La diversification de l’économie béninoise tarde à être effective si l’on s’en tient au fait que plusieurs secteurs porteurs d’activités sont encore peu exploités. C’est le cas du secteur de l’approvisionnement de l’industrie mondiale du textile. Pendant que la demande en textile béninois est toujours forte, le secteur manque cruellement de catalyseur et une femme béninoise, Emilie Tiboute Sama, se bat pour que le Bénin profite des opportunités commerciales que présente ce secteur pour apporter de la valeur ajoutée à son économie.
Nafiou OGOUCHOLA
Le textile et la mode constituent des leviers importants capables de stimuler les économies africaines, selon la Banque africaine de développement (Bad). A en croire l’institution bancaire africaine, le secteur représente un marché mondial de 31 milliards de dollars. En Afrique, l’industrie de la mode pourrait générer 15,5 millions de dollars dans les cinq ans, soit environ neuf milliards FCFA. Il serait même le deuxième secteur le plus important en termes d’emplois dans les pays en développement, dont le Bénin, après l’agriculture.
La participation du Bénin dans la chaîne d’approvisionnement mondiale de l’industrie textile est assez faible. Ceci, malgré deux atouts majeurs. D’une part, le coton béninois est le meilleur. D’autre part, le pagne tissé béninois révèle la qualité de l’art des artisans locaux. Les motifs, décorations et coupes des stylistes étant des œuvres d’esprit, le produit fini sorti des usines de coton qui finit en vêtement sur le corps d’un individu, révèle une certaine histoire du peuple, un certain savoir-faire artistique. Ainsi, nanti de ces aubaines, le Bénin devait normalement se positionner sur le marché mondial qui brasse des chiffres conséquents.
Manque d’industries textiles
Le Bénin, à l’instar, des pays sous-développés d’Afrique profite peu des opportunités que lui offre le secteur textile. En effet,Si l’Afrique produit jusqu’à 6 % du coton dans le monde mais elle compte très peu d’usines textiles. Raison pour laquelle, une grande partie du tissu est même importé d’Asie. Le cas du coton béninois, réputé d’excellente qualité est plus critique. A travers une interrogation, Adeline Bonou, professionnelle du textile résidant à Abomey-Calavi, provoque une réflexion sur la valeur ajoutée que la promotion du pagne tissé béninois pourrait apporter à l’économie. « Si le coton béninois est très prisé sur le marché mondial, qu’en sera-t-il des vêtements confectionnés avec du coton béninois ? », a-t-elle questionné avant de conclure, avec amertume : « … nous avons un potentiel énorme, un marché mondial où nous pouvons très bien nous positionner ; mais nous sommes là à espérer l’arrivée des touristes et étrangers pour vendre en quantité ; même nos cadres qui portent le pagne tissé le font souvent pour aller au village ou lors des cérémonies traditionnelles ou de famille, pourtant tout le monde sait qu’il y a énormément de recettes financières et d’emplois dans le secteur mais on se regarde… ».
L’industrialisation, prônée par le gouvernement, tarde à se matérialiser. Bien que des démarches aient été entreprises pour doter le Bénin d’usines performantes, il n’en demeure pas moins qu’en attendant, pas grand-chose n’est fait pour influer sur le rendement fourni par ce secteur. Ce qui a poussé le président de la Bad, Akinwumi Adesina, à confier : « … l’Afrique devrait être en train d’exporter des produits textiles finis (vêtements, costumes, robes, chemises), et pas de la fibre de coton ».
La volonté politique, un catalyseur prouvé au Burkina-Faso
Les burkinabés ont compris le potentiel dont regorge l’industrie du textile. En vue de motiver ses concitoyens à s’habiller avec du pagne localement tissé, le chef d’Etat du Burkina-Faso, Rock Kaboré, en porte à chaque sortie officielle. Selon de nombreux analystes, cette détermination a fouetté l’égo de ses compatriotes qui adoptent de plus en plus l’habitude vestimentaire de leur président. Cette volonté politique ferait encore défaut au Bénin. Même si de hauts cadres portent du pagne tissé béninois lors des réunions officielles, il n’en demeure pas moins évident qu’une initiative du chef de l’Etat dans ce sens serait de nature à donner un coup de fouet à la promotion du bijou béninois.
