L’annonce faite le 28 janvier par les juntes militaires au pouvoir au Burkina Faso, au Mali et au Niger de quitter la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) continue de faire couler beaucoup d’encre et de salive. Bon nombre d’observateurs pensent que l’intégration régionale ouest-africaine, longtemps considérée par les experts comme un modèle presque parfait en Afrique, est en panne et l’organisation qui la soutient depuis près de 50 ans est au bord du gouffre.
Issa DA SILVA SIKITI
Certains estiment que la tendance de la CEDEAO d’empêcher ces juntes de rester au pouvoir « définitivement » de gré ou de force les aurait forcé à quitter le navire qui montre des signes de chavirer et est apparemment confronté à des défis de gouvernance, d’ambiguïté et de crédibilité, et dont certains leaders qui veulent crucifier les juntes n’appliquent qu’une démocratie de façade dans leurs pays respectifs.
Certains experts l’ont vu venir car ils s’inquiétaient déjà de la politique de « double standards », de favoritisme et d’injustice dont faisait montre l’organisation dans le traitement de certains dossiers. Selon Martin Ronceray, spécialiste de l’intégration régionale africaine au Centre européen de gestion des politiques de développement (ECDPM), au-delà de son échec à empêcher les changements de gouvernement anticonstitutionnels, la CEDEAO n’a pas non plus limité les mandats présidentiels et n’a pas dénoncé les (ré) élections problématiques des dirigeants et les cas de corruption présumée.
« En d’autres termes : elle a été sélective dans l’application des normes démocratiques et s’est concentrée principalement sur la protection des chefs d’État élus contre les coups d’État », souligne-t-il.
« Comme des organisations similaires, elle répond avant tout aux demandes des gouvernements, qui utilisent le potentiel de la CEDEAO pour consolider leur position d’élus, éventuellement menacés par des coups d’État et probablement intéressés à prolonger leur mandat, mais peu enclins à se soumettre à des responsabilités supplémentaires », poursuit-t-il.
A en croire cet éminent expert de la politique africaine, en conséquence, chaque fois que la CEDEAO cherchait à restreindre la pratique consistant à étendre les pouvoirs présidentiels au-delà de deux mandats, il y avait toujours suffisamment d’opposition pour faire dérailler les propositions (avec les vétos du Togo, de la Gambie et du Sénégal par exemple).
« Fausses bonnes » élections ?
Martin Ronceray renchérit : « Pourtant, de nombreuses personnes dans la région rejettent la dichotomie entre de bonnes élections et de mauvais coups d’État militaires – l’idée selon laquelle tout dirigeant élu est légitime et que tous les coups d’État sont illégitimes. Beaucoup considèrent les changements anticonstitutionnels de gouvernement comme un mal nécessaire – la poursuite de la politique par d’autres moyens – et la principale méthode pour se débarrasser d’une gouvernance désastreuse par des élus qui s’accrochent au pouvoir par tous les moyens ».
Et de conclure : « L’écart entre la demande populaire et ce qu’offre la CEDEAO donne l’impression qu’il s’agit avant tout d’un club de chefs d’État et de gouvernement égoïstes qui cherchent à rester au pouvoir en s’attaquant uniquement aux aspects du programme de gouvernance qui jouent en leur faveur. Cette situation est aggravée par le fait que les dirigeants qui sont à l’origine de la position ferme de la CEDEAO face aux coups d’État sont des hommes politiques dont l’autorité est contestée dans leur pays d’origine. Les mêmes règles démocratiques qui ont permis à ces dirigeants d’accéder au pouvoir les maintiennent également en haleine et prêts à utiliser n’importe quel mécanisme pour consolider leur pouvoir ».
Beaucoup se posent la question de savoir si la Guinée, dirigée également par un Mamadi Doumbouya qui devient de plus en répressif et autoritaire, décide d’emboîter les pas à ces trois pays, cela signerait l’arrêt de mort d’un bloc régional déjà essoufflé et nonchalant.