Le secteur de la passation des marchés est un des piliers du développement durable. Alors qu’il prend de l’ampleur au Bénin, ses acteurs ont décidé de se mettre ensemble pour s’aguerrir et répondre au mieux aux attentes. C’est ainsi qu’est né le samedi 23 novembre 2019, l’Institut des professionnels des marches publics du Bénin (IPMP). A travers une interview accordée au président de ce creuset, le spécialiste en passation des marchés publics, Alidaé Koty, nous effectuons une percée au cœur de cet institut en abordant la problématique qui a sous-tendu sa création, ses objectifs, son bilan partiel et ses projets à court, moyen et long terme.
Lire ci-dessous, ladite interview.
Comment pouvez-vous présenter l’IPMP ?
L’IPMP peut être présenté comme un creuset de professionnels des marchés publics. On entend par professionnel des marchés publics, tout acteur-clé de la commande publique tel que régit par le code des marchés publics qui est mandaté ou commis pour assurer la passation ou le contrôle, le suivi ou le conseil dans le cadre de la conduite ou de la gestion d’une commande publique pour la satisfaction d’un besoin d’intérêt public.
Nous avons jugé bon de nous mettre au sein d’un creuset pour réfléchir sur notre secteur d’activités ; pour apporter davantage notre contribution à la vision qui existait déjà ; pour promouvoir davantage la transparence des procédures et surtout pour harmoniser la compréhension de nous tous acteurs dans l’interprétation faite des textes existants et dont nous sommes chargés de la mise en œuvre.
Nous n’allons pas laisser les gouvernants réfléchir tout le temps à notre place. Nous sommes formés pour et avons les compétences nécessaires à cela. Qui mieux que nous pourra décliner un guide pratique de la commande publique par exemple, ou un manuel de procédures type des marchés publics ? Qui mieux que nous ? Personne.
C’est pourquoi nous avons décidé de nous mettre ensemble pour réfléchir à toutes ces thématiques et questions afin d’accompagner au mieux les réformes dans ce sens.
Quels sont les constats qui ont motivé la mise en place de l’IPMP ?
Il y a beaucoup de constats qui nous ont amenés à mettre en place l’IPMP. Premièrement, notre corps de métier était pratiqué par d’autres professionnels qui n’en avaient ni le profil ni la formation adéquate. On ne saurait les en vouloir puisque c’est d’ailleurs par eux que le métier de Spécialiste des Marchés Publics a pu être amorcé. Un merci au passage à eux tous qui pour la plupart sont en fin de carrière et représentent pour nous des appuis et conseils permanents. Nous-mêmes en tant que spécialistes des marchés publics de formation de base, notre visibilité n’a été promue que sous peu grâce à l’Ecole Nationale d’Administration et de Magistrature (ENAM) et surtout le gouvernement que nous encourageons à œuvrer davantage dans ce sens.
L’ENAM qui est la première école à proposer des formations en passation des marchés publics depuis 2008, a formé les premiers techniciens en marchés publics au Bénin. Mais les cadres qui étaient formés n’étaient pas tout de suite mis à contribution. Pourtant c’est une école professionnelle qui est un département de l’Université d’Abomey-Calavi. On constate aussi à ce jour que le profil type d’un spécialiste en marchés publics reste encore très imprécis. La loi 2017-04 du 19 octobre 2017 ainsi que ses décrets d’application ne précise fondamentalement que les profils des Personnes Responsables des Marchés Publics ainsi que son Secrétariat Permanent et des Responsables des Cellules de Contrôles des Marchés Publics. Le terme Spécialiste en Passation des Marchés demeure comme un jargon consacré sans aucun réel fondement. Notre secteur d’activités était ouvert et tout le monde pouvait s’y incruster. Toutefois, grâce aux réformes, l’étau se serre peu à peu et le milieu s’assainit par la même occasion.
Compte tenu de tout cela, Il fallait disposer d’un document qui puisse nous servir de bréviaire. C’est l’IPMP qui a eu le premier statut officiel d’un corps des professionnels des marchés publics au Bénin. Outre cet aspect de vide juridique qui existait, il faut noter le fait que la nouvelle loi portant code des marchés publics a responsabilisé les acteurs. Or nous savons à quoi nous sommes constamment exposés, nous, acteurs de la chaîne et les risques permanents qui planent sur nous. Ainsi nous étions face à plusieurs interrogations : comment s’accompagner dans nos obligations de tous les jours ? Comment assumer nos fonctions avec efficacité, célérité, et transparence ? Comment nous préserver des hauts risques dont nous sommes exposés ?
