Au Bénin, l’implantation de la zone industrielle de Glo-Djigbé (GDIZ) trace progressivement le sillon pour une industrialisation tournée vers l’exportation. A long terme, le développement de ce pôle industriel pourrait, par un effet d’entraînement, contribuer à la construction d’une économie réelle dynamique, dans la mesure où il pourrait favoriser l’essor de l’industrie et la création d’emplois.
Cette émulation économique serait cependant entravée par le manque de dynamisme du marché des capitaux. En 2020, le crédit intérieur (y compris bancaire) accordé au secteur privé rapporté au PIB s’établissait à 15,5% au Bénin contre 54,7% en Inde, 70 % au Brésil, 112% en Afrique du Sud et 160,4% en Thaïlande.
Les activités de financement direct par le capital-investissement (ou développement) sont également peu développées, parfois peu connues. Entre 2014 et 2019, l’Afrique de l’Ouest a enregistré 274 transactions du private equity pour une valeur combinée de 10,2 milliards de dollars américain. Seulement 1% du volume des opérations concernées a été réalisé au Bénin alors qu’une enquête sur l’industrie du capital-investissement en Afrique de African Private Equity and Venture Capital Association (AVCA) révélait que 88% des limited partners (LP) ayant participé à l’enquête ont désigné l’Afrique de l’Ouest comme la région la plus attrayante pour les investissements. Le Bénin apparaît donc comme l’une des destinations les moins attractives pour ce type d’investissement dans la région.
Plusieurs facteurs expliquent cette situation. D’abord, la nature des acteurs est incompatible avec les besoins locaux. Les acteurs de capital-développement opérant en Afrique subsaharienne sont souvent des fonds avec des pratiques et des normes d’inspiration des pays développés, qui ne correspondent pas toujours aux spécificités de l’entrepreneuriat en Afrique bien que les initiatives entrepreneuriales innovantes de la jeunesse y fassent florès. Par exemple, dans les pays développés la durée de présence d’un fonds de venture capital s’établit en moyenne entre 4-5ans alors qu’en Afrique il faut souvent un horizon temporel plus long pour capter les dynamiques de croissance des entreprises et pour éviter de céder des participations précipitamment en cas de crise ou de contraction temporaire d’un secteur d’activité.
Aussi, les recettes ou les modèles directement importés de l’industrie du private equity des pays développés, notamment la recherche d’opération de taille significative, LBO –leverage buy-out–, buy-out majoritaires ne semblent pas encore adaptés au contexte du pays. Celui-ci est en effet encore caractérisé par des opérations de (très) petite taille et dans des contextes d’entrepreneurs familiaux avec une réticence vis-à-vis du partage de l’actionnariat avec des acteurs tiers. Combiné à la recherche de rentabilité élevée, tout ceci conduit beaucoup de fonds internationaux à délaisser certains segments ou secteurs, notamment, les très petites entreprises (TPE).
Ce constat impose d’élaborer une stratégie (politiques publiques) pour la création d’une économie financière nationale intensive, laquelle catalyserait le financement du secteur productif et consolidera la dynamique de l’économie réelle. Il s’agit, par exemple, d’œuvrer pour l’essor d’une myriade de sociétés de private equity adaptées au contexte national.
Le Rwanda a compris cette nécessité, avec la création de Agaciro Development Fund, un fonds souverain qui investit des capitaux rwandais dans les entreprises rwandaises. C’est, sans doute, cet élan qui a motivé la création du centre financier rwandais pour l’éclosion d’une économie financière locale.
Au Bénin, il ne fait guère de doute qu’en dépit de la Bourse Régionale des Valeurs Mobilières (BRVM) et de la Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), la création d’un pôle financier national significatif est bien indispensable.
La Caisse des Dépôts et Consignations (CDC Bénin) pourrait jouer ce rôle indispensable de financier du secteur privé. A titre d’exemple, en France, le bilan agrégé du groupe Caisse des dépôts et consignation (CDC-Paris) excède 1300 milliards d’euro en 2021. La CDC-Paris détient aujourd’hui, écrit Éric Lombard – son directeur général– dans son dernier ouvrage, 95 milliards d’actions dans des entreprises presque exclusivement françaises. Plus de 50 milliards sont affectés au portefeuille de la gestion d’actifs, 36 milliards dans les filiales et participations stratégiques, le reste investi par la Banque des territoires. L’étendue de ce portefeuille en fait le premier investisseur institutionnel public en France et un actionnaire significatif de la plupart des entreprises du CAC 40, poursuit-il. Plus loin, il affirme : « Nous faisons clairement le choix de détenir majoritairement des actions d’entreprises françaises, et nous inscrivons ces investissements sur le long terme. Ce choix nous est parfois reproché. La logique commune d’un asset manager est d’être très diversifié pour ventiler au maximum ses risques. Ce n’est pas notre démarche. Nous sommes avant tout une institution qui appartient aux français, et nous considérons que financer en priorité l’économie de notre pays fait partie intégrante de notre mission… ».
Ainsi, il s’agirait, pour la CDC-Bénin, de se repositionner de sorte à occuper ce rôle de premier et plus grand investisseur national, avec une stratégie d’investissement orientée sur le territoire national, une philosophie d’être la pierre angulaire de l’économie réelle et une « holding » regroupant une large gamme d’entreprises du pays.
Plus active. Plus agressive…
Centraliser ou regrouper et réorganiser. Rendre la Caisse des dépôts et consignations du Bénin plus active consisterait d’abord à regrouper certaines activités en son sein. Entre autres, le microcrédit Alafia, le Fonds national pour le développement agricole, etc. Cette opération de centralisation permettra un transfert des ressources à une seule entité plus forte, ce qui favorisera une augmentation de son capital pour plus de leviers.
Ensuite, il s’agira de procéder à une restructuration des activités de la nouvelle institution en distinguant les activités (ou un guichet) de financement – microcrédits, financements industriels, agricoles, entreprises innovantes, etc. – avec la création, éventuellement, d’une Banque publique d’investissements ayant la vocation de banque de financement.
Enfin, l’agressivité de la Caisse du Bénin viendrait avec les activités de prises de participations stratégiques. Elle consisterait à déployer une offensive avec l’ambition d’ubiquité dans toutes les entreprises stratégiques publiques et privées du pays. La création d’une branche de gestion d’actifs serait nécessaire pour atteindre cet objectif. Elle permettra de fructifier les ressources (le capital) tout en finançant l’économie et d’asseoir le capitalisme béninois.
Aussi, le rapprochement entre la Caisse des dépôts et Consignations du Bénin et d’autres groupes comme le Fonds National de Retraite du Bénin, la Caisse Nationale d’Epargne, ou la Caisse Nationale de Sécurité Sociale offrirait des perspectives intéressantes pour consolider et affirmer la puissance d’intervention d’un pôle financier public national de grande envergure.
Cette approche diffère de la stratégie actuelle de la Caisse des dépôts et Consignations du Bénin qui consiste à collecter les excédents de fonds de retraite et les dépôts et consignations administratives et judiciaires lesquels sont quasi totalement employés en placements financiers (titres financiers, dépôts à terme, etc.).
Tribune économique de Beringer GloGlo, économiste, Fondateur CJEA