Les médias béninois sont durement éprouvés par la situation économique peu reluisante de leur secteur. L’économie des médias béninois est, en effet, caractérisée par le coût surélevé des intrants. Elle se caractérise aussi par l’immobilisme des dirigeants qui s’abstiennent d’accompagner les promoteurs d’entreprises de presse minés par leurs propres contradictions. Et, le 4ème pouvoir peine à prendre ses marques dans un Etat démocratique.
Jean-Claude KOUAGOU
Le coût de production et d’édition d’un journal au Bénin, s’est valorisé sur la période 2021-2022 dans un contexte de crise économique mondiale. Aux réalités du monde qui rendent la vie chère sur la planète, s’ajoutent les pratiques et les attitudes des promoteurs d’entreprises de presse et des dirigeants béninois peu favorables à l’éclosion de médias constitutifs d’un 4ème pouvoir dans un régime démocratique. Sur le plan théorique, Paul Elliot Starr, professeur de sociologie et d’affaires publiques à l’Université de Princeton et Co-fondateur de « The American Prospect », un magazine libéral créé en 1990 aux Etats-Unis, souligne qu’il existe des moments où des choix décisifs pour la constitution des médias doivent être opérés. Il en repère trois catégories. « Premièrement, les règles juridiques et normatives générales concernant des questions comme la liberté d’expression, l’accès à l’information, la vie privée et la propriété intellectuelle ; deuxièmement, la forme particulière des supports de communication, la structure des réseaux et l’organisation des industries ; et troisièmement, les institutions concernées par la création du capital immatériel et humain : l’éducation, la recherche et l’innovation ». L’analyse du professeur Paul Starr met l’accent sur trois acteurs à savoir : le Parlement qui doit légiférer en créant des conditions juridiques propices à la promotion des entreprises de presse. Secundo, les acteurs des médias eux-mêmes qui doivent savoir de manière réelle ce qu’il leur faut pour le développement des entreprises de presse et implicitement pour l’épanouissement des animateurs des médias et enfin tertio, le pouvoir exécutif chargé de parfaire et d’opérationnaliser les bonnes intentions des deux premiers acteurs. Lorsque chaque catégorie d’acteurs joue bien sa partition, le climat des affaires dans le secteur des médias devient favorable à l’essor d’entreprises de presse viables. C’est d’autant plus important que Marie-Soleil Frère, spécialiste belge des médias africains, rappelle le rôle que jouent les médias avant de se prononcer sur l’économie spécifique à ce secteur. Pour Marie-Soleil Frère : « les journaux, stations de radio et de télévision, sites d’information ne constituent pas seulement des entités qui contribuent au débat politique et incarnent la démocratie, ils reposent sur des appareils de production qui positionnent leur produit dans un marché concurrentiel, où s’imposent les impératifs de survie de l’entreprise ». En effet, explique-t-elle, si les rapports de forces sociopolitiques sont importants dans le système médiatique, « la capacité des médias à nourrir la vie démocratique dépend aussi étroitement de leur viabilité économique ». Dans une approche analytique, Marie-Soleil Frère fait savoir que « L’économie est sans doute le domaine le plus négligé de l’étude des médias d’Afrique subsaharienne, mais aussi d’Europe, où prédominent les analyses du discours et du rôle politique des médias. « Cette carence est liée à la place mineure du secteur d’activité médiatique au sein de l’économie, ainsi qu’à l’absence de statistiques et d’institutions – publiques ou privées – susceptibles de collecter des données. Pourtant, en tant qu’entreprises, les médias intègrent un marché et s’inscrivent dans des dynamiques économiques qui configurent les systèmes médiatiques du continent, au même titre que les interactions avec les pouvoirs publics ou les relations internes à la corporation des journalistes…
Un modèle économique mortifère
Le modèle économique de la presse béninoise est essentiellement basé sur la prestation. C’est un modèle qui a montré ses limites avec la pléthore des organes de presse pour une clientèle qui est marginale. Ce rapport disproportionné entre la portion congrue des clients et les services offerts par les médias montre que le modèle économique de la presse béninoise est mortifère, limitant le pouvoir économique à la subsistance. Il faut rappeler sous la bannière du Code de l’information et de la communication que l’activité des médias s’exerce sous le couvert d’une entreprise : établissements, sociétés, agences de communication qu’il faut considérer comme des entreprises commerciales. Les médias, bien que rendant des services d’information à la communauté, sont soumis au régime commercial avec la détention de registre de commerce. En tant que tel, les médias font du « business » pour subvenir aux charges vitales de l’entreprise dont les principales sont : les charges salariales, les divers impôts, les loyers