L’urbanisation en Afrique est une transformation irréversible, avec une population urbaine qui devrait doubler d’ici 2050. Cette mutation pose des défis considérables, mais offre également des opportunités majeures, notamment pour l’autonomisation des femmes. Aujourd’hui, plus de 50 % des Africaines vivent en milieu urbain, où elles occupent une place prépondérante dans les économies locales. Pourtant, la planification et la gouvernance urbaines continuent d’ignorer leurs réalités et besoins spécifiques.
Par Luc Gnacadja, Président de GPS-Development, ancien ministre de l’Environnement et de l’Urbanisme du Bénin
Dans un continent où 90 % des femmes entrepreneures évoluent dans le secteur informel, leur rôle est fondamental pour la résilience économique des villes. Mais cette position dominante dans l’économie ne se traduit pas par un accès équitable aux ressources et opportunités. Entre précarité foncière, difficultés d’accès aux infrastructures et sous-représentation dans la gouvernance urbaine, l’urbanisation africaine ne parvient pas encore à devenir un levier d’émancipation féminine. Comment dès lors concilier l’essor des villes africaines avec une transformation structurelle garantissant aux femmes un rôle moteur dans leur développement économique et social ?
Une urbanisation qui ne profite pas encore aux femmes
L’expansion des villes africaines s’est souvent faite au détriment d’une approche inclusive du développement. L’accès au foncier et au logement demeure l’un des obstacles majeurs à l’émancipation économique des femmes. Moins de 30 % des propriétés urbaines sont détenues par des femmes, un frein considérable à l’investissement et à la stabilité économique. Or, sans droit de propriété, difficile d’accéder à des financements ou de sécuriser une activité entrepreneuriale pérenne.
Par ailleurs, les problématiques de mobilité urbaine sont rarement pensées sous un prisme genré. Dans la majorité des métropoles africaines, les femmes sont plus dépendantes des transports en commun que les hommes, combinant souvent déplacements professionnels et responsabilités familiales. Cependant, les infrastructures de transport ne sont pas adaptées à ces usages spécifiques : les temps de trajet sont allongés, les coûts excessifs, et l’insécurité constitue un frein majeur à leur mobilité.
L’insécurité urbaine représente un autre défi critique. Selon des enquêtes menées dans plusieurs capitales africaines, plus de 60 % des femmes disent avoir été victimes de harcèlement ou de violences dans l’espace public ou dans les transports. Dans ce contexte, certaines initiatives émergent, comme l’intégration de budgets sensibles au genre dans les politiques urbaines de Dakar ou Kigali. Toutefois, ces efforts restent encore marginaux face à l’ampleur des inégalités.
Le levier économique sous-exploité de l’entrepreneuriat féminin
Malgré ces contraintes, les femmes constituent un moteur économique incontournable dans les villes africaines, en particulier dans le secteur informel. De la vente de denrées alimentaires à l’artisanat, la mode ou les services, elles dominent plusieurs segments économiques. Cette réalité est d’autant plus marquante dans des pays comme le Bénin, le Ghana ou le Nigeria, où le commerce informel féminin structure une grande partie de l’économie locale.
Cependant, leur activité est souvent entravée par un accès limité au financement et une absence de dispositifs de formalisation adaptés. Les banques traditionnelles exigent des garanties souvent inaccessibles aux femmes, et moins de 10 % des crédits accordés aux PME en Afrique subsaharienne bénéficient aux femmes entrepreneures.
Face à cette situation, certaines plateformes et initiatives tentent d’apporter des solutions innovantes. SheTrades en Afrique du Sud ou encore des programmes de microfinance ciblés au Bénin, en Côte d’Ivoire ou encore au Sénégal montrent que des mécanismes adaptés peuvent permettre aux entrepreneures de sortir de l’informalité et d’intégrer des chaînes de valeur plus structurées.
Intégrer l’approche genre dans la gouvernance urbaine : un impératif stratégique
Si les femmes sont incontournables dans l’économie urbaine, elles restent largement exclues des instances de décision. Moins de 20 % des maires en Afrique sont des femmes, et leur représentation dans les conseils municipaux demeure insuffisante pour peser sur les orientations stratégiques des villes. Cette absence de leadership féminin a des conséquences directes : les politiques urbaines continuent d’être conçues sans prise en compte des spécificités de la moitié de la population.
La solution réside dans une refonte des cadres de gouvernance urbaine, intégrant des mécanismes garantissant une représentation équitable des femmes. Des pays comme le Rwanda ou l’Afrique du Sud ont démontré qu’une intégration proactive des femmes dans la gestion municipale produit des impacts tangibles sur les politiques de logement, de transport et d’accès aux infrastructures.
Construire des villes inclusives : un impératif économique et social
Le continent africain ne peut se permettre une urbanisation qui exclut une partie de sa population. L’autonomisation des femmes ne relève pas d’un simple enjeu d’égalité, mais d’un impératif économique majeur. Des études de la Banque mondiale montrent que réduire l’écart de genre dans l’accès aux ressources économiques pourrait accroître le PIB de plusieurs pays africains de plus de 20 %.
Plusieurs axes d’action doivent être privilégiés pour faire des villes africaines des catalyseurs de l’émancipation féminine :
✅ Garantir l’accès au foncier et aux infrastructures : Sans titre de propriété ni espace de travail sécurisé, les entrepreneures urbaines resteront piégées dans la précarité. Des réformes foncières sensibles au genre doivent être mises en place.
✅ Investir dans des politiques de mobilité urbaine adaptées : Des initiatives comme les bus réservés aux femmes au Caire ou les projets de transport sécurisé à Nairobi doivent être généralisées.
✅ Accélérer la transition vers l’inclusion financière : Le développement de fonds d’investissement et de garanties spécifiques pour les femmes entrepreneures pourrait être un levier puissant pour la transformation économique urbaine.
✅ Renforcer la participation des femmes dans la gouvernance urbaine : La mise en place de quotas dans les conseils municipaux et l’intégration de budgets sensibles au genre doivent devenir la norme dans la gestion des villes africaines.
En somme, l’urbanisation représente une opportunité historique pour transformer les sociétés africaines, à condition qu’elle soit inclusive et équitable. Pourtant, les femmes, actrices essentielles de l’économie urbaine, restent entravées par des barrières structurelles qui limitent leur accès aux ressources et à la gouvernance. Tant qu’elles seront marginalisées dans la planification et le développement urbain, l’Afrique continuera de sous-exploiter son potentiel.
Faire des villes africaines des espaces de prospérité et d’innovation exige une intégration systématique des enjeux de genre dans l’urbanisme, les politiques économiques et la gouvernance locale. Il est temps d’investir dans une urbanisation qui reconnaît pleinement les rôles, les capacités et les défis des femmes, afin de bâtir des métropoles compétitives, résilientes et véritablement transformatrices.