De même, le gouvernement doit accompagner les initiatives visant à promouvoir le secteur du textile au Bénin. Au Burkina-Faso, c’est déjà effectif à travers le Salon international du textile africain (Sita). Au Bénin, des initiatives du genre peinent à prendre car les promoteurs s’essoufflent.
Photo : Pagne tissé béninois
Légende : Une vue partielle de quelques pagnes tissés béninois
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Emilie Tiboute Sama
« Le pagne tissé : d’importantes recettes et des milliers d’emplois négligés»
L’ONG African culture pride a trois objectifs : faire la promotion de la citoyenneté active, de la scolarisation des jeunes filles et de la culture et plus particulièrement de l’artisanat. A travers une interview à nous accordée, sa présidente, Emilie Tiboute épouse Sama a abordé la question du textile béninois communément appelé ‘’Kanvo’’. Promotrice du défilé de mode en pagne tissé appelé ‘’la nuit du pagne tissé’’, la béninoise fait l’état des lieux du secteur et renseigne sur ce que perd le Bénin à ne pas promouvoir ce patrimoine.
L’économiste du Bénin : Comment peut-on présenter l’ONG African culture pride ?
Emilie Tiboute : L’ONG African culture pride, c’est la promotion de la culture au service du développement. La culture plurielle. Et quand on parle de culture plurielle, c’est un ensemble de choses. Ce n’est pas uniquement la culture comme on la connait mais également tout ce qui est culturel et l’artisanat. Parce que l’artisanat véhicule nos savoir-vivre, nos savoirs endogènes et donc reflète par ricochet notre culture.
Quelles sont les activités menées au sein de l’ONG African culture pride ?
Nous avons commencé par le défilé de mode parce que l’idée c’était de promouvoir le pagne tissé béninois et d’en arriver à sa labellisation pour en faire un véritable outil économique qui permet la création de la richesse à la base mais, également la création d’emplois durables et décents pour des milliers de jeunes femmes et de jeunes hommes. C’est notre leitmotiv. Après, on a décidé d’aller aussi à la base pour sensibiliser les populations sur la scolarisation et autres fléaux qui handicapent l’émancipation de la jeune fille au Bénin.
De même, nous apportons notre soutien aux pensionnaires du lycée des jeunes filles de Natitingou. Lors de nos campagnes, nous avons rencontré des jeunes filles et avons échangé sur des questions liées au genre. Nous avons aussi apporté de nombreuses réponses et solutions aux questions et préoccupations de nos interlocutrices. Les jeunes filles ont beaucoup apprécié notre initiative mais surtout la démarche que nous adoptons. Car nous allons vers elles en tant qu’amies et non pour les juger. Nous leur parlons aussi de nos expériences pour les aider à progresser.
Nous les mettons aussi en ateliers et leur apprenons à confectionner divers objets artisanaux dont des perles, des bracelets, des boucles d’oreille, ainsi que des mets assez simples à préparer comme des beignets, des pâtés, des amuse-bouches… Cela permet aux filles de pouvoir s’occuper sainement pendant les vacances.
Qu’est-ce qui vous a motivé à initier ‘’la nuit du pagne tissé’’ ?
Je suis partie d’un constat. Au niveau des foires et salons qui étaient organisés au Bénin, j’ai remarqué un engouement des béninois pour des pagnes tissés que présentaient des burkinabés. Or, j’ai eu la chance de grandir parmi des tisserands et je me suis dit : c’est un savoir séculaire qui se transmet à travers ces pagnes tissés et que nous pouvons faire autant sinon mieux que les burkinabés. Donc c’est de là que l’idée est partie. Elle a débouché sur l’organisation d’une soirée de gala et de défilé de mode, destinée spécialement à la promotion de ce savoir-faire ancestral qu’est le pagne tissé béninois.
