L’anglicisme « Made in… » qui signifie « fabriqué en… » est une expression très en vogue de par le monde. Elle établit un lien étroit entre un produit et le pays dans lequel il est fabriqué ou supposé être fabriqué. Au-delà de la marque du produit inscrite sur l’étiquette, la mention « Made in… » traduit le rattachement d’un label à un pays. Dans le concert des nations et dans un contexte de globalisation, l’Afrique doit affiner une stratégie pour éditer, suivant les normes requises, son label à travers le « Made in Africa. »
Jean-Claude KOUAGOU
Made in Africa ! Cela sort de l’entendement général. Par contre Made in China. Made in Usa. Made in France. Made in Japan…. Tout le monde connaît ces appellations qui lient les produits de consommation aux pays qui les a fabriqués. Ainsi a-t-on de préférence pour un même produit fabriqué dans un pays plutôt que dans un autre sous l’effet du marketing commercial. Dans cette guerre de leadership de revendication de marques à travers le « Made in… », où se situe l’Afrique ? Nulle part ! Il s’agit d’une question préoccupante à laquelle les Africains doivent répondre de toute urgence à l’effet de faire la compétition de la mondialisation. C’est d’ailleurs l’objectif de l’agenda 2063 de l’Union Africaine avec la création et le développement de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECA). L’Union doit travailler à la création d’un label africain à défaut d’un label pour chaque Etat membre. Au-delà du label, il s’agit de favoriser le développement de chaînes de valeur sur le continent pour lui permettre de mieux profiter de ses propres richesses. A titre d’exemple, renseigne Cotecna, environ 90% de la valeur ajoutée de l’industrie mondiale du cacao échappent aux pays producteurs. L’objectif de ce label sera de permettre à l’Afrique de mieux s’intégrer dans la mondialisation. Dans cette perspective, il faudra d’abord définir un label garanti et contrôlé par la commission de l’Union Africaine et dont pourraient bénéficier des marchandises produites entièrement ou en partie sur le continent africain selon des critères bien précis. Ces critères qui restent encore à définir. Le label made in France est garanti et assuré seulement sur les produits dont 45% minimum de la valeur ajoutée a été apportée en France. Si en France le made in France est proscrit pour les produits ayant bénéficié d’une valeur ajoutée de moins de 45%, aux Etats-Unis en revanche, le label made in USA est obligatoire comme les labels made in china, made in Japan ou made in Canada. Mais pour qu’on mette une étiquette sur un produit, il faut que 75% des coûts de fabrication du produit soient supportés aux USA.
Le défi du label africain à l’ère de la mondialisation
Pour disposer d’un label africain, il faudra transcender les petites querelles intestines et privilégier l’intérêt continental. Ainsi pour développer un label « made in Africa » sérieux et reconnu par tous, il faudrait d’abord s’accorder sur les critères permettant de le définir de manière qu’ils conviennent à tous les types d’industries présentes sur le continent. Quand un produit est fabriqué dans un seul pays comme cela peut être le cas avec des produits agricoles et alimentaires, le problème est simple. Mais la tâche se complique quand le processus de fabrication est mondialisé. Quelle part de la transformation devrait être réalisée en Afrique pour que le produit bénéficie du label africain ? A cette question, certains pensent que si le critère est sous-évalué, le risque que le label ne soit qu’un paravent pour des importations déguisées est grand, notamment en ce qui concerne les produits chinois. A titre illustratif, l’on se demande si un bol de porcelaine fabriqué en Chine puis décoré en Afrique obtiendrait le label « made in Africa » ou s’il demeurerait « made in China ». L’enjeu est de taille pour l’industrie africaine. Il faut garantir le sérieux de l’ensemble du processus depuis la définition des critères jusqu’au contrôle du produit fini avant de se préserver des situations de concurrence déloyale. Enfin, il faudra que le nouveau label soit adossé à une politique forte d’accompagnement des petites et moyennes entreprises, notamment en ce qui concerne l’appropriation des nouvelles technologies avec pour objectif d’éviter qu’une industrialisation non maîtrisée ne provoque les mêmes dégâts sociaux et environnementaux qu’en Asie ou en Amérique du sud par exemple. A l’Afrique donc d’inventer son propre modèle de développement.
