La tradition et les pesanteurs sociologiques consolidement encrées dans les habitudes semblent expliquer le mariage forcé qui rend vulnérable les jeunes filles. Ce phénomène perdure dans le département de la Donga et cela inquiète les Organisations de la société civile intervenant dans la lutte contre ce phénomène. Une enquête sur le terrain nous a permis de nous en rendre compte.
S’il y a un mal qui sévit actuellement au Bénin et plus particulièrement dans le département de la Donga et qui détruit l’avenir de nombreuses jeunes filles, c’est bien le mariage forcé. Cette pratique traditionnelle a traversé des générations entières, faisant au passage de nombreuses victimes. Les enfants sont mariés de force par leurs parents avant même d’avoir atteint la puberté, et donc avant leur maturité émotionnelle et physique.
Qu’est-ce que le mariage forcé ?
Il s’agit de l’union officielle de toute personne âgée de moins de 18 ans et d’une autre, mineure ou majeure, que cette union soit formelle, c’est-à-dire légale, ou informelle, par exemple traditionnelle et religieuse, avec une notion de contrainte. Dans ce type de mariage, le consentement de l’enfant est rarement demandé. Les parents se chargent de toutes les formalités et déposent l’enfant dans son nouveau foyer, en l’unissant en général à une personne plus âgée qu’elle. Malgré l’interdiction formelle du mariage forcé des enfants par la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant, le phénomène subsiste au grand désarroi des victimes.
Quel est l’état des lieux dans le département de la Donga?
Elles sont nombreuses ces filles moins de 18 ans dans les quatre communes du département de la Donga à être données en mariage sans leur consentement. Elles sont soit enlevées de force ou piégées par leurs propres parents qui les envoient de force chez leur mari qu’elles connaissent à peine. Wassilatou, 16 ans environ, dit avoir été enlevée par des individus non identifiés après avoir été envoyée acheter un article par son oncle qui l’envoyait ainsi dans un guet-apens. Malgré quatre grossesses contractées, Wassilatou est traumatisée dans un mariage qu’elle n’a jamais voulu.
Loubabatou, 15 ans a été aussi victime de ce phénomène. A l’en croire, elle a été aussi piégée par sa tante qui l’avait inscrite en apprentissage. Elle l’avait envoyée lui acheter des gâteaux quand elle a été enlevée à son tour par trois hommes.
A Bassila, Amidatou a une histoire identique aux deux premières filles de Djougou. Mais elle a réussi à fuir après avoir été mariée de force à l’âge de 15 ans à un sexagénaire. Dans son cas, son bourreau, c’est son géniteur qui l’a déscolarisée et mariée de force à son maître coranique, un polygame.
Ces témoignages montrent à suffisance que la situation du mariage des enfants n’est pas reluisante dans le département de la Donga. Malgré les efforts des différents acteurs de lutte contre le phénomène, les chiffres de ces deux dernières années donnent le tournis. Selon Chabi Karim Alassane, chef du service promotion du genre de la famille et de l’enfant du département de la Donga, le phénomène d’enlèvement et de mariage forcé existe bel et bien dans le département de la Donga. En 2020, son service a enregistré au niveau des quatre communes un total de 91 cas, la commune de Bassila vient en tête avec 59 cas suivie de la commune de Djougou 25 cas, Ouaké 5 cas et la commune de Copargo ferme la marche avec 2 cas. Concernant l’année 2021, la commune de Bassila tient toujours le tristement célèbre premier rang avec 49 cas, 11 dans la commune de Djougou et les communes de Ouaké et Copargo ferment la marche avec 9 cas chacune soit un total de 78 cas.
Les causes du mariage forcé des enfants
Les causes sont multiples et multiformes, et elles vont du respect de la tradition à la préservation de l’honneur de la famille, mais aussi à une tentative d’échapper à la pauvreté. Dans le département de la Donga, une région fortement islamisée, les filles sont données en mariage dès leurs premières menstrues pour éviter qu’elles se prostituent et ainsi jeter de l’opprobre sur la famille. Mais la cause commune à toutes les communes, soumises à ce fléau, est la pauvreté. Ce qui favorise fortement le maintien de la pratique du mariage forcé. Nombreux sont celles et ceux qui considèrent que donner son enfant en mariage est un bon moyen de faire entrer de l’argent au sein de la famille. Une jeune fille est donc un gage de prospérité, qu’il faut donner au plus offrant, en plus de la réduction des charges du ménage lors du départ de l’enfant, selon certaines familles. Le faible niveau d’instruction des parents, l’impunité des violences faites aux enfants sont également des causes indirectes mais non négligeables, qui entretiennent et pérennisent le mariage forcé des enfants.
Les conséquences du mariage forcé
Au Bénin, trois filles sur dix sont mariées avant l’âge de 18 ans, ce qui les empêche d’avoir une vie épanouie : en effet, le mariage forcé compromet l’éducation des enfants et peut avoir des conséquences lourdes sur leur santé, car il les expose à des violences sexuelles et psychologiques ainsi qu’aux maladies sexuellement transmissibles dont le VIH. C’est une réalité tragique, qu’il faut arriver à bannir.
Que dit la loi sur le sujet ?
S’il fallait s’en tenir à la seule législation en la matière de protection de l’enfance, de ce point de vue, le Bénin serait un paradis où tous les enfants du monde aimeraient vivre. Le Bénin a ratifié la Déclaration universelle des droits de l’homme et la Convention des Nations Unies sur les droits de l’enfant. La législation est également étoffée par la charte Africaine des droits et du bien-être de l’enfant, la Constitution du Bénin, la loi sur la répression des violences faites aux filles et aux femmes, et le Code de l’enfant. L’arsenal juridique est impressionnant et significatif, et les différents codes interdisent le mariage forcé des enfants, avec des sanctions allant d’une amende pour dommage et intérêts à la privation de liberté. C’est donc une réelle opportunité, qu’il faut désormais mettre en œuvre pratiquement.
Comment mettre fin au mariage forcé des enfants ?
Pour lutter efficacement contre le mariage forcé des enfants, les parents ont une grande responsabilité, selon Anita Aïssi, technicienne supérieure de l’action sociale. A l’en croire, il faut sensibiliser ces parents pour qu’ils envoient leurs filles à l’école et les y maintenir. Jonas Kindafodji, consultant junior en communication pour le développement et acteur de lutte contre le mariage forcé des enfants, met l’accent sur la dénonciation des cas de mariage forcé des enfants sous toutes ses formes en vue de décourager les endurcis.
En clair, les parents constituent les premiers responsables de cette situation qui perdure et met en péril l’avenir des filles. Leur implication dans la lutte participera à réduire le phénomène à défaut de l’éradiquer.
Emmanuel Akakpo (Br Atacora-Donga)