Le pagne tissé est une richesse de notre pays. Il symbolise le génie béninois, car permet de renseigner sur les rites et habitudes que nos ancêtres tisserands ont transmis à nos frères et sœurs qui pratiquent encore cet art aujourd’hui. De plus, c’est un important axe de développement économique. Les statistiques le montrent au plan mondial. Tout ce qu’on demande aux béninois, c’est de profiter de cette manne financière qu’offre le pagne tissé. Nous avons le textile et des motifs spécifiques pour faire de jolis pagnes.
Nous avons aussi initié ce défilé de mode pour montrer que le pagne tissé peut se porter autrement. On peut sortir du carcan purement traditionnel et le moderniser. Le défilé de mode a permis non seulement au public de se rendre à l’évidence des atouts du pagne tissé mais aussi aux stylistes de puiser dans leurs traditions et cultures pour dessiner des modèles qui font le pont entre le traditionnel et le moderne. Donc la culture béninoise et celle occidentale. Aujourd’hui il est confectionné au Bénin des costumes, robe de mariage et tous vêtements en pagne tissé. Il fait tout ce que fait le pagne ordinaire. Et ce qui est encore intéressant avec ce qu’on a commencé, c’est qu’aujourd’hui on a plusieurs gammes de pagnes tissés. Avant on n’avait que les lourds mais aujourd’hui on a les semi-lourds et des ultras légers qui ressemblent au lin. Avant, on avait aussi des couleurs un peu sombres mais aujourd’hui on a des couleurs plus vives et joyeuses. Elles s’arriment parfaitement aux tendances de la mode internationale.
Quel est le parcours qu’a connu ‘’la nuit du pagne tissé’’ ?
On a commencé en 2011. Nous avons fait trois défilés successifs. Donc 2011, 2012 et 2013. Après, nous avons dû prendre un peu de recul pour faire face aux charges financières que cela nécessite. Nous financions une partie importante de ce défilé de mode sur fonds propres. Donc on a décidé de le faire chaque deux ans. Ainsi nous avions eu la quatrième édition en 2015, la cinquième en 2017 et la sixième en 2019.
Quels sont les acquis de ‘’la nuit du pagne tissé’’ ?
La nuit du pagne tissé a permis aux béninois de se révéler à eux-mêmes et de savoir qu’ils peuvent porter le ‘’Kanvo’’ comme ils veulent et dans toutes les circonstances, sans oublier dans toutes les coutures possibles. C’est un acquis important d’avoir fait comprendre que le pagne tissé a tous les atouts du pagne ordinaire. Et mieux, il retrace notre histoire, enrichit nos artisans et donne du travail à nos jeunes.
Aujourd’hui, presque tous les stylistes apprennent à travailler le ‘’kanvo’’. Aujourd’hui, des jeunes étudiants s’intéressent au métier de tissage. Nous avons aussi associé l’ordre national des architectes et urbanistes du Bénin pour leur montrer qu’ils peuvent utiliser le ‘’kanvo’’ dans l’aménagement d’une maison.
Quel impact peut avoir la promotion du ‘’Kanvo’’ sur l’économie béninoise ?
Tout ce qui concerne la mode en Afrique subsaharienne pèse près de 31 milliards de dollars américains. Avec une population de 11 millions, si 10% des béninois consomme 10.000 FCFA de pagne tissé chaque année, cela fera environs dix milliards FCFA. Vous voyez l’impact que cela aura sur la chaîne sociale ? La promotion du pagne tissé aura un impact économique formidable.
Quand on prend les enseignements maternel, primaire et secondaire, on peut estimer les apprenants à environs 3, 4 millions. Imaginez l’impact qu’aura le fait que toutes les uniformes kaki des apprenants soient cousues avec du pagne tissé béninois. Même si on suppose que c’est juste une partie de l’uniforme qui est en pagne tissé, cela constitue des milliards de recettes et cela créera des emplois pour des milliers de jeunes dans plusieurs secteurs.
Notre pagne tissé est de plus en plus présent sur le plan international. La preuve est que récemment à Genève, lors de la journée mondiale du coton, le styliste Lolo Andoche a représenté le Bénin avec le pagne tissé béninois.
Mais tant qu’il n’y aura pas une volonté politique forte, nous ne pourrons pas arriver à la labellisation du pagne tissé béninois comme les burkinabés l’ont fait.