La musique rap ou hip hop, après des débuts timides dans les années 1990, est totalement acceptée par le public béninois qui en redemande parfois. Stéphane Dedi alias Orpair s’est, dès son jeune âge, investi dans cet art. Environ deux décennies plus tard, il retrace son parcours, fait un bref bilan et renseigne sur les projets qu’il nourrit pour la musique urbaine béninoise. C’est à travers une interview que nous vous invitons à parcourir ci-dessous.
L’économiste du Bénin : Comment peut-on vous présenter ?
Orpair : Je suis plus connu en tant que rappeur, artiste, chanteur, compositeur. Aussi, je viens de finir mon doctorat en business administration. Ce qui fait qu’en plus d’être artiste, je développe le côté entrepreneur avec des business et projets qui tournent principalement autour de l’art musical à savoir : l’événementiel, la gestion de carrière artistique, la représentation de marques.
Je travaille au sein du Boss Inc Label Sarl. J’y étais depuis le début, il y a plusieurs années. On était six à travailler au sein de ce label. Mais au fil des années, pour diverses raisons, plusieurs membres étaient devenus indisponibles pour poursuivre l’aventure et moi j’étais encore jeune, entre 10 et 12 ans. Mais moi j’étais encore très enthousiaste alors mes aînés ont décidé que je sois la mascotte du groupe et eux resteraient dans l’ombre pour m’accompagner et me guider. C’est comme çà que Orpair a été propulsé au-devant de la scène sous le couvert du