Le Conseil Régional de l’Epargne Publique et des Marchés Financiers (CREPMF), organe de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) est devenue l’Autorité de régulation des Marchés Financiers (AMF). Dans cette interview, Ripert Bossoukpè, Secrétaire de l’institution aborde ici, les actions menées par le CREPMF depuis sa création et les perspectives pour 2020.
- Comment expliquez-vous que le gendarme financier de l’UMOA soit peu connu du grand public ?
Permettez-moi tout d’abord de vous remercier pour l’opportunité que vous m’offrez pour parler du marché financier régional et du régulateur que nous sommes.
Avant de répondre à votre question, permettez-moi de préciser très rapidement les principales missions du CREPMF qui sont de veiller à :
- la protection de l’épargne investie en valeurs mobilières et tout autre véhicule de placement donnant lieu à l’appel public à l’épargne ;
- l’information des investisseurs ;
- au bon fonctionnement du marché financier régional à travers l’élaboration d’une réglementation et la mise en place d’une organisation appropriée, ainsi que d’un dispositif d’habilitation, de contrôle des Structures Centrales du marché ainsi que les intermédiaires commerciaux agréés (SGI, Organismes de Placements Collectifs, Conseils en investissements boursiers) et de sanctions des manquements aux règles du marché.
Pour revenir au sujet, effectivement le CREPMF reste méconnu des populations des pays de l’UMOA à l’instar du marché financier régional lui-même surtout lorsqu’on fait une comparaison avec les autres segments du système financier notamment le secteur bancaire et celui des assurances.
Plusieurs facteurs peuvent l’expliquer. Le taux d’analphabétisme moyen de la zone est d’environ 50 %, le niveau de culture et d’éducation financière des populations est quasiment inexistant, le taux de bancarisation au sens strict reste faible (20 % en moyenne), quoiqu’en nette amélioration ces dernières années. En l’élargissant à la microfinance et aux caisses d’épargne, le taux de bancarisation élargi ressort autour de 42 %, selon les données statistiques de la BCEAO à fin 2018.
Quand vous prenez l’évolution récente des émetteurs de monnaie électronique, ils ont permis aux populations de l’UMOA d’ouvrir environ 40 millions de comptes.
A titre d’illustration, seulement 160 000 comptes-titres ont été ouverts sur le marché financier depuis sa création, ce qui représente un taux d’accès des populations d’environ 0,15 %. Au regard de ces statistiques, vous comprenez aisément pourquoi le public n’a qu’une connaissance très limitée de l’organisation, du fonctionnement, des produits ainsi que des opportunités offertes par le marché financier régional de l’UMOA. De plus, d’importantes confusions sont parfois entretenues sur le rôle, les instruments et les mécanismes du marché financier régional.
Bien que nos budgets restent limités et que nos équipes soient fortement sollicitées pour assurer les missions régaliennes de l’Organe, nous avons conscience que les actions d’information et de communication sur le marché financier et ses produits, organisés en marge des réunions statutaires du CREPMF, à l’endroit des étudiants des universités et des Grandes Ecoles des Pays de l’Union et des opérateurs économiques, doivent être renforcés.
Nous réfléchissons actuellement à des approches innovantes d’adresser la question de l’éducation financière grâce au soutien de Partenaires tels que l’AFD et le Groupe de la Banque Mondiale. Nous espérons pouvoir présenter, dans les trois (3) prochaines années, des statistiques en nette amélioration. Plusieurs axes seront questionnés y compris même la politique de promotion du marché par les SGI, le renforcement des synergies d’actions entre tous les acteurs pour l’organisation de véritables « Journées nationales du marché financier régional » dans les Etats membres de l’Union. Vous pourrez obtenir plus de détails quand le projet sera finalisé.
Enfin, nous sommes persuadés que l’utilisation prochaine de la nouvelle dénomination « Autorité des Marchés Financiers de l’Union Monétaire Ouest Africaine (AMF-UMOA) » favorisera une meilleure visibilité de l’Organe et du marché financier régional, en levant toute équivoque sur les risques de confusion de sa dénomination avec celles d’entités territoriales, et sera également l’occasion de le rapprocher du public à travers une identité plus adaptée à ses missions.
- Aujourd’hui après plus de 22 ans d’existence, quels sont les principaux défis et les menaces au moment où le CREPMF change de dénomination et devient Autorité des Marchés Financiers (AMF) de l’UMOA ?
Nous pouvons déjà souligner les acquis du marché financier.
Le marché financier régional de l’Union, c’est d’abord une vision politique des plus hautes Autorités de l’Union pour le choix d’un modèle communautaire plutôt que de modèles nationaux, et leurs soutiens multiformes et constants (adoption de réformes structurantes, cessions de participations d’entreprises nationales par le marché, etc.). En quelques chiffres, à fin décembre 2019 :
- au titre des ressources levées par syndication, ce sont plus de 10 215 milliards de FCFA mobilisées depuis le démarrage des activités du marché et qui ont servi à financer à plus de 60 % des projets d’infrastructures de nos Etats. Pour l’année 2019, un nouveau record de 1 620 milliards de FCFA a été mobilisé par les émetteurs publics et privés, soit le montant annuel le plus important depuis la création du marché ;
- 218 intermédiaires commerciaux ont été agréés et opèrent ;
- une capitalisation boursière de 8 974 milliards de FCFA, qui représente environ 14 % du PIB de l’Union ;
- 102 titres cotés dont 46 au compartiment actions.
Cependant, le marché financier régional dispose de marges de progression importantes non encore exploitées et n’attire pas encore suffisamment les investisseurs et les émetteurs. Pour cela, nous devons adresser certains défis liés à :
- la modernisation et à la vulgarisation du cadre réglementaire ;
- l’insuffisance de la culture boursière ;
- la faiblesse de la liquidité et de la profondeur du marché ;
- les coûts d’accès et de transactions sur le marché ;
- l’harmonisation de la fiscalité applicable aux valeurs mobilières ;
- au renforcement des dispositifs actuels de protection des investisseurs.
Nous devons travailler sur tous ces changements tant au plan institutionnel qu’au plan organisationnel de l’Organe mais aussi des intervenants du marché.
Nous devons révolutionner nos approches de travail, tenir compte des mutations en cours au niveau international (cybercriminalité, enjeux de durabilité, fintech, robot advisors, bourses disruptives, etc.) afin d’accélérer l’édification d’une véritable administration de développement au service des économies. Cela induira des évolutions dans nos comportements. Cela prendra un peu de temps pour réaligner les objectifs, renforcer les capacités de tous les acteurs mais c’est un enjeu stratégique majeur auquel nous ne pouvons nous dérober.
A l’heure de l’internet des objets, notre marché financier sera évalué à travers sa capacité à offrir de l’innovation dans les modes de financement des économies tout en assurant ses fonctions essentielles.
Enfin, nous devons travailler à édifier un système financier plus intégré en tenant compte des mutations en cours au niveau de la CEDEAO.
Le Conseil Régional a récemment institué en son sein un Comité Scientifique qui sera opérationnel en 2020 et qui accompagnera toutes ces réflexions et ces nombreux chantiers.
- Quel est le bilan des réformes engagées par le CREPMF avec l’assistance technique des bailleurs de fonds ?
A ce jour, les Partenaires Techniques et Financiers (PTF) qui nous accompagnent sont la Banque Africaine de Développement (BAD) à travers le Projet d’Appui au Développement du Marché Financier Régional (PADMAFIR), le Fonds Monétaire International par l’intermédiaire de son centre d’assistance technique (AFRITAC de l’Ouest), le Groupe de la Banque Mondiale au titre du programme du Groupe en faveur des marchés financiers dénommé « J-CAP », et le FSD Africa.
Tout en réitérant la reconnaissance du Conseil Régional aux PTF pour leurs appuis multiformes depuis 2018, je pourrais vous dire que c’est trop tôt pour percevoir les changements induits par les réformes soutenues par les Partenaires Techniques et Financiers (PTF). Cependant, quelques actions ont déjà été engagées ou sont achevées. Concernant les chantiers réalisés, nous pouvons citer :
- la revue du cadre d’émission des titres publics par syndication ;
- l’étude sur le dispositif prudentiel applicable aux SGI qui se traduira par un renforcement des fonds propres des intervenants commerciaux agréés, leur système de contrôle interne, etc.;
- la finalisation d’un Guide destiné à faciliter l’émission d’obligations vertes, socialement responsables et durables ;
- la formation des PME en cours d’accompagnement au niveau du programme Elite Lounge de la BRVM.
S’agissant des chantiers en cours, ils concernent notamment l’élargissement de la base des investisseurs et le déploiement d’instruments financiers innovants à travers notamment :
- la revue des textes de base du marché afin de les moderniser ;
- les mesures et aménagements en faveur d’un développement de la gestion collective y compris le déploiement de nouveaux instruments financiers tels que les Organismes de placement collectif en immobilier (OPCI) et les Organismes de placement collectif à risque (OPCR) ;
- l’étude pour la mise en place d’un fonds de protection des épargnants ;
- le projet de Loi Uniforme sur les infractions boursières et assimilées ;
- la revue du cadre réglementaire et fiscal pour les fonds d’investissement ;
- l’élaboration d’une stratégie et des textes pour l’essor d’un véritable marché islamique de capitaux ;
- la révision du cadre réglementaire sur la communication financière des émetteurs.
En 2020, nous envisageons de finaliser les chantiers engagés et lancer les nouveaux chantiers listés ci-après :
- la revue des coûts d’accès et de transactions sur le marché ;
- l’harmonisation de la fiscalité des valeurs mobilières au sein de l’UMOA ;
- la réalisation d’activités d’éducation financière au profit d’environ 10 000 étudiants au cours des trois (3) prochaines années ;
- le renforcement du dispositif de vérification de connaissances minimales pour exercer des fonctions réglementaires au sein des intervenants commerciaux agréés ;
- les études pour l’élaboration d’un Plan de Continuité des Activités du marché et la cartographie des risques du marché ;
- l’opérationnalisation du cadre réglementaire pour la promotion d’instruments financiers islamiques ;
- la révision des règles comptables spécifiques et du guide d’application pour tenir compte des évolutions intervenues dans l’environnement.
Le Conseil Régional a engagé directement sur ses ressources propres d’autres réformes au niveau de la gouvernance de l’Organe et du marché (Cadre réglementaire du Troisième Compartiment de la BRVM dédié aux petites et moyennes entreprises, bourse en ligne, etc.) dont les résultats devraient commencer à se faire voir d’ici la fin de l’année 2020 ou du premier semestre 2021.