Vous n’êtes pas sans savoir que nous servions du côté des Autorités Politico-Administratives. Nous avons des obligations de résultats. Les gouvernants qu’ils sont, ont des programmes à exécuter sur une durée déterminée et très précise. Notre célérité dans nos fonctions rassure de l’atteinte de leurs politiques. A défaut, les objectifs ne seront pas atteints. N’importe quel quidam peut venir et dire je lis tel article de telle loi et le tour est joué. Notre différence, c’est de pouvoir effectuer une incursion au cœur des textes de manière à atteindre les objectifs sans enfreindre à la loi ou à la règlementation.
Ce sont toutes ces raisons qui nous ont poussés à nous mettre ensemble.
Quels sont les objectifs de l’IPMP ?
Pour réaliser sa mission, l’IPMP se fixe pour objectifs d’assurer la formation continue des professionnels des marchés publics ; assurer une harmonisation de la compréhension des lois et règlements des marchés Publics par les différents acteurs ; promouvoir et assurer l’insertion des plus jeunes au métier de Spécialiste en passation des marchés ; œuvrer à la mise en place et à la disponibilité d’un référentiel de compétences des professionnels des marchés Publics ; œuvrer à l’évolution du cadre réglementaire des marchés Publics ; proposer des réformes constructives nécessaires à la bonne pratique des marchés Publics par les différents acteurs ; servir d’assistance, de guide et d’accompagnement à tout professionnel des marchés Publics en situation conflictuelle ; représenter ses membres auprès de toutes les instances compétentes et d’entreprendre toutes les actions nécessaires et utiles au respect des intérêts des adhérents ; favoriser et de maintenir entre les membres des relations amicales et œuvrer à l’améliorer de la situation professionnelle des membres de l’Association dans les limites fixées par les textes en vigueur.
On a également retenu d’assister tout le réseau professionnel dans l’exécution de ses tâches et obligations et dans la gestion des conflits. Des gens ont peur de faire carrière dans les marchés publics. Aujourd’hui, le fait qu’ils sachent que l’IPMP est là pour les accompagner et même venir en appui à leur institution pour dénouer telle ou telle difficulté et qu’il est capable de mettre en place un manuel fiable de procédures de gestion des MP, évidemment, les professionnels sont plus tranquilles et travaillent sans se faire du stress.
Quel bilan pouvez-vous faire des actions de l’IPMP ?
Depuis la mise en place de l’IPMP nous avons travaillé à confectionner toute la documentation officielle qui nous permet d’exercer. Ce n’était pas facile. Mais nous avions la lourde mission de combler ce vide et nous y sommes parvenus. Et j’en profite pour remercier tous les collègues et les partenaires à divers niveaux qui nous ont aidés à réaliser ces documents.
Nous avons travaillé à faire connaître l’IPMP par l’Etat central, les organisations internationales, la société civile et autres, afin qu’ils sachent que nous existons et qu’ils soient imprégnés de notre mission et surtout du travail que nous abattons.
En outre, nous assistons les membres de l’IPMP dans leur organisation de travail au sein de leur institution. Nous apportons notre expertise doublée de nos expériences afin qu’ils puissent bien faire leur travail. De même, nous intervenons dans la résolution des difficultés professionnelles. C’est vrai qu’on n’a pas encore eu affaire à de grosses difficultés, sinon pas encore de façon formelle. Mais nous intervenons régulièrement pour départager, rappeler les exigences et montrer ce qui doit être fait quand des parties ont du mal à s’entendre sur certains points.
Aussi, avons-nous également été sollicités dans le recrutement des aspirants et débutants. Un certain nombre sont actuellement en train de suivre le cursus pour recevoir les armes nécessaires afin d’être aptes à exercer notre métier. Il faut noter que nous sommes en train de nouer des partenariats pour harmoniser nos textes et mettre en place un système d’échanges de compétences et de partage d’expériences notamment sur la Côte d’Ivoire et le Togo, pour ne citer que ces pays.
En plus, nous sommes en plein processus d’élaboration d’un document qui va répondre à un certain nombre de préoccupations et donnera un peu plus d’aise aux acteurs de la passation des marchés publics. Pour le moment, nous ne pouvons pas en dire plus.
Pour finir, nous avons une plateforme internet avec des commissions de travail qui étudient chaque profil dans le cadre des inscriptions.
Quelles sont les difficultés que vous rencontrez dans l’exercice de vos activités ?
