Les universités privées du Bénin sont devenues des marchés noirs à ciel ouvert. Entre 2017 et 2024, ces établissements privés d’enseignement supérieur ont ratissé large, en délivrant aux étudiants béninois et étrangers de fausses attestations de fin de formation en Licence, Master et Doctorat. Victimes d’une supercherie digne d’un film « Western », le cas des apprenants nigérians est le plus récent. Le pot-aux-roses a été découvert à la suite d’une enquête d’infiltration dans laquelle un journaliste nigérian a acquis un diplôme d’une université de la République du Bénin en moins de deux mois et l’a utilisé pour être déployé dans le Corps national du service de la jeunesse au Nigeria.
Belmondo ATIKPO
Les Etablissements Privés d’Enseignement Supérieur (EPES) du Bénin sont devenus un terreau fertile à la délivrance de faux diplômes. Ce phénomène qui ressurgit de plus bel avec une ampleur jamais atteinte, ternit l’image du système éducatif béninois, naguère considéré comme un modèle en Afrique. Ce business lucratif alimente un réseau très fermé de promoteurs, de fondés d’écoles privées ayant pourtant une existence légale. Entre 2017-2024, le tableau de bord des établissements privés d’enseignement supérieur indique une hausse du nombre de fausses attestations délivrées par ces promoteurs véreux aux étudiants. Selon les chiffres révélés par le ministre nigérian de l’éducation, environ 21.000 étudiants nigérians auraient bénéficié des traitements de faveur de la part des écoles béninoises pourtant légalement reconnues. Contre espèces sonnantes et trébuchantes, certains établissements privés d’enseignement supérieur du Bénin, en total déphasage avec l’éthique de l’éducation, ont délivré plus de 21.000 faux diplômes aux étudiants nigérians. Alerté de la situation, le gouvernement fédéral de la République du Nigéria tape du poing sur la table. Par l’entremise du ministère de l’éducation, l’Etat nigérian a suspendu depuis dimanche 02 janvier 2024 la reconnaissance des diplômes universitaires délivrés par les universités privées concernées. Cette suspension fait suite à une dénonciation d’Umar Audu, journaliste à Daily nigérian, qui a obtenu un Bachelor of science en communication de masse en seulement 06 semaines à l’Ecole Supérieure de Gestion et de Technologie (ESGT) située à Vêdoko (Bénin). Pour une meilleure investigation, le gouvernement fédéral du Nigéria a mis sur pied un comité interministériel pour examiner les allégations du journaliste. Les membres du comité ont séjourné à Cotonou du 04 au 08 mars 2024. Ce séjour a été suivi d’une réunion tripartite entre les émissaires du Nigéria, le ministre des Affaires Etrangères, le ministre de l’enseignement supérieur ainsi que les parties prenantes.
A l’issue de ces travaux, il a été retenu que le processus de délivrance des attestations varie selon qu’il s’agisse d’un établissement public ou d’un établissement privé d’enseignement supérieur. Convaincues des explications reçues à Cotonou, les autorités nigérianes décident de valider sans condition, les diplômes de Licence, Master et de Doctorat exclusivement délivrés par les universités publiques du Bénin. De plus, le gouvernement fédéral du Nigéria ne reconnaît que huit universités au Bénin et au Togo accréditées pour délivrer des diplômes aux Nigérians. Cinq (05) universités sont désormais accréditées pour délivrer des diplômes aux étudiants nigérians. Il s’agit des Universités d’Abomey-Calavi et de Parakou ; l’Université Nationale des Sciences. L’Université nationale des Sciences, Technologies, Ingénierie et Mathématiques ; l’Université Nationale d’Agriculture et l’Université Africaine de Développement Coopératif sont aussi autorisées à délivrer les diplômes. Au Togo : l’Université de Lomé ; l’Université de Kara et Université catholique d’Afrique de l’Ouest figurent sur la liste des établissements accrédités.
Quid de la réaction du DGES
Approché, le Directeur général de l’enseignement supérieur (DGES), Karim Issiaka Youssao, a clarifié la controverse entourant la suspension de la reconnaissance des diplômes universitaires du Bénin et du Togo attribués aux étudiants nigérians. Il a affirmé que le Bénin n’émettait pas de faux diplômes. Selon lui, la plupart des diplômes incriminés sont délivrés par des Établissements Privés d’Enseignement Supérieur (EPES) et concernent la section anglophone, non autorisée en République du Bénin. Ces établissements sont soit installés anarchiquement sans autorisation, soit autorisés pour des formations en français, mais dispensent illégalement des formations en anglais. Karim Issiaka Youssao a souligné que les diplômes de Licence, Master et Doctorat des Universités privées du Bénin sont reconnus nationalement et internationalement. Aussi, les diplômes des EPES sont délivrés suite aux examens nationaux de Licence et de Master et sont cosignés par les autorités compétentes, une mesure mise en place depuis 2017 par le gouvernement du président Patrice Talon. Par ailleurs, il a salué la décision du gouvernement fédéral du Nigeria de suspendre la reconnaissance des diplômes universitaires, car cela s’aligne sur les efforts du Bénin pour combattre les faux diplômes. Pour renforcer cette lutte, le DGES a invité une délégation du Ministère de l’Éducation du Nigeria, via le Ministère des Affaires Étrangères, pour discuter des critères de validité des diplômes du Bénin. De plus, il a recommandé à tous les ressortissants nigérians de faire authentifier leurs diplômes auprès de l’ambassade du Nigeria via la Direction générale de l’enseignement supérieur (DGES). En collaboration avec l’ambassade du Nigeria au Bénin, une session de sensibilisation des étudiants nigérians est prévue afin de les protéger des pratiques malveillantes des EPES et des intermédiaires nigérians, a-t-il indiqué.
La colère gagne les victimes
Victime de la supercherie d’une université de la place, une étudiante béninoise témoigne : « Quand j’ai été embauchée, au bout de 3 mois, mes salaires et mes feuilles de paie tardaient à arriver. Et puis un jour plus rien. La dirigeante a fini par m’avouer que j’étais en possession de faux diplôme ». Un autre étudiant confie sa mésaventure : « En allant signer un contrat d’apprentissage, j’ai appris que la mention figurant sur le document était un simple titre professionnel, un diplôme niveau BTS ». Les victimes réclament la fermeture définitive de ces établissements ainsi que des dommages et intérêts. « Il y a un préjudice matériel et moral considérable. Cet investissement extraordinaire en temps, en intelligence, en stress qui est la formation universitaire, a été fait pour rien », s’indigne un parent d’élève. D’autres étudiants se sont abstenus de toutes réactions par peur de représailles des promoteurs d’établissements.
Nécessité d’une formation de développement
Le développement d’un pays passe par une formation de qualité. Ainsi, la supercherie des Etablissements Privés d’Enseignement Supérieur n’augure pas d’une relève de qualité et d’un développement durable. L’assainissement du secteur privé de l’enseignement supérieur permettrait d’avoir des cadres compétents engagés et par ricochet un avenir meilleur. Dans cette perspective, le gouvernement du Bénin a annoncé une série de mesures pour assainir le milieu éducatif prévue sur la période du 19 août au 06 septembre 2024 sur toute l’étendue du territoire national.