Muhammadu Buhari, président de l’Etat fédéral du Nigéria a annoncé le mardi 19 juillet 2022, la dénationalisation de la compagnie pétrolière publique, Nigerian National Petroleum Corporation (NNPC). Ainsi, la société sera désormais une entreprise commerciale à part entière et l’Etat central n’aura plus à y intervenir.
Bidossessi WANOU
Conformément à la loi sur l’industrie pétrolière en vigueur au Nigéria et qui vise à relancer ce secteur d’importance pour l’’économie, l’Etat nigérian a procédé à la dénationalisation de la Nigerian National Petroleum Corporation (NNPC), la société nationale. Désormais, l’Etat se retire des affaires de la société où il n’aura plus à intervenir en tant que décideur comme c’est le cas pour toutes les autres sociétés ou entreprises privées. C’est dire que la NNPC fonctionnera sans interférence ni financement du gouvernement. Premier producteur africain du pétrole, le Nigéria détient un fort potentiel mais peine depuis peu à en profiter réellement en raison de la mauvaise gestion qui prévaut dans ce secteur. Ministre d’Etat aux ressources pétrolières, Timipre Sylva a expliqué que le Nigeria avait perdu environ 50 milliards de dollars de nouveaux investissements étrangers avant l’adoption de la nouvelle loi sur le pétrole. La capacité actuelle de production du pays est évaluée à 1,4 million de barils de pétrole journellement, faible par rapport au quota de l’Organisation des pays exportateurs du pétrole, (OPEP) de 1,8 million. Gangréné par la corruption, l’inefficacité, les coûts de production élevés et les problèmes de sécurité, le pays n’a capté qu’un faible investissement ces dernières années. Mais créée depuis 1977, la NNPC est l’un des barons de la production. C’est le plus grand détenteur d’actifs au sein de l’industrie pétrolière et gazière nigériane. En plus des activités d’exploration, la société exerce des activités dans le raffinage, la pétrochimie, le transport de produits et la commercialisation. NNPC, c’est trois raffineries, à Port Harcourt, Warri et Kaduna, et des unités commerciales stratégiques axées sur l’exploration et la production, le développement du gaz, la distribution, l’ingénierie et les investissements commerciaux. C’est dire qu’elle détient de solides expériences et saura participer au redressement du secteur pour une amélioration de sa participation à l’économie et au PIB Nigérians. Car, les revenus tirés du secteur du pétrole représentent l’essentiel des ressources en devises et environ la moitié du budget de l’Etat. C’est pourquoi, « Nous transformons notre industrie pétrolière afin de renforcer sa capacité et sa pertinence commerciale pour les priorités énergétiques mondiales actuelles et futures », a même justifié Muhammadu Buhari président du Nigéria qui a ajouté : « la création d’une compagnie pétrolière nationale indépendante et axée sur le commerce, qui fonctionnera sans dépendre du financement de l’Etat » attirera davantage d’investissements étrangers.
Du clair-obscur pour le circuit de la contrebande
Il n’est un secret pour personne que le pétrole nigérian a fait plusieurs fortunés dans les pays limitrophes notamment le Bénin et le Cameroun. D’ailleurs, le Bénin partage 780 kilomètres de frontière avec le Nigéria. Dans une étude réalisée par David Zounmènou et publiée sur le site de l’Institut de la sécurité (ISS Today) en mai 2021, « le commerce illicite de carburant couvre 80 % de la demande nationale. Les contrebandiers achètent du carburant au Nigeria et le font entrer au Bénin sur des motos, en empruntant des routes clandestines », lit-on. Des milliers de barils coulent à destination de ces pays via le couloir sinueux de la contrebande. Par centaines, des citoyens de ces pays s’adonnent au trafic de l’essence depuis le Nigéria à destination de ces deux pays où ils suppléent l’incapacité des stations-services encore insuffisantes à satisfaire toute la demande. Mieux, en raison de la minceur et de la porosité des frontières, plusieurs Béninois vont s’approvisionner au Nigéria en produits pétroliers qu’ils revendent à Cotonou, dans les départements de l’Ouémé et du Plateau, frontaliers au Nigéria. Tandis que le litre de l’essence est cédé à plus de 500 FCFA dans les stations-services, au Bénin le gasoil 600 F, à l’entrée du Nigéria notamment Owodé, des Béninois affluent de Cotonou, Porto-Novo et d’ailleurs et vont s’approvisionner à 290 ou 300 FCFA. Un bon marché qui draine du monde notamment les vendredi soir et samedis matins. Un peu plus proche des frontières, Ifangni, dans le Plateau, Porto-Novo dans l’Ouemé, on a le litre entre 350 et 400 FCFA. Des coûts profitables, « un bon marché » qui ne tardera pas à prendre un coup en raison de la mesure de dénationalisation. Avec ce désengagement de l’Etat qui s’est retiré du marché, l’arrêt des subventions, les charges reviendraient plus lourdes à l’opérateur privé, la NNPC. Déjà au Nigéria, en dépit de ce que l’Etat restera à réguler le marché, on s’attend déjà à une légère hausse des prix de vente. Partant également de la volonté de réorganisation annoncée par le président nigérian, Muhammadu Buhari, la sécurité et le contrôle du trafic se trouveraient incessamment renforcées avec des difficultés pour les contrebandiers. En retour, les pays profiteurs que sont le Bénin et le Cameroun surtout connaîtront une réduction de leur approvisionnement du fait des difficultés d’accès. La conséquence, on peut s’en convaincre sera l’enchérissement aussi de l’essence de contrebande et les longues files d’attente dans les stations-services déjà en nombre insuffisant pour combler les attentes.
Un début d’anticipation au Bénin, des profits en vue
Si les Etats comme le Bénin ont entrepris à plusieurs reprises en vain d’en découdre avec ce marché du fait de sa forte part et ses réseaux, cette dénationalisation pourrait offrir de nouvelles opportunités. En plus, l’échec de la lutte était souvent lié à l’incapacité des stations-services à contenir la demande. Mais de plus en plus, elles couvrent mieux le territoire notamment dans les villes et on pourrait espérer les voir mieux satisfaire le marché. Cependant, la tension entre la Russie et l’Ukraine qui a de répercussions sur tout le marché international de plusieurs produits dont ceux pétroliers ne faciliteront pas de sitôt la tâche au pays pour prendre le contrôle de la situation. Elle sera également davantage difficile aux populations habituées depuis plusieurs décennies au carburant à moindre coût. Mais cette disposition fera indubitablement de bonnes affaires pour l’Etat. La réduction des marges de manœuvre de la contrebande, le recul qu’induira cette mesure au Nigéria dans le « marché noir de l’or noir », aboutira à une bonification des chiffres d’affaires des stations-services et donc des impôts ou de la trésorerie de l’Etat. Cette décision pourrait enfin renforcer la coopération économique entre les deux Etats qui ont entériné l’an dernier, un accord de création d’une zone de libre-échange dans le respect des droits des uns et des autres.