La difficulté majeure demeure la réticence de certains acteurs à accompagner l’IPMP. Pour une raison ou une autre, des structures de même nature ou de nature semblable ont été créées après nous. Ce qui fait que les acteurs des marchés publics ont l’embarras du choix quant à l’organisation à laquelle ils vont adhérer. Toutefois, même si cette réticence des acteurs était réelle au début, jour après jour, nous gagnons leur confiance par le travail que nous faisons. Et grâce aux résultats auxquels nous aboutissons, nous faisons chaque jour des émules.
Mais je tiens à préciser que le fait qu’il y ait plusieurs organisations dans le secteur comporte des avantages certains. Tant que ce qui est fait l’est pour le bien de notre corporation, nous sommes preneurs. Et si ce n’est pas le cas, nous travaillons à trouver des solutions qui nous avantagent tous au même titre. Donc, j’insiste sur le fait qu’il n’y a pas de conflits entre nous. Etre dans une association ou une autre n’est pas un problème. Mieux, nous avons tous des objectifs similaires.
Quels sont vos projets à court, moyen et long terme ?
A court terme, nous allons lancer notre plan de travail et finaliser la collecte des cotisations au niveau de tous les membres. Et démarrer les formations. De même, nous avons des partenariats à nouer avec des organisations étrangères. Les négociations sont déjà entamées et se poursuivent. Donc, on fera des voyages pour les rencontrer et officialiser tout cela.
De même, nous ambitionnons d’atteindre l’effectif de 500 adhérents d’ici à la fin de l’année. Ce qui pourra nous permettre de faire des formations en série avant le début de l’année prochaine et de pouvoir doter chaque membre de notre creuset d’un certain nombre d’outils qui leur permettent d’impacter positivement leurs performances professionnelles.
A moyen terme nous voulons conclure des partenariats avec au moins dix pays dont un pays en dehors de notre sous-région. Cela peut être un pays d’Afrique du Nord ou de l’hexagone. Ceci, afin de proposer des réformes pertinentes pour le nouveau code qui sera révisé d’ici à la. Avec le partage d’expériences, nous allons améliorer continuellement nos prestations, puisque nous sommes dans un secteur d’activités qui est en perpétuelle évolution.
A long terme, on prévoit que tous les creusets qui existent puissent constituer un Ordre général des professionnels du métier.
Quels sont les impacts de la Covid-19 sur vos activités ?
Les impacts de la Covid-19 sur nos activités ne sont pas des moindres. En effet, cette pandémie ne nous a pas permis de faire notre Assemblée générale pour lancer officiellement notre plan de travail. Mais si les données fournies par les services du ministère de la Santé demeurent favorables, cette Assemblée générale pourra se tenir au cours de ce mois.
Personnellement, la Covid-19 m’a occupé au point où je n’ai pas pu travailler davantage à l’organisation de cette AG puisque mon secteur relève de ce domaine de compétences exclusif, c’est le seul au Bénin d’ailleurs. Heureusement que les choses vont de mieux en mieux et j’arrive à avoir un peu plus de disponibilité pour travailler davantage sur les projets de l’IPMP.
Quelles sont les leçons à tirer de la Covid-19 sur le plan économique ?
La leçon à tirer c’est qu’il faut aller vers la dématérialisation des marchés publics et au plus vite.
Avez-vous une préoccupation particulière à aborder ?
Je lance un appel à l’adhésion à l’IPMP. Cela peut se faire via le site internet www.ipmpbenin.com ouvert à tous les acteurs.
J’en profite pour lancer un appel à l’apaisement. Il n’y a aucune inquiétude à se faire. Peu importe quelle association pose une bonne action. Ce qui nous intéresse c’est que les bénéfices de cette action rejaillissent sur tous les acteurs de notre profession. Aussi, faut-il noter que nous accompagnons même plusieurs associations à se mettre en place et fonctionner normalement. Par exemple, l’association des SPM Banque mondiale qui est en gestation et avec qui nous sommes en étroite collaboration. On aura à nouer des partenariats durables surtout sur le plan de la formation continue et de l’assistance. Parce qu’on travaille tous en symbiose. Il y a également les SPM BAD qui veulent se réunir au sein d’un creuset.
Nous encourageons toutes ces initiatives. Quoiqu’il en soit, on n’est fort que dans l’unité. Nous n’aboutirons à rien dans la division. Nous devons garder à l’esprit qu’un système concurrentiel n’a pas de sens pour un métier comme le nôtre. Que les acteurs se libèrent en sachant que les responsables des organisations de SPM ne se combattent pas. Au contraire. Ils travaillent main dans la main. Je vous remercie.
Interview réalisée par Nafiou OGOUCHOLA