Depuis le 2020 août 2019 que le Nigeria a procédé à la fermeture de ses frontières, le Bénin est entré en récession. Plus de 5 mois après, on observe un statut quo qui interpelle tous les acteurs de la chaine économique du Bénin.Une situation qui est d‘autant plus préoccupante à cause de la forte dépendance du Bénin vis-à-vis, de son voisin, le Nigéria.
Félicienne HOUESSOU
Des tonnes de tomates et ananas avariés ; des centaines de bidons d’huile rouge destinés à l’exportation vers le Nigéria, invendus ; des centaines de sacs de riz destinés à la réexportation vers le grand voisin, en errance dans les magasins… voilà entre autres les dégâts majeurs enregistrés après la quasi cessation des échanges commerciaux entre les deux pays qui partagent plus de 700 kilomètres de frontière.Au niveau des importateurs de produits agroalimentaires (pâtes alimentaires, huile, œufs…), c’est le désarroi également. L’économie béninoise étant caractérisée par le commerce de réexportation et le secteur informel, 80 % des activités économiques du Bénin sont liées au marché nigérian.Les réexportations vers le Nigeria représentent près de la moitié des ventes extérieures du Bénin, et 50 % des recettes douanières.
Ainsi, chaque fois qu’il y a une crise ou une décision entachant le commerce avec le Nigéria, l’économie béninoise prend un grand coup.Quatre années plus tôt, la baisse de la valeur du naïra sur le marché noir, puis sa dévaluation n’ont fait que plonger le Bénin dans une crise économique et financière qui ne dit pas son nom. Ce qui fait dire à plusieurs analystes que « quand le Nigeria éternue, le Bénin s’enrhume ». Si le Bénin estl’un des pays de la sous-région les plus dépendants du Nigéria, les causes sont à la fois structurelles et conjoncturelles.
En effet, le Bénin et le Nigeria ont des liens historiques et entretiennent des relations commerciales. Dans les années 90 les deux pays ont ressenti la nécessité de signer un accord de partenariat agricole, par lequel ils se sont mutuellement accordés la clause de la nation la plus favorisée. Cet accord a prescrit, entre autres, la libre circulation entre les deux pays de deux catégories de produits, que sont les biens et marchandises entièrement produits ou récoltés dans l’un ou l’autre pays et les produits, qui entièrement ou partiellement composés de matières premières provenant d’un pays tiers ou d’une institution, ont été transformés, de façon substantielle dans l’un ou l’autre pays.
Malheureusement lors de sa troisième édition, « Jeudi du patronat » en septembre 2016, la Confédération nationale des employeurs du Bénin (CONEB) a révélé que les flux commerciaux entre le Bénin et le Nigeria reposent essentiellement sur le commerce informel qui en représente environ 70%. Dans la réalité, une forte proportion du commerce entre les deux pays repose sur le circuit de la contrebande, échappant ainsi aux statistiques officielles.
Les experts ont prévenu, le Nigéria a longtemps menacé
Alors que le commerce informel vers le Nigeria représenterait 20 % du PIB du Bénin, d’après la Banque mondiale, plusieurs voix d’experts se sont levés pour recommander aux gouvernements béninois, de développer d’autres stratégies afin de promouvoir la production agricole et de développer d’autres marchés d’exportation de produits ‘’made in Bénin’’. La mission d’évaluation de la compétitivité des produits sur le marché nigérian conduite par le professeur John Igué, et d’autres experts béninois avait alerté : « l’un des fleurons de l’économie béninoise en raison des recettes douanières qu’elle procure, est en chute libre avec plus de 20 milliards FCFA de pertes de recettes sur le riz et les huiles végétales, et 30 milliards FCFA de pertes de recettes sur les véhicules d’occasion. A ces pertes, s’ajoutent une série d’activités menacées comme celles des pièces détachées de véhicules et surtout l’emploi de près de 5000 jeunes qui servent d’intermédiaires dans les différents parcs entre les propriétaires et les acheteurs de véhicules. A fin juin 2016, seulement 76 mille voitures ont été réexportées vers le Nigéria, contre plus de 285 mille en 2015 et plus de 353 mille en 2014 ».
Egalement, le Nigeria avait prévenu de revoir ses choix politiques qui conduiront inéluctablement à la diminution des commerces informels. La Banque centrale du Nigéria a interdit l’importation de 41 articles dans le pays afin de stimuler la production locale, une mesure qui a favorisé la production des produits de base qui ont grandement stimulé la production de tomates et ont aidé au renforcement des liens de bout en bout dans la chaîne de valeur, de l’approvisionnement en intrant recherché par le consommateur. La nouvelle politique industrielle du Nigeria «Nigeria Industrial Révolution Plan» dont l’ambition est de se retrouver dans le top 20 des économies mondiales justifie l’entêtement des autorités nigérianes à maintenir la fermeture de leurs frontières terrestres.
La réouverture des frontières : le bout du tunnel encore loin ?