Définition du label et son utilité
Un label est un élément d’identification qui différencie une entreprise, un produit, un bien ou un service d’un autre : l’existence d’un label vient garantir certains aspects d’un produit ou service. La plupart du temps, il prend la forme d’un logo ou d’une étiquette apposé sur le produit ou bien sur le site de l’entreprise. Il est synonyme d’une garantie pour les consommateurs, clients ou usagers du monde de la qualité d’un produit par exemple. En France, l’appellation « label » est encadrée juridiquement. Ainsi, elle fait obligatoirement l’objet d’une publication au Journal Officiel. Les labels sont fondés sur un cahier des charges spécifiques. Par ailleurs, ils font nécessairement intervenir des organismes certificateurs extérieurs et indépendants ou une agence. Ces derniers peuvent être publics ou privés mais dans tous les cas ils sont indispensables. Le fait d’avoir un label signifie plusieurs choses. Tout d’abord, il constitue un moyen de garantir une pratique ou un engagement de la part d’une entreprise dans un certain domaine. Par exemple, l’existence d’une étiquette label Agriculture Biologique (ou bio) sur un produit garantit a priori, que ce dernier a été cultivé sans l’utilisation de produits chimiques de synthèse ou d’OGM et donc cela garantit une production alimentaire plus écologique et donc en faveur d’un développement durable. Le label est également un outil pour valoriser une pratique jugée vertueuse ou à impact positif. En effet, l’obtention d’un label vient octroyer une distinction à l’entreprise concernée et met en lumière ses bonnes pratiques. Enfin, pour les parties prenantes et les partenaires, c’est une source d’information sur les valeurs de l’entreprise, ses pratiques. Ainsi pour les entreprises ou les organisations, détenir un label a une véritable utilité. Dans la mesure où il est la traduction des engagements d’une entreprise sur sa production ou bien sur son fonctionnement, il permet d’établir une distinction. De plus, il constitue une garantie et donne aux consommateurs des informations officielles dignes de confiance. Pour qu’un label soit considéré comme robuste et crédible il doit impérativement se fonder sur un référentiel de qualité dont les critères portent sur des actions allant au-delà du légal. Il doit s’inscrire dans une démarche d’amélioration continue. En outre, il faut instaurer un principe de non compensation entre les critères : ainsi le fait d’avoir des lacunes ou difficultés sur un des critères ne peut être compensé par une meilleure performance sur un autre critère. L’évaluation ainsi que la décision d’attribution du label ne peuvent émaner que d’un organisme extérieur, indépendant afin que la décision soit la plus impartiale possible.
Labellisation des produits locaux et de terroir
Le réseau Promotion de l’agriculture familiale en Afrique de l’Ouest (Pafao) s’est interrogé sur l’intérêt de la labellisation, sur les différentes étapes pour la mise en place d’une certification, et sur la palette d’outils à adapter – système participatif de garantie (SPG), marque collective, indication géographique (IG)… en fonction du marché visé. Si la labellisation représente en général une plus-value pour les producteurs et les transformateurs, son coût, important, peut peser sur la rentabilité, notamment lorsque se pose le problème des emballages. Les efforts d’identification des produits locaux doivent être accompagnés d’une sensibilisation des consommateurs et ne peuvent se passer d’un cadre politique favorable au « consommer local ». Lorsque les consommateurs savent reconnaître un produit de qualité sur les marchés de proximité, la labellisation vient ajouter un intermédiaire et des charges alors que la confiance est déjà établie. Cet avis est confirmé par les résultats de l’étude menée par l’Organisation pour l’Alimentation et le Développement Local (Oadel) et Acting for life au Togo. Certains consommateurs préfèrent acheter « en vrac » afin de palper le produit. Les emballages les empêcheraient d’apprécier par eux-mêmes la qualité du produit. Par exemple dans le cas de l’huile rouge, une démarche de labellisation qui ciblerait le marché de consommation de Ziguinchor au Sénégal, apparaît superflue : l’apparence de l’huile, son goût, le nom commercial, et les relations d’interconnaissance entre producteurs, commerçants, marchands-détaillants et consommateurs suffisent à en garantir l’origine géographique et la qualité. La labellisation devient utile lorsque les liens se distendent et pour atteindre le marché d’une grande ville, par opposition au marché rural de proximité. Dès lors, il peut être nécessaire de rassurer les détaillants et les consommateurs sur l’origine et la qualité. Lorsqu’il s’agit de vendre à l’échelle nationale, la certification (identification) peut être avantageuse, comme le suggère l’exemple du concentré de tomate Tomatogo.
