Les micros et petites entreprises constituent un véritable levier à la création de richesses et d’emplois pour l’économie béninoise. Mais avec la pandémie de la Covid-19, les promoteurs des petites et moyennes entreprises au Bénin notamment des secteurs transport et restauration font face à des difficultés qui compromettent leurs efforts.
Abdul Wahab ADO
« La Covid a (…) tout ralenti (….), des secteurs ont été frappés de plein fouet (…), beaucoup d’entreprises ont été fermées. Le payement des salaires a été le véritable problème, des contrats préalablement signés ne pouvaient plus être honorés ». Alexandre Houédjoklounon, Directeur général de l’Agence nationale des petites et moyennes entreprises (ANPME) peint ainsi un tableau critique des chocs de la pandémie de la Covid-19 sur les micros et petites entreprises. Nullement épargnés, les secteurs de la restauration et du transport sont confrontés à des difficultés nouvelles nées de la crise sanitaire. Une enquête de la Chambre de commerce et d’industrie du Bénin sur les impacts de la pandémie de la Covid-19 sur les entreprises béninoises, révèle que « les ventes et le chiffre d’affaires de certaines entreprises ont baissé considérablement de plus de 60% ». Ladite enquête révèle entre autres « les difficultés à honorer le paiement des salaires ; les loyers des locaux professionnels … (et) certaines d’entre elles (entreprises) sont contraintes de mettre une partie de leur personnel en chômage technique ». Les résultats de cette enquête montrent que 62,6% de l’ensemble des entreprises ont déclaré être fortement impactées par la pandémie de la Covid-19.
Effets socioéconomiques de la Covid-19 chez les tenanciers des bars-buvettes et restaurants
La crise sanitaire liée à la pandémie du coronavirus constitue une situation de lourdes pertes pour certains agents économiques dont les promoteurs de buvettes, bars, maquis (…) qui sont les plus vulnérables. Certains lieux d’affaires comme l’esplanade du stade Général Mathieu Kérékou ne s’animent plus comme un marché. Josias Kouton, jeune entrepreneur se souvient des prises de rendez-vous d’échanges avec ses partenaires en ce lieu qui grouille habituellement de monde. Pour lui, depuis la survenance de la pandémie de la Covid-19, les affaires ont chuté de manière drastique. Les bars et buvettes qui étaient jadis le lieu d’échange entre opérateurs économiques sont devenus vides. Ferdinand Ahoyo, gérant d’un bar-restaurant au stade Général Mathieu Kérékou explique : « vous voyez comment le restaurant est vide. C’est ce que nous vivons avec la pandémie du coronavirus. Mévente, chute drastique du chiffre d’affaires, renvoi des employés, etc, sont quelques-unes des difficultés que nous vivons au niveau du stade en particulier et à Cotonou en général. Avant la pandémie, on faisait un chiffre d’affaires mensuel de plus de 500.000 FCFA mais depuis la pandémie, on trouve à peine 80.000 FCFA. Nous devons des frais de loyer et aussi des prêts à rembourser dans les structures de microfinance. La pandémie a touché presque tous les jeunes entrepreneurs de Cotonou, Bohicon, Parakou et Natitingou ». Taïrou Souleymane, promoteur d’un bar à Parakou explique : « le coronavirus est venu ruiner nos économies ».
Pour Mathieu Hountondji, promoteur de bar-restaurant à Porto-Novo et Ifangni, la situation est intenable. «Par le passé, j’avais au moins comme chiffre d’affaires mensuel la somme de 200.000 FCFA mais avec la pandémie, je me retrouve entre 50.000 à 70.000 FCFA. J’ai renvoyé cinq employés et je dois des mois de loyer ». Ces affirmations confirment les résultats de l’étude d’impact socio-économique de la COVID-19 au Bénin et commanditée par l’Equipe-Pays des Nations -Unies en collaboration avec les organismes partenaires, qui indiquent que la perte d’emplois est estimée entre 360.000 et 620.000 personnes touchées en 2020, dans les secteurs tourisme, hôtellerie et restauration. « Les entreprises ont surtout été fragilisées par les mesures de prévention prises depuis les premières heures de la pandémie particulièrement la fermeture des buvettes, cabarets, restaurants, cafétérias, fast-foods, boîtes de nuit et bars-dancing et l’exigence du respect des gestes barrières dans le secteur du transport », a expliqué Julien Daga, président de l’association des bars et maquis au Stade de l’amitié de Cotonou.
