures de formation et d’encadrement du ministère, ils peuvent être très vite opérationnels et capables de mettre à la disposition des planteurs, des plantules à croissance rapide en plantation avec un taux de succès très élevé. La mise en relation des pépiniéristes et des planteurs désireux d’investir dans la production de l’anacarde contribuera à la promotion de nouvelles plantations.
Ces pépiniéristes une fois installés pourront contribuer à la formation et à l’appui technique aux planteurs à travers des parcelles de démonstration et des champs écoles pour la diffusion des informations sur les bonnes pratiques d’installation et de suivi des nouvelles plantations.
Pour le verger vieillissant
Il est programmé de régénérer par surgreffage 10% des plantations d’un âge avancé ce qui représente 12.000 ha pour la période, soit 4.000 ha/an. Ceci correspond, sur la base de 400.000 arbres à régénérer par an, à un besoin d’un million de greffons pour satisfaire les plantations concernées. Or actuellement (voir encadré), la Recherche ne peut mettre que 221.000 greffons, dans le meilleur des cas, à disposition des planteurs.
Il est donc nécessaire d’identifier plus d’arbres-mères en passant de 300 arbres-mères actuellement à près de 1.000, ce qui apparait comme un minimum. Le nombre de parcs à bois doit aussi être significativement augmenté en passant de 20 actuellement à 100.
En attendant d’avoir optimisé ce volet, là encore, le Bénin devra se tourner vers les pays de la sous-région mentionnés plus haut pour approvisionner sa filière anacarde en greffons.
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Il est tout aussi urgent que des mesures appropriées soient prises pour former des techniciens spécialisés en surgreffage dont des femmes qui, de tradition, ont la réputation de maîtriser ces opérations délicates comme le greffage. Des collecteurs et livreurs de greffons devront également être formés.
Dans ce cadre, la Recherche doit veiller non seulement à multiplier les parcs à bois producteurs de greffons, mais également à consolider les germoplasmes existants et en accroitre significativement l’effectif.
Cependant, un développement durable de la filière anacarde suppose un réel engagement de l’interprofession cajou (IFA BENIN) qui doit s’investir de mobiliser les Béninois intéressés par une production qualitative en même temps que quantitative de cajou. Celle-ci doit dès maintenant, sensibiliser les Préfets, les élus – Députés et Maires – autour de la filière anacarde et inciter les Cadres et autres Agents Permanents de l’Etat à s’engager résolument en faveur de la promotion et le développement de plantations d’anacardiers modernes dans leurs villages ou régions d’origine.
Il va de soi que la mise en œuvre de ces dispositions va nécessiter d’importantes ressources dont ne dispose pas l’interprofession. Mais, à l’instar de la Côte d’Ivoire où le gouvernement a institué un impôt spécifique de 30 FCFA/kg sur les exportations de noix brutes[2], reversé intégralement à la filière, le Bénin pourrait bien instaurer un mécanisme similaire et disposer ainsi de ressources pour sa politique de développement de la filière.
Enfin, toute contribution de la filière anacarde à la prospérité économique et sociale du Bénin suppose la planification et la mise en œuvre rationnelle des mesures ci-dessus évoquées et le suivi rigoureux des indicateurs de performance appropriés.
Cependant, constatant que la commercialisation reste encore beaucoup trop orientée vers l’exportation des noix de cajou brutes, il nous parait nécessaire d’aborder, dans un prochain article, la problématique de l’installation et de l’exploitation des usines de transformation de noix de cajou brutes, créatrices majeures d’emplois et de richesse partagée.
Encadré.
TECHNIQUES DE PLANTATION | ||
1 | Par semi.
Le planteur sème des graines |
Il s’agit de graines sélectionnées en provenance de la Recherche ou directement obtenues auprès d’autres planteurs, chez lesquels des arbres très productifs ont été identifiées. Il faut compter 4 à 5 ans pour que les arbres donnent les premières noix.
Il faut 100 graines par hectare. Cependant cette méthode rencontre vite ses limites car (i) la Recherche ne dispose pas encore de graines en nombre suffisant, (ii) toutes les graines ne vont pas rendre le résultat escompté et les plantules qui vont se développer seront fragiles si le sol n’est pas suffisamment adapté.
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2 | Par plantules greffées.
Le planteur utilise du matériel végétal amélioré en pépinières. |
Les plantules sont obtenues de plants développés en pépinières à partir de graines fournies par la Recherche (CRA-Centre) et de greffons récoltés dans les parcs à bois.
Les plantules issues de cette méthode de plantation ont généralement un bon développement et un meilleur rendement à la récolte. Il faut 100 plantules par hectare. Cependant, compte tenu du taux de réussite des greffages (80%), il est nécessaire de porter les besoins en plantules à 120/ha.
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3 | Par surgreffage.
Le planteur régénère des arbres encore vigoureux mais peu productifs à partir d’un greffage approprié. |
Ici, la technique est différente de la précédente. Les greffons sont obtenus à partir :
-d’arbres-mères identifiés : 300 arbres actuellement donnant chacun 100 greffons soit au total 30.000 greffons. -de parcs à bois, au nombre de 20 de 55 arbres chacun ; nous avons 1.100 arbres donnant chacun 100 greffons soit au total 110.000 greffons. -de germoplasmes. Le germoplasme est le matériel héréditaire transmis à la progéniture au moyen de cellules germinales capables de permettre de préserver directement la biodiversité au niveau génétique et spécifique. Les germoplasmes actuellement disponibles sont au nombre de 325. Ils ont la meilleure production de greffons : on peut atteindre 250 greffons par germoplasme soit au total 81.250 greffons.
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[1] L’Inter et Nord-Sud Quotidien
[2] Cela n’empêche pas la Côte d’Ivoire d’avoir institué un impôt proportionnel (actuellement de 100 FCFA/kg) qui va au Trésor Public, à comparer à la taxe export au Bénin de 60 FCFA/kg qui va directement dans les caisses de l’Etat sans rien pour la filière.