Lors d’une réunion bilatérale à Londres en marge du sommet d’investissement Royaume-Uni-Afrique 2020 avec le présidente du Ghana, Nana Akufo-Addo, le président Buhari a révélé que la fermeture partielle des frontières du Nigéria n’était pas due uniquement aux produits alimentaires, mais également au fait que les armes et les munitions, ainsi que les drogues dures, étaient transportées dans le pays.«Lorsque la plupart des véhicules transportant du riz et d’autres produits alimentaires à travers nos frontières terrestres sont interceptés, vous trouvez des drogues dures bon marché et des armes légères sous les produits alimentaires. Cela a des conséquences terribles pour n’importe quel pays », a déclaré le président Buhari. Pour preuve, le 30 Janvier 2020, la douane nigériane a intercepté 140 kg de chanvre indien caché dans deux balles de vêtements d’occasion le long de la route Abuja-Jos.
A l’occasion de la Journée internationale des douanes 2020, le contrôleur général des douanes, col Hameed Ali a déclaréque les frontières du Nigeria restaient fermées en raison de stratégies de sécurité frontalières non encore conclues entre le Nigeria et les communautés voisines. « Nous avons besoin d’un processus et d’une situation où nos frontières sont sécurisées et toute la menace qui pèse sur nos frontières ne sera plus. Nous travaillons sur ces paramètres et je pense que dès que nous commencerons à les conclure, nous assouplirons certaines choses aux frontières », a-t-il indiqué. Il poursuit : « Nous ne parlons pas seulement du Nigeria, mais nous leur demandons également de veiller à ce que leurs propres frontières soient renforcées contre les activités illicites ».
Et pour appuyer cette position, le président Buhari, dira : «nous allons régler les choses. Nos agriculteurs, en particulier ceux qui cultivent du riz, ont maintenant un marché et sont heureux, et nous sommes également préoccupés par les drogues dures et les armes. Une fois que le comité aura formulé ses recommandations, nous siégerons et les examinerons ». Evoquant le calendrier de la réouverture des frontières, il a déclaré que cela n’arriverait pas avant que le rapport final d’un comité mis en place sur la question n’ait été soumis et examiné.
La filière réexportation du Bénin asphyxiée
Selon le Laboratoire d’Analyse Régionale et d’Expertise Sociale (LARES), une unité privée qui étudie les échanges transfrontaliers, au moins 75% des marchandises, débarquées au port de Cotonou, en régime de consommation interne, sont réexportées vers le marché nigérian.Depuis mai 2003 le Nigeria n’accepte plus l’entrée de 46 produits : poulets congelés, vins, eaux minérales, tissus, objets plastiques, jus de fruits, chaussures etc… dont une partie arrivait par Cotonou légalement ou en contrebande.La décision nigériane, qui ne vise pas seulement le Bénin, a pour objectif de développer des industries locales sur la base d’un marché potentiel de 130 millions de Nigérians.
« Avec l’amélioration du taux de production, le riz nigérian sera bientôt exporté. Avant la fermeture de notre frontière terrestre, la plupart de ces usines de rizerie fonctionnaient partiellement, mais maintenant, non seulement elles fonctionnent à pleine capacité, mais elles se développent également », a annoncé le ministre fédéral de l’Agriculture et du Développement rural du Nigeria (FMARD), Alhaji Sabo Nanono, sur Premium Times.
En effet, la fermeture des frontières a permis de mettre fin à la prévalence du riz étranger dans le pays et a conduit à une augmentation de la production rizicole locale de nombreuses usines du Nigeria. L’action du gouvernement a contribué à accroitre la production locale de riz, accroitre le financement des banques du secteur agricole, créer une nouvelle génération d’agriculteurs et créer de nombreux emplois.
Le ministre annonce que la plupart des producteurs ont stocké du riz pour les six prochains mois. A présent, le pays compte 11 usines capables de produire 180 à 350 tonnes de riz par jour. Dans quelques mois une nouvelle usine capable de produire 400 tonnes par jour va être ouverte, ainsi que 34 usines de taille plus modeste seront implantées dans différentes régions. Ces nouvelles infrastructures bénéficieront à la production locale en pleine expansion. Aussi, des investissements structurants sont lancés dans le secteur agro-industriel, comme par exemple la construction par la firme Dangote Tomatoes Processing Factories (DTPF) de la plus grande usine de transformation de la tomate en Afrique de l’Ouest, dans l’Etat de Kano.
Le Nigéria aussi dans de salle drap
Une étude révèle que la production de tomates du Nigeria atteint 1,701 millions de tonnes chaque année, alors que la consommation annuelle du pays est estimée à 2,93 millions de tommes. Le Nigéria atteint donc un déficit d’approvisionnement de 1,2 million de tonnes chaque année qui se chiffre à $ 2,5 millions par an. Un déficit que les producteurs béninois prenaient soin de combler jusque là. Certes, la Banque centrale nigériane a lancé un appel aux investisseurs parce que le Nigéria manque cruellement de tomates, mais le défi reste de taille. Dame Mama, réexportatrice de riz vers le Nigéria trouve que les impacts négatifs de cette fermeture frappent de plein fouet les deux pays. « Si nous allons vendre là-bas, c’est parce que la demande est très forte.Les populations nigérianes ne sont pas pour cette décision. Elles trouvent des voies illégales pour venir chercher le riz parce qu’elles en ont besoin », révèle-t-elle. Toujours est-il que le voisin de l’Est menace de se libérer du marché béninois. Reste aux dirigeants béninois d’opérer des choix politiques pour son indépendance économique.