Directeur général de l’ANPME Alexandre Houédjoklounon
Vu partielle de la mévente dans les bars et buvettes
Transport, un secteur plus résilient
La pandémie de la Covid-19 a touché 40% des micros et petites entreprises du Bénin dont : 75% dans le tourisme, hôtellerie et restauration et 33% dans le transport, selon l’étude d’impact socio-économique de la Covid-19 au Bénin, commanditée par l’Equipe-Pays des Nations-Unies en collaboration avec des consultants indépendants et des équipes techniques gouvernementales et celles du Système des Nations-Unies au Bénin. Ferdinand Azévodou, comptable et gestionnaire du parking du Groupement d’intérêt économique (GIE) qui réunit plusieurs compagnies de transport de bus de Cotonou vers les départements de l’Atacora-Donga, Borgou-Alibori Zou-Collines, confie : « nous les transporteurs communs de personnes, nous sommes très touchés par la crise du Coronavirus par la réduction du nombre de passagers à bords des bus qui est passé à 50 personnes au lieu de 100. Les pertes sont énormes. Ce sont des millions de francs CFA perdus », ajoute le gestionnaire comptable. La situation semble être pareille pour les conducteurs de mini bus et de taxis. Simon Awo, conducteur de mini bus reliant les communes de Cotonou-Calavi-Porto-Novo, explique sa galère: « les impacts de la Covid-19 sont énormes pour les transporteurs. Mes pertes sont estimées à environ 300.000 FCFA par mois. C’est difficile pour nous de respecter nos engagements contractuels ». Pour Parfait Gbédji, Chef parc des minibus au marché de Dantokpa, « beaucoup de conducteurs ont garé leur bus, d’autres ont vendu les leurs pour faire face aux charges et contraintes et, se retrouvent au chômage. La Covid-19 nous a ruinés et nous sommes devenus très pauvres. Ceux qui doivent payer par semaine 50.000 FCFA au propriétaire de véhicule n’ont pas pu tenir ». L’autre souci qui a aggravé la situation des conducteurs, c’est l’ultimatum qui a été donné par le Directeur général des impôts le 25 mai 2021 par une correspondance adressée aux sociétés d’assurance Incendie, Accident et Risques Divers (IARD), qui invite au respect de l’arrêté N°686/MFE/DC/DGAE/DCA du 17 juin 2003, portant fixation du tarif minimal de l’assurance de responsabilité civile des Véhicules terrestres à moteur (VTM). C’est cette application stricte de l’arrêté du ministre de l’économie et des finances, qui semble constituer une charge nouvelle, a confié Parfait Gbédji, Chef parc des minibus au marché de Dantokpa. « Cela a conduit à l’augmentation des frais d’assurance qui passent de 150.000 FCFA à 300.000 FCFA et constituent un autre souci pour ceux qui exercent leurs activités, obligés de se mettre à jour, sans oublier les frais de la visite technique. Nous ne savons pas encore quand est-ce que nos soucis prendront fin surtout avec la campagne de vaccination qui se généralise. Les interpellations tous azimuts des policiers constituent également un autre casse-tête depuis l’exigence du respect des mesures barrières notamment la réduction du nombre de passagers à bord des véhicules de 9 au lieu de 20 et le port de masque. Ça ne va pas. Le temps est dur et nous souhaitons que le gouvernement revoie notre situation. La majorité des conducteurs n’a pas reçu l’appui du gouvernement lié à la Covid-19 », a conclu Parfait Gbédji.
Siège de la CCI-Bénin Parking de véhicules vide.
Création d’une association ’Nonvignon’’ et l’utilisation des nouvelles technologies pour survivre
En effet, pour survivre avec les mesures restrictives et les mesures sociales, des stratégies ont été développées par les différents acteurs. « Pour aider ceux qui sont touchés par la pandémie du coronavirus, nous avons mis en place une association dénommée ‘’Nonvignon’’ ». C’est une entraide interne aux conducteurs des mini bus qui permet de faire face à certaines difficultés (réparation de véhicules en panne, soutien financier journalier…) pour suppléer le faible appui du gouvernement. Car pour certains transporteurs notamment, ceux du transport de marchandises, le choc est moindre. Amadou Mohamadou, Secrétaire général adjoint du Syndicat des transporteurs et conducteurs du Bénin (SYNTRACD) confie : « Nous qui transportons les marchandises n’avons pas de grands impacts avec la pandémie bien que tous les secteurs soient touchés. Nous avons respecté les règles de gestes barrières à bord de nos camions comme l’a recommandé le gouvernement ». Toujours pour ne pas être sans activités, l’utilisation des nouvelles technologies a été l’alternative de certains responsables des petites et moyennes entreprises. Julien Daga, président de l’association des bars et maquis au Stade de l’amitié de Cotonou explique : « j’ai commencé par livrer les repas aux clients en créant un groupe Whatsapp ou si quelqu’un veut, il commande en payant un forfait de transport pour être servi chez lui. Cela nous a aidés au moment du confinement ». Mathieu Hountondji, promoteur de bar-restaurant à Porto-Novo et Ifangni, confie : « ce sont les réseaux sociaux que sont facebook, whatsapp que j’ai utilisés pour ne pas fermer mes boutiques».