Ne pas confondre labellisation et certification sanitaire
De type Itra au Togo ou n° FRA au Sénégal, la certification ne joue pas le même rôle que la labellisation mais devient aussi nécessaire avec la distension des liens, de par les scandales sanitaires, ou la perte de confiance dans les produits locaux transformés. Au Sénégal, la certification est obligatoire pour vendre, même sur la place locale. La mise en place d’un label a le mérite de favoriser le dialogue et la concertation entre tous les acteurs. Les relations entre les acteurs de la filière s’en trouveront renforcées. Au-delà de l’outil d’identification, c’est la démarche qualité découlant de la mise en place du label, qui est intéressante. Avant d’entreprendre toute démarche d’identification, il est crucial de déterminer quels marchés sont visés. Le conditionnement du produit et le type de labellisation recherché en dépendront. La certification (IG) est utile pour le marché international, comme le montre l’exemple de la marque Ziama Macenta en Guinée qui vend du café grain à l’export, et du café moulu localement. Au Bénin, l’Uniriz-C (Union des riziculteurs du Centre) se positionne aussi à l’export et sur les marchés urbains « locaux », divisés en trois segments, avec pour chacun un emballage adapté, et différents types de brisure. Si une concurrence directe avec des produits importés existe, et que les produits locaux sont compétitifs : l’identification ou labellisation « locale » est cruciale. C’est le cas de la pisciculture locale, de meilleure qualité, et compétitive en vente bord-champ.
Concertation pour définir la qualité
S’accorder sur la qualité du produit labellisé implique de définir les étapes permettant d’atteindre la qualité requise. Le cahier de charges est donc établi collectivement, en tenant compte des étapes de production, transformation et conditionnement. Les étapes à prendre en compte peuvent être déterminées par la « méthode des 4 M » : matière première, milieu, méthode de travail et main-d’œuvre. La structuration des acteurs de la filière est à la fois un préalable et une conséquence de la définition collective d’un cahier de charges. Par exemple avant la mise en place de la marque collective Riz Bora Maalé en Guinée, les acteurs de l’aval et les Organisations Paysannes avaient défini en concertation un guide de bonnes pratiques, dont s’est inspiré le cahier de charges de la marque. Par la suite, l’interprofession autour de la marque a acquis le statut de réseau. La marque collective appartient à une association, groupement ou réseau dont les membres souhaitent mettre en évidence la qualité d’un produit ou le respect d’exigences fixées au préalable. La protection des marques est assurée par les tribunaux. Elle est déposée auprès du Service de la propriété intellectuelle (SPI) national et de l’OAPI (Organisation africaine de la propriété intellectuelle). Afin d’assurer la visibilité du label, et d’informer les consommateurs sur les caractéristiques remarquables du produit (origine géographique, certification sanitaire, méthode de cuisson), des étiquettes sont conçues de manière collective. Au-delà de la labellisation, l’identification des produits passe par les emballages. Ces démarches qui se mènent à l’échelle de chaque pays peuvent inspirer l’Union africaine dans le processus de définition de critères pour la labellisation de ses produits.
Enjeux de sensibilisation
La démarche de labellisation des produits locaux ne suffit pas à leur faire gagner des parts significatives de marché. Il est nécessaire de mettre en place un système de marketing sur le produit local, surtout dans le cas de concurrence avec des importations. Une publicité abondante peut être requise pour faire connaître le label ou la marque africaine… La préférence pour les produits importés (cas du riz au Bénin) est parfois un comportement installé que l’on peut bousculer avec des tests de dégustation à l’aveugle, des analyses sensorielles et nutritionnelles qui apportent des preuves de la qualité des produits locaux. Certains ont adopté la stratégie de présenter des produits locaux dans des emballages de produits importés pour inviter les consommateurs à revoir leur « à priori », comme l’indique la Plateforme nationale des organisations paysannes et de producteurs agricoles du Bénin (Pnoppa). Les informations sur les produits sont parfois peu claires, voire trompeuses. Soit des produits laitiers présentés comme locaux ne sont pas fabriqués à partir de matière première locale, ou au contraire, des yaourts à base de lait local sont vendus dans des pots sur lesquels figurent des images d’élevage plutôt européen… Au-delà de la communication « classique » sur les produits locaux, il serait indispensable, dans le cadre du projet pour le label africain de convier des consommateurs aux visites d’audit. La communication doit aussi se faire auprès de producteurs non labellisés, pour leur montrer les avantages de la production bio par exemple. Invités dans le cadre d’audits, ils pourraient visiter des exploitations certifiées et échanger avec leurs pairs.