Cela fait presque l’unanimité chez tous les grands penseurs économiques du continent africain et même des chefs d’Etat. L’Afrique doit adopter de nouvelles politiques économiques et, développer des stratégies capables de lui permettre de rester plus compétitive dans l’économie mondiale. Et la pandémie de coronavirus qui sévit dans tous les pays du monde sonne le glas d’un réveil économique en Afrique.
Après une décennie de confiance retrouvée, des doutes sont de nouveau apparus sur la capacité de l’Afrique à maintenir des taux de croissance élevés de façon durable. Le retournement du cours des matières premières entamé en 2014 a, en effet, donné un coup d’arrêt à l’épisode de croissance élevée des années 2000. Après un temps d’emballement sur ses perspectives économiques encourageantes, voilà que l’Afrique est de nouveau face à un moment de questionnement sur son modèle de développement.
Quelles politiques économiques pour les pays africains après la crise sanitaire liée au coronavirus ?
Selon l’économiste béninois, Barthélémy SENOU, la meilleure solution qui s’offre aux pays en développement dans le contexte actuel du COVID-19, reste et demeure un « endettement responsable », si ces pays veulent réduire les écarts déjà croissants entre eux et les pays du nord en matière de facilité d’accès aux ressources du marché financier. Mais l’efficacité de l’option d’un « endettement responsable » implique des sacrifices pour les pays concernés. Sacrifices qui peuvent se résumer en un énorme effort de gouvernance et d’assainissement des finances publiques, afin d’accroître l’efficacité de l’utilisation de la dette, avec des choix courageux qui devront s’inscrire dans une vision de moyen et long terme. Une rationalisation de la dépense publique est alors nécessaire pour assurer non seulement les besoins urgents en matière de réponse aux effets de la pandémie, mais aussi, pour induire des effets positifs des dépenses publiques sur le moyen et le long terme. Dans ce cadre, il va falloir faire une bonne gouvernance pour être en mesure d’émettre de bons signaux sur les marchés financiers. Ce qui permettra aux africains de lever à moindre coût, dans le moyen et le long terme, les ressources financières nécessaires pour le financement des économies. Le rôle des Institutions internationales sera alors d’accompagner les pays à asseoir davantage les bonnes pratiques en matière de gouvernance et d’assainissement des finances publiques. Ce faisant, les pays pourront se mettre dans une logique d’endettement responsable et sans se contenter de solliciter une quelconque « indulgence des créanciers ». Dans la même dynamique, l’économiste togolais, Kako Nudukpo dans une tribune publiée la semaine écoulée, estime que la pandémie du Covid-19 rebat les cartes de la mondialisation actuelle : elle perturbe les chaînes logistiques mondiales, rend incertain l’approvisionnement en biens et services dans le monde, crée de nouvelles hiérarchies entre les nations consécutives à la nature plus ou moins optimale de la réponse des États à la crise et enfin, provoque une chute sans précédent de la demande mondiale. L’universitaire togolais va plus loin « Les théories traditionnelles du commerce international, d’inspiration libérale, s’appuient sur les dotations factorielles naturelles pour spécifier les spécialisations des États et des continents dans les échanges internationaux. Si on s’en tient à la théorie de Hecksher-Ohlin-Samuelson (HOS), l’Afrique devrait se spécialiser dans les produits à forte intensité de main d’œuvre et dans l’exportation de matières premières, toutes choses dont elle dispose en abondance. Cela tombe bien, car les pays industrialisés et les pays émergents ont besoin des matières premières africaines pour faire tourner leurs usines et approvisionner leurs consommateurs de biens et services transformés à partir justement des matières premières africaines. Que l’Afrique fasse l’effort de se doter de capital idoine pour transformer sur place ses matières premières et, créer ainsi de la valeur ajoutée et des emplois qu’elle ne rentre absolument pas dans ce référentiel néo-libéral fondé sur les avantages comparatifs « naturels ». Pourtant, et la crise actuelle le montre à l’envi, la transformation sur place des matières premières et la remontée dans les chaînes de valeur nationales, régionales et internationales, constituent la voie à suivre par l’Afrique pour sortir d’une insertion primaire suicidaire au sein du commerce international.»
Les nouveaux enjeux de développement de l’Afrique
La conférence sur le développement durable et la dette soutenable tenue à Dakar au Sénégal en décembre dernier, s’est aussi penchée sur la situation économique de l’Afrique. Décliné en 7 points, ce qui est communément appelé le consensus de Dakar se veut une proposition innovante pour permettre à l’Afrique de trouver son équilibre économique dans le monde. Il s’agit en premier lieu, de la nécessité pour l’Afrique de renforcer la mobilisation de ses ressources internes, fiscales et épargne publique pour financer le développement ; ensuite, l’impératif d’amélioration continue de la gouvernance des finances publiques et de l’environnement des affaires ; la nécessité de prendre en compte la contrainte particulière liée à l’impact environnemental, notamment le changement climatique et, aux dépenses en matière de sécurité face au choc terroriste ; de l’urgence des besoins d’investissement en Afrique ; urgence et besoins qui constituent aussi des opportunités pour relever la croissance économique à l’échelle mondiale. Chaque investissement qualitatif en Afrique génère en effet un impact positif non seulement pour le pays concerné mais également, pour l’investisseur lui-même. Le cinquième point de ce manifeste souligne les méfaits de l’échange inégal, notamment la faible rémunération des matières premières et le déficit, encore persistant dans la création de chaînes de valeurs par la transformation locale des produits. Ce qui pose ipso facto la question cruciale de l’industrialisation de l’Afrique. Le sixième point met en exergue le caractère très exagéré de la perception du risque en Afrique ; ce qui a pour conséquence de renchérir davantage l’investissement et le coût de la dette. Et enfin, le septième point met l’accent sur la nécessité de poursuivre la collaboration féconde entre les pays et les partenaires bilatéraux et multilatéraux, pour trouver les bases d’une gouvernance financière mondiale plus équitable afin que l’Afrique, grâce à des investissements massifs, soit l’une des locomotives de la croissance mondiale. Les grands enjeux économiques du continent en 2020, c’est de la réalisation des ODD qu’il est fondamentalement question. L’enjeu économique est bien entendu incontournable : la dernière crise économique africaine, provoquée par la chute du prix des matières premières en 2014, a été terriblement coûteuse sur les plans humain et social. Les inquiétudes entourant les trajectoires d’endettement sont le reflet de cette préoccupation. Car une nouvelle crise risquerait de fragiliser les acquis de ces dernières années. Les enjeux sont désormais très grands pour les décideurs du continent qui devront tout faire pour bien négocier le virage après le covid-19. Une maladresse dans les choix économiques pourrait être suicidaire pour le continent.
Gédéon VEGBA (Coll Extérieure) Journaliste spécialiste des questions économiques