Le gouvernement de la République du Bénin a engagé plusieurs réformes notamment l’instauration du Programme de vérification des importations (PVI). Mais la traçabilité des activités portuaires a porté un coup au portefeuille des agents des douanes. Aujourd’hui, ils ne vivent plus comme avant 2016.
Falco VIGNON
« Quand la cadence change, la danse aussi change » dit-on. C’est l’adage le plus approprié pour renseigner sur la différence entre la vie des disciples de saint Mathieu avant et après 2016. Connus pour leurs largesses, les douaniers béninois affichent une autre physionomie après les réformes. Plus de subventions des douaniers aux artistes, aux cérémonies de funérailles, baptêmes, mariages, anniversaires, etc. « La vie aujourd’hui des disciples de saint Mathieu a presque changé en un temps record », a renseigné un douanier retraité sous le sceau de l’anonymat.« Il y a quelques années, tu peux voir un douanier débarquer avec des dizaines de millions dans un bar restaurant prisé de la capitale et payer à boire à tous ceux qui le caressent dans le sens des poils », a poursuivi notre confident.
Célèbres pour leur goût prononcé pour la fête, les douaniers ne s’illustrent pas que dans ce domaine. Ils étaient aussi accrocs à la ‘’bonne chair’’. Ce qui ne manque pas dans nos villes. « Avant, j’ai un ami douanier qui me donnait de l’argent assez régulièrement. Il m’offrait tout ce que je lui demandais. Et je savais qu’il avait d’autres femmes comme moi pour qui il dépense », a confessé Martine L., secrétaire de direction. « J’étais étudiante et il payait ma scolarité et m’entretenait. Il avait des collègues qui avaient aussi des femmes dehors. Pour les fêtes, ils ne viennent jamais avec leurs femmes mais avec différentes maîtresses à chaque fois qu’ils veulent sortir ensemble. Ces gens-là donnaient facilement le million si vous êtes gentille avec eux », a-t-elle complété. Comme Martine, elles ont été nombreuses à jouir des largesses des disciples de saint Mathieu. Mais, au bout du compte, le constat est amer de plusieurs côtés. « Les douaniers ? Ils étaient super puissants parce qu’ils avaient de l’argent à ne savoir quoi en faire. Et l’argent ne leur servait pas à grand-chose. Rien que des futilités et des perversions. Boissons et femmes. C’est tout. Quand un douanier s’intéressait à une femme, il valait mieux lui demander pardon ou aller chercher une autre femme. Ces gens-là avaient vraiment de l’argent », confie François Adogoni, enseignant à Cotonou.
Les agents de la douane béninoise vivaient à un niveau où leurs salaires ne leur permettaient pas de vivre. Pour preuve, une comparaison assez simple : les agents de la douane du Bénin n’étaient pas comparables à leurs homologues du Togo. En effet, ceux du Togo vivaient de leurs salaires qui avoisinaient ceux des agents de police mais ceux du Bénin pouvaient dépenser des multiples de leurs salaires en une soirée. A telle enseigne qu’il y a quelques années, jusqu’en 2016 surtout, les élèves et étudiants rêvaient tous d’entrer dans ce corps de métier. Réussir au concours d’entrée à la douane était célébré comme la concrétisation d’une vie. Car, tout le monde s’accordait à reconnaître que l’heureux élu serait multi millionnaire en une année de fonction. Et c’était totalement vrai.
De même, les douaniers étaient parmi les plus grands acquéreurs de parcelles au Bénin. Non seulement pour investir les fonds gagnés mais aussi parce qu’ils avaient une quantité importante de femmes et d’enfants à héberger. « Les femmes aiment l’argent. Donc un douanier devient comme du miel et les femmes, des essains de mouches », a commenté Chantale L., gérante d’un restaurant à Cotonou. Cependant, une corporation qui travaille avec les douaniers a aussi hérité de ces habitudes.