Contrôle du port de masque et du pass-vaccinal contre la Covid-19, l’autre choc des agents économiques
Depuis le début de la pandémie du coronavirus, un contrôle permanent est mené par les forces de l’ordre notamment les policiers qui obligent tous les usagers de la route à porter leur masque. Salami Yacoubou, président départemental de la Donga du Syndicat national des conducteurs du Bénin(SNCB) révèle : « Des postes de contrôle sont installés pour nous obliger à payer des faux frais. En quittant Cotonou pour Porga, déjà à Arconville dans la commune d’Abomey-Calavi, les contrôles commencent. Avant Savalou, en quittant Dassa, c’est un contrôle spécial. Le contrôle du port de masque et du pass vaccinal actuellement est un prétexte. De Dassa jusqu’à Porga, nous sommes menacés. C’est tout comme si nous ne sommes pas dans le même pays.»
Des mesures post Covid-19 pour relancer les activités économiques
Dans la dynamique de la relance post Covid-19, des actions ont été menées pour permettre aux entreprises de survivre. L’État a décidé d’une prise en charge de 50% de la masse salariale des entreprises les plus affectées, notamment les TPE, PME et PMI avec un accent sur les entreprises et les personnes physiques intervenant dans la chaîne des valeurs du secteur du tourisme-restauration (agence de voyage, transport etc.), les industries qui ont été obligées de mettre les salariés en congé sans solde. Cette charge est évaluée à 200 millions de FCFA pour 3 mois. Les promoteurs des micros et petites entreprises formelles ou non sont appelées à s’inscrire afin de bénéficier des subventions du gouvernement. Dans la deuxième initiative de riposte socio-économique à la Covid-19, 19 milliards FCFA ont été mobilisés pour soutenir les micros et petites entreprises vulnérables touchées par la crise en vue de les aider à rester viables et compétitives. Les promoteurs d’entreprises formelles ou informelles, ainsi que les artisans étaient invités à s’inscrire afin de bénéficier des subventions disponibles. Selon les prévisions, au moins 20.000 petites entreprises du secteur informel et 12.000 entreprises informelles ont pu bénéficier du programme. Une dotation de 63,38 milliards de FCFA a été réservée aux entreprises, pour la prise en charge du salaire brut des employés déclarés sur une période de trois mois, le remboursement des crédits de Tva, l’exonération du paiement de la taxe sur véhicule à moteur (Tvm), la prise en charge des loyers commerciaux sur trois mois au profit des agences de voyage déclarées ainsi que la prise en charge intégrale des factures d’électricité pendant trois mois pour les hôtels et les agences de voyage.
Outre l’Etat central, les institutions en charge du développement du secteur privé et de promotion des micros et petites entreprises ont également mené des actions pour l’amélioration de l’environnement et la relance post Covid-19. La Chambre de Commerce et d’Industrie du Bénin (CCI-Bénin) qui a pour vocation première de servir l’entreprise n’est pas restée inactive. Dans son rapport d’enquête sur les impacts de la pandémie du covid-19 sur les entreprises béninoises, les actions menées ont été citées. « Nous avons mené plusieurs actions pour soutenir d’une part les opérateurs économiques et d’autre part la population elle-même. Dans le domaine de la fiscalité, la CCI Bénin a proposé un accompagnement fiscal et social : report du délai de dépôts des états financiers, report du paiement des cotisations fiscales et sociales arrivées à échéance, dans les situations les plus difficiles, faire des remises d’impôts directs dans le cadre d’un examen individualisé des demandes, reconnaissance par l’Etat du Coronavirus comme un cas de force majeure pour les marchés publics. En conséquence, pour tous les marchés publics d’Etat, les pénalités de retards ne seront pas appliquées. Concernant le secteur bancaire, « nous avons proposé le report pour six mois des échéances de prêts bancaires avec possibilité d’étalement et sans pénalités. « Nous avons également proposé un accompagnement financier de l’Etat et des Partenaires à travers : le report du paiement des factures d’eau, et d’électricité pour les petites entreprises en difficulté ; le règlement gratuit des litiges nés dans le cadre du COVID-19 entre les clients ou fournisseurs par le Médiateur à travers le CAMeC, un organe de la CCI Bénin. Nous avons aussi continué par offrir des services aux entreprises via internet. Dans ce cadre, le webinair Café Numérique permet de les informer sur les différentes opportunités qui se présentent en ce temps de coronavirus. Il y a également la mise en place de la plateforme « StopCovid19.bj » pour faire la promotion des entreprises qui commercialisent les produits barrières au Covid-19 et pour permettre un accès facile à ces produits par tous. Des actions pour accroitre la productivité des entreprises par des réaménagements horaires, la gestion optimale du temps de travail et la mutation vers des systèmes de travail plus flexibles ont été développées, selon le rapport d’enquête sur les impacts de la pandémie du covid-19 sur les entreprises béninoise.
Quant à l’ANPME dont l’une de ses missions est le conseil et l’assistance des jeunes entrepreneurs, selon son directeur général, il a exhorté tous les restaurateurs qui sont dans la base de l’ANPME à privilégier les mets à emporter et un certain nombre de choses qui peuvent leur permettre d’écouler leurs produits, malgré la pandémie.
ENCADRE
Les petites et moyennes entreprises, puissance de l’économie béninoise
Le Directeur général de l’ANPME, Alexandre Houédjoklounon, explique qu’au Bénin, 95% des PME représentent le tissu économique national. Ainsi, « plus de 40% de la richesse nationale est produite par les micros, petites et moyennes entreprises (MPME); plus de 67% à la formation du PIB ; plus de 50% des créations d’emplois viennent des micros, petites et moyennes entreprises (MPME); (…)», a-t-il confié. Le secteur informel représente 90% des micros, petites et moyennes entreprises (MPME) au Bénin, selon les résultats de l’Enquête Régionale Intégrée sur l’Emploi et le Secteur Informel (ERI-ESI) réalisée par l’ex-Institut National de la Statistique et de l’Analyse Economique (INSAE). Le détail des résultats de cette enquête montre que 84,1% des emplois créés par les MPME proviennent des Unités de Production Informelles. Selon le DG de l’ANPME, les PME béninoises contribuent énormément à la création d’emplois (secteur formel+ secteur informel), soit, 3.512.886 emplois créés tous secteurs d’activités confondues, autrement dit, les entreprises béninoises notamment les MPME occupent 94,2% des actifs au Bénin.
Conscient de la richesse que peuvent créer les Pme, le gouvernement béninois a créé par décret 5014-2008 l’Agence nationale des petites et moyennes entreprises. Ensuite, le parlement béninois a voté la Loi n°2020-003 du 20 mars 2020, portant promotion et développement des (MPME) en République du Bénin qui donne des précisions sur la notion de PME. Selon la loi, la Micro, Petite et Moyenne Entreprise (MPME) désigne toute personne physique ou morale, autonome, productrice de biens et/ou services, de tout secteur d’activité légale, immatriculée au registre du commerce et du Crédit Mobilier ou des métiers, dont l’effectif ne dépasse pas deux cents (200) employés permanents et le chiffre d’affaires hors taxes annuel, n’excède pas deux milliards (2.000.000.000) de FCFA, avec un niveau d’investissement net inférieur ou égal à un milliard (1.000.000.000) de FCFA. Selon les typologies de PME, on a : La Micro Entreprise : moins de dix (10) personnes et réalise un chiffre d’affaires hors taxes annuel, inférieur ou égal à trente millions (30.000.000) de FCFA. La Petite Entreprise : moins de cinquante (50) personnes. Un chiffre d’affaires hors taxes annuel, supérieur à trente millions (30.000.000) de FCFA et inférieur ou égal à cent cinquante millions (150.000.000) de FCFA. La Moyenne Entreprise : moins de deux cents (200) personnes et réalise un chiffre d’affaires hors taxes annuel, supérieur à cent cinquante millions (150.000.000) de FCFA et inférieur ou égal à deux milliards (2.000.000.000) de FCFA. Malgré cet environnement juridique, le secteur des micros et petites entreprises demeure exposé aux aléas extérieurs car, les emplois créés sont vulnérables.
NB : Cette enquête a été réalisée grâce à l’appui du Programme Dialogue Politique en Afrique de l’Ouest de la Fondation Konrad-Adenauer-Stiftung (PDWA/ KAS)