pour ceux qui sont en location, les intrants d’édition des journaux et les équipements renouvelables à intervalles réguliers de temps. Ce préalable permet d’apprécier la nécessité pour les médias d’être financés pour être viables. Le Code de l’information prévoit à juste titre « l’aide de l’Etat à la presse privée » et le « financement des médias de service public » à l’effet de soutenir les ressources propres des entreprises de presse. Ces ressources propres sont générées par de nombreuses prestations. D’abord, la vente de journaux. Cette activité était jadis, une source de financement de la presse écrite bien que marginale. Avec le développement du numérique, cette source est devenue quasi nulle. Il y a ensuite la vente des espaces (colonnes de journaux, tranches d’émission). Il s’agit d’espaces mis à la disposition des clients qui expriment le besoin de les occuper. Ces espaces sont vendus à des tarifs bien déterminés, surtaxés au besoin suivant les exigences du client. La vente des espaces constitue donc une source privilégiée de financement des médias de tous ordres : (presse écrite, télévision et radio) du secteur public que du secteur privé. Ces espaces peuvent prendre la dénomination de publi-reportage ou d’insertion publicitaire. Cette source de financement, la principale, se révèle insuffisante pour supporter les charges incompressibles des entreprises de presse. D’où il faut des ressources additionnelles pour permettre aux entreprises de presse de pouvoir survivre. Par ailleurs, au titre des ressources propres, il ne serait pas superflu d’ajouter les dons et legs provenant de bonnes volontés, le plus souvent des opérateurs économiques et des hommes politiques qui ont intérêt à soutenir financièrement l’organe. C’est une « manne occulte » frappée du sceau de confidentialité, relevant souvent de la discrétion du Promoteur de l’entreprise de presse ou de son homme de confiance. C’est une ressource qui devient aussi rare avec la loi sur le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme.
En dehors des ressources propres, les médias peuvent bénéficier de sources publiques. A ce propos, il existe des sources publiques de financement des médias réparties en deux catégories : l’aide de l’Etat à la presse privée et le financement public des médias de service public. En ce qui concerne l’aide de l’Etat à la presse privée, elle ressemble à une étoile polaire qu’on rêve de toucher sans jamais y parvenir. Elle est prescrite par le code de l’information et de la communication en ses articles 37 et 38 puis, instituée par l’article 39 sous la dénomination de « Fonds d’aide au développement des médias (FADEM) ». Ce Fonds n’a jamais été opérationnel depuis l’entrée en vigueur du Code de l’information et de la communication en mars 2015. Quant au financement des médias de service public, il a toujours été assuré par l’Etat à travers les lois de finances. C’est dire que les charges essentielles des médias de service public sont imputables au budget général de l’Etat. Il n’est pas exclu que les médias de service public puissent bénéficier de dons et legs qui constituent des sources occasionnelles de financement.
En définitive, les médias béninois, qu’ils soient publics ou privés ont trois sources de financement : la vente des espaces médiatiques, les dons et legs et enfin les subventions de l’Etat au profit des médias de service public et l’aide de l’Etat à la presse privée qui tarde à se concrétiser de manière conséquente. Il faut changer de fusil d’épaule en changeant de paradigme.
La presse béninoise face aux coûts élevés des intrants
L’édition d’un journal en presse écrite fait appel à l’utilisation de certains intrants que sont : les calques pour l’impression des informations mises en page ; les plaques destinées à recevoir, par un mécanisme de photosynthèse, les informations des calques ; les rames de papier offset destinées à recevoir les informations des plaques sous presse ; les encres d’impression dans les machines de presse. En 2021, le prix d’achat d’un carton de plaques-kord est passé progressivement de 18.500F à 36.000F et à 38000F. Le même carton de plaques-kord est cédé à des prix variant entre 40.000F et 48.400F en 2022. De 18.500F en mars 2021 à 48.400F au 24 novembre en 2022, le prix d’achat du carton de plaques-kord s’est accru de 261,62%.
Le carton de calques A3 acheté à 17.500F en janvier 2021 s’est valorisé à 18.000F en septembre de la même année. Le coût des rames de papiers offset a connu une tendance haussière sous la période couverte. En effet, le prix de la rame de papier offset qui est de 15.000F le 17 juin est passé à 15.500F le 18 août et à 16.000F le 4 octobre 2021. Le prix de la même denrée est passé à 25.000F, 27.500f, et 28.500F au cours de l’année 2022. De 15000F à 28.500F, la rame de papiers d’imprimerie pour le journal a connu une augmentation de 190%. Avec ces montées en flèche des coûts des intrants, il y a des raisons d’asphyxier les médias et de les étouffer.