Les transitaires, même si leur déclin a commencé plus tôt que celui des douaniers, avaient développé des comportements similaires à ceux des douaniers pendant leurs heures de ‘’gloire’’. En effet, les transitaires travaillaient en étroite collaboration avec les douaniers et ils gagnaient aussi beaucoup d’argent. « Jusque dans les années 2010, 2014, nous gagnions encore un peu. Je dis un peu parce que je compare cette période à la période faste des années 90 », confie Aladji T.J., ancien transitaire aujourd’hui reconverti dans d’autres activités. « Le transit a commencé par être saturé petit à petit mais après 2016, les autres transitaires qui avaient réussi à s’accrocher au secteur ont compris qu’il faut lâcher prise. Ils ne sont pas sortis du secteur comme moi, mais c’est juste qu’il n’y a plus les douaniers avec qui faire affaire. Il y a des machines à leur place. Peut-on négocier avec des machines ? Et puis le gouvernement ne s’amuse plus maintenant. Donc le peu qu’on gagne, on le dépense avec précaution. Et on ne s’embarrasse avec les femmes et les fêtes dépensières comme avant. Il n’y a plus de business, tout est clair maintenant », a-t-il renseigné.
Le tandem pour détourner les fonds
La richesse extravagante des douaniers depuis des décennies ne peut se justifier légalement. En effet, les salaires et autres primes qu’ils recevaient ne leur permettaient non seulement pas de vivre au niveau où ils étaient pour une bonne partie mais aussi pas de posséder autant de biens financiers et matériels. Ainsi donc, les fonds que les douaniers dépensaient étaient en fait issus des accords qui les liaient aux transitaires. Selon des sources concordantes ayant requis l’anonymat, les douaniers s’entendaient avec les transitaires pour priver les caisses de l’Etat des frais de douanes. « Pour une marchandise à dédouaner à 25 millions FCFA, le douanier dédouane à 10 millions FCFA et partage les 15 millions FCFA restants avec le transitaire », a confié un ancien aide des douaniers communément appelé ‘’klébé’’. Pour preuve, il y a quelques années, un douanier a été surpris avec plusieurs dizaines de millions dans son bureau sans justification.
La ceinture de la ‘’Rupture’’ serre tout le monde, à présent
Le douanier fait des calculs avant de dépenser, aujourd’hui. Il respecte mieux et fait plus attention aux choses que par le passé. « Ils ne sont plus arrogants ou gonflés » a expliqué un agent des douanes à la retraite.« Moins de douaniers sont abonnés aux buvettes et bars VIP » a ajouté le responsable d’une buvette sise à Cotonou.
Pour rappel, plusieurs réformes ont été instaurées au niveau de la régie principale des recettes qu’est la douane. La mise en œuvre du Programme de vérification des importations (PVI) avec ses exigences et l’interdiction aux agents des douanes de collaborer avec les “klébés”. Cette dernière est une injonction de la direction générale de la douane. Pour preuve, lors d’un déplacement à Sèmè-Kraké en septembre 2018 du directeur générale de la douane, Charles Sacca Boco et de l’ancien DG de la police républicaine, Nazaire Hounnonkpè, les deux directeurs généraux avaient interdit à leurs troupes de collaborer avec les « klébés ». « Les ‘’klébés’’ sont rigoureusement interdits sur toute l’étendue du territoire national. S’il y a de la résistance de leur part, nous devons faire une enquête judiciaire et les présenter au Procureur de la République. Ils ne font partie, ni du dispositif de contrôle douanier, ni du dispositif de contrôle de sécurité. Ils sont des éléments encombrants nuisibles au bon fonctionnement du dispositif » indiquait le DG Nazaire Hounnonkpè. A cette occasion, Charles Sacca Boco, directeur général des douanes, a fait part des mesures prises pour faire respecter la déontologie et l’éthique au sein des disciples de saint Mathieu. A l’en croire, il y a eu des missions d’informations dans plusieurs unité, ce qui a abouti à des sanctions au premier degré contre certains douaniers. « Nous prenons l’opinion à témoin pour que dès qu’il y aura des mesures disciplinaires, les uns et les autres se retrouvent à travers les sanctions qui leur seront infligées. Les déclarations et les quittances fantaisistes qui servent à rançonner ne seront plus de nos habitudes » a-t-il indiqué. Il faut mentionner que des numéros verts existent pour donner des informations sur douaniers et policiers.
