Dans la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), les jugements des affaires de blanchiment de capitaux et financement du terrorisme sont très faibles. C’est ce que renseigne, le rapport annuel 2022 du Groupe Intergouvernemental d’Action contre le Blanchiment d’Argent en Afrique de l’Ouest (Giaba) sur l’évaluation des défis en matière d’enquête, de poursuite et jugement des affaires de blanchiment de capitaux et financement du terrorisme en Afrique de l’ouest.
Abdul Wahab ADO
Dans l’ensemble des 14 pays de la CEDEAO visités que sont : Bénin, Burkina Faso, Cabo Verde, Côte d’Ivoire, Gambie, Ghana, Guinée-Bissau, Mali, Libéria, le Niger, le Nigéria, le Sénégal, Sierra Leone, Togo, on note un faible nombre de jugements rendus sur les affaires relatives au Blanchiment de capitaux ou au Financement du Terrorisme. Ce sont au total cent-sept (107) cas de poursuites qui ont été identifiées au moment des visites de terrain des experts du Giaba. Cette performance ne reflète pas avec cohérence les menaces de BC/FT identifiées dans ces pays. Le rapport annuel du Giaba indique que là où des décisions sont rendues par les tribunaux en vue de la confiscation, l’absence de documents d’exécution constitue une entrave au recouvrement des avoirs confisqués. La coopération internationale est reconnue comme étant un outil essentiel en matière de LBC/FT non seulement dans les enquêtes sur les réseaux criminels mais aussi et surtout dans le dépistage et le recouvrement des avoirs souvent répartis dans plusieurs pays. Les praticiens et experts judiciaires dans les pays sous revue n’ont pas une connaissance maitrisée de la panoplie des outils et instruments de coopération internationale existants. En l’occurrence, les plateformes du Groupe Egmont, RECEN l’UEMOA, d’Interpol, l’Initiative d’Accra, etc. ne sont pas mis à contribution de façon optimale. Les pays ont généralement recours aux voies diplomatiques, qui sont généralement peu onéreuses certes, mais à la fois chronophages et inefficaces. La complexité des modes opératoires utilisés par les criminels pour blanchir des fonds ou pour financer des activités terroristes, est exacerbée par la précarité des états civils, des systèmes d’adressage, des matrices cadastrales et registres de mutation des biens fonciers etc. Cette situation complique, dans un contexte où les lois sur la LBC/FT résistent déjà à la maitrise des acteurs, la collecte des éléments de preuve en phase de judiciarisation. La technologie n’est pas non plus suffisamment moderne ou mise à profit pour la recherche et l’acquisition de preuves d’infractions de BC ou de FT. En outre, l’absence de jurisprudence pertinente dans les juridictions de l’UEMOA ne facilite pas le jugement des premières affaires de BC ou de FT auxquelles les juges sont confrontés. Fait important, lors des enquêtes sur les cas de terrorisme et ou de financement du terrorisme, les Procureurs ne sont pas impliqués à un stade précoce pour déterminer quels éléments de renseignement pourraient être admissibles comme preuves, ou quelles mesures devraient être prises pour qu’ils le soient ; Les acteurs de la chaîne pénale en particulier les juges et procureurs, sont généralement attirés par l’approche classique et traditionnelle des enquêtes criminelles, et ne mettent donc pas pleinement en œuvre l’étendue des pouvoirs et possibilités juridiques offerts par le dispositif légal sur la LBC/FT. À titre d’exemple, dans certains pays, une grande majorité des juges estiment à tort que l’infraction sous-jacente devrait être précisément caractérisée en tous ses éléments constitutifs, avant qu’il ne soit possible de réprimer l’infraction de BC. Pourtant, l’absence de poursuite de l’infraction principale est sans incidence sur la répression de l’infraction de conséquence. Cette exigence de distinction entre l’infraction de blanchiment et l’infraction d’origine est d’autant moins comprise par les acteurs nationaux qu’elle crée des confusions par ailleurs entre autoblanchiment et autonomie du blanchiment. La catégorie des circonstances factuelles objectives n’est pas non plus adéquatement comprise ni pertinemment exploitée pour déduire les éléments intentionnels en matière de recherche de preuve ; Les juges, procureurs et autres experts juridiques sont également confrontés à des défis techniques lorsqu’il s’agit de traduire le renseignement financier dans le langage judiciaire, ce qui affecte la performance des actions de poursuites et de jugement des affaires de BC et FT dans la plupart des pays. La plupart des affaires liées au FT portent sur une affaire de terrorisme sous-jacente, ce qui montre un faible niveau de compréhension du concept de FT par les autorités judiciaires compétentes ; Les acteurs dans le secteur de la justice pénale ne sont pas bien informés des méthodes utilisées par les criminels pour blanchir les capitaux tirés du crime organisé ou pour financer le terrorisme.
Manque de spécialistes de lutte contre le blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme dans les juridictions
Un manque de capacité et d’expertise pour déployer les techniques d’enquête spéciales et conduire des enquêtes proactives, financières a été noté selon le rapport. De même, en matière de recouvrement des avoirs criminels, il n’existe presque pas de cadres formels adaptés aux standards internationaux en matière de LBC/FT. La plupart des États membres ne disposent pas de ressources ni de capacités nécessaires pour mettre en place une base de données criminelles centralisée en ligne, accessible à toutes les autorités compétentes. La rivalité entre les organismes de LBC/FT ou le manque de coopération entre ceux-ci accroît, en plus de ce déficit critique de ressources, la léthargie de l’ensemble de la chaîne pénale selon le rapport annuel du Giaba.