Appel à un sursaut patriotique de Basile Tchibozo
L’ancien président du patronat de la presse béninoise, Basile Tchibozo n’entrevoit pas le contraire et appelle à un sursaut patriotique. « Avec le coût galopant des intrants dû à la cherté de la vie, au surenchérissement des cours et la guerre en Ukraine, je crois qu’on vit une situation difficile en ce qui concerne l’acquisition des intrants. Tout est devenu cher. Les calques sont chers qu’auparavant, la facturation monte en épingle à l’imprimerie. Au niveau de l’audiovisuel, les caméras, les micros etc. sont devenus chers à telle enseigne que c’est très difficile aux gens de s’en sortir aujourd’hui ». Le président Basile Tchibozo précise que « ces organes sont sans aides, sans appuis, sans subventions et sont obligés de travailler à base de leurs propres revenus. Revenus qui n’existent pratiquement pas du fait de la situation générale dans les médias que nous connaissons. Il s’agit d’un certain nombre de possibilités du point de vue économique pour exister. « L’économie des médias est complètement bancale au Bénin. Les entreprises vivent très mal. Elles ont des problèmes difficiles, des fins du mois difficiles à tenir, des loyers difficiles à payer, le personnel difficilement payable. Beaucoup d’organes sont obligés de fermer à cause de tout ça », se désole Basile Tchibozo ancien président du CNPA-Bénin.
Les alternatives possibles
Le changement de modèle économique pour plus de viabilité des médias béninois n’emporte pas encore l’adhésion de tous les patrons de presse. Le président de la plateforme des promoteurs et acteurs des médias du Bénin (Padem), Basile Tchibozo exprime ses regrets pour le peu d’engouement à un sursaut patriotique salvateur. « Les patrons de presse n’accordent pas leurs violons. J’ai ouï dire qu’au niveau des associations faîtières, au niveau de la HAAC, les violons ne sont pas accordés. Même les membres qui ont siégé au niveau du fonds ne s’entendent pas forcément avec, semble-t-il, la HAAC pour les orientations stratégiques à donner au Fadem. J’ai appris que le secrétariat exécutif devrait être installé. Il y a eu un appel d’offre qui a été lancé, mais ça n’a jamais abouti. Sans cette mise en place, ce n’est pas évident qu’on puisse avoir les fonds », rapporte Basile Tchibozo. Il fait savoir qu’au plus haut niveau de l’État, on a constaté que les acteurs des médias ne sont pas unis. Il en déduit que l’Etat a jugé inutile de mettre l’argent dans le FADEM pour le compte des entreprises de presse. « Or l’argent existe parce que l’aide qui a été attribué est celle de 2015. Ça veut dire qu’en 2016, 2017, 2018, 2019, 2000, 2021, 2022 nous avons 350.000.000 multipliés par sept qui sont au niveau de trésor public », explique-t-il. « Demander ce fonds et l’envoyer au niveau de FADEM ce serait que justice. Donc, il ne s’agira pas pour le gouvernement de sortir l’argent à part, l’argent est déjà là. L’agrégation de toutes ces aides doivent nous permettre d’avoir le fonds et de lancer les grands projets structurants de la corporation. Il faut que les acteurs de la presse s’entendent pour un nouveau sursaut », exhorte Basile Tchibozo. Malgré la situation chaotique des médias, le président de la Padem ne désespère pas. « Au fond du désespoir, il a toujours une lueur d’espoir. La lueur d’espoir, c’est que nous allons nous battre pour faire bouger les lignes au niveau du gouvernement pour que ce qui doit être obtenu, soit obtenu. Il faut que les acquis qui sont les nôtres soient rétablis. Les médias ne peuvent exister que dans un environnement de publicité évidente à travers une régie publicitaire, dans un environnement décentralisé des intrants à moindre coût ou par paiement différé, dans un environnement où il y a une fiscalité allégée comme l’indique le code de l’information et de la communication en son article 40. Sans la presse il n’y a pas un État, il n’y a pas de démocratie. La fiscalité réduite, on doit aussi l’obtenir », plaide l’ancien président du Conseil national de la presse et de l’audiovisuel du Bénin (CNPA-Bénin). Par ailleurs, Basile Tchibozo établit des liens de causalité entre le taux de létalité des acteurs des médias et le faible pouvoir économique des entreprises de presse. Pour lui, « si aujourd’hui le taux de mortalité des agents de presse est trop fort, c’est à cause de la situation économique des médias. Il peint le tableau que voici : « Avec toutes sortes d’acrobaties, il y a des journaux qui n’existent plus aujourd’hui. Des télévisions qui se cherchent, des radios qui balbutient. Si on doit rester là, on risque tous d’aller dans le décor, d’aller dans l’abime. C’est pourquoi, nous devons tout faire pour nous relever pour sonner le tocsin. Ça va de soi que lorsqu’on ne se met pas ensemble, très peu vont s’en sortir. Or si peu s’en sortent dans le grand nombre, ça ne veut rien dire. Quand, c’est quelques organes qui ont la publicité, ça n’a aucun sens dans une République. On n’est pas dans une monarchie où c’est l’organe du prince, l’organe du roi qui doit faire tout. Non, je crois que nous allons tout faire pour que l’avenir ne soit pas hypothéqué. Je crois qu’il est juste et bon que nous sachions qu’il faut lutter », encourage le président Tchibozo pour des luttes libératrices.