Le PVI, un réformateur des douaniers
La mise en œuvre du Programme de vérification des importations constitue l’une des réformes économiques phares du changement de la vie des douaniers. Car, non seulement ce programme évite le contact direct entre opérateurs économiques et agents de douane mais contribue aussi à la facilitation des formalités d’enlèvement des marchandises au cordon douanier, l’amélioration des recettes douanières, la lutte contre la fraude douanière et l’insécurité. « Aujourd’hui, les officiers qui interviennent dans le processus disposent d’un code d’accès pour entrer dans la base de données de l’opérateur agréé pour des consultations » confie un responsable dans le processus de dédouanement des marchandises. Il faut préciser que le Programme de vérification des importations (PVI) Nouvelle Génération est mis en œuvre par la société Bénin Control SA en collaboration avec la douane. Le PVI version 2017 ne soumet plus tous les produits importés à l’application de la valeur transactionnelle. Dix produits de grande consommation seront désormais dédouanés sur la base de la valeur ajustée à titre exceptionnel. « Désormais en cas de contestation, les marchandises peuvent être enlevées sur la base de la valeur déclarée par l’usager, mais avec une garantie équivalente au montant retenu par Bénin Control. A l’issue du processus, la garantie est retournée à l’usager lorsque ce dernier réussit à fournir les preuves suffisantes pour justifier sa valeur déclarée », selon les explications d’un opérateur économique. La vérification des marchandises implique donc la vérification documentaire des prix déclarés et la détermination de la valeur en douane ; la vérification de la quantité et du poids des marchandises; l’émission de façon électronique au profit de l’importateur et de l’administration des douanes d’une attestation de vérification documentaire (AVD) dont la présentation est obligatoire pour le dédouanement des marchandises. Les méthodes et outils universellement admis en vue de certifier pour le compte de l’administration des douanes, le poids et la quantité de tous biens importés en vrac au Bénin quel que soit le régime douanier, les Certificats de poids et de quantité émis permettent à l’administration des douanes d’avoir une idée précise sur la quantité réellement importée de ces biens. Le système réduit le contact du douanier et des hommes d’affaires.
Le suivi électronique des véhicules
Le suivi électronique des véhicules en transit est entré dans sa phase active depuis juillet 2017 et permet à Bénin Control SA en appui à l’administration des douanes de suivre électroniquement par un système de lecture automatique de code barre à des check points, les véhicules en transit par le Bénin jusqu’à leur sortie effective du territoire national. Quatre lectures électroniques sont préconisées sur le parcours et permettent la délivrance effective des attestations de suivi électronique, une à la sortie des parcs de vente, une à l’entrée des parcs de regroupement, une autre à la sortie du parc et une dernière à la frontière de sortie du pays. L’organisation du convoyage des véhicules en transit des parcs de vente vers les parcs de regroupement, la gestion des conducteurs prestataires et la sécurisation des corridors sont assurées par la douane. Le tracking des cargaisons des autres marchandises vise la facilitation et la fluidification des opérations de transit des cargaisons des marchandises par le Bénin. En lieu et place de l’escorte physique, ces cargaisons sont suivies et localisées en temps réel par Bénin Control et l’administration des douanes aux moyens des balises GPS jusqu’à leurs sorties du territoire. Ce programme permet de lutter contre les déversements frauduleux. L’inspection par rayon-X des cargaisons de marchandises débarquées en République du Bénin a pour objectif, l’efficacité des contrôles par l’administration des douanes et la célérité des opérations d’enlèvement de marchandises. La détermination du contenu d’un chargement ou d’un colis se fait donc par une inspection non intrusive en quelques minutes par des scanners à rayon-X. Cette méthode d’inspection a induit une certaine rapidité dans les contrôles et une très grande facilitation et fluidification des opérations d’enlèvement des marchandises au Port autonome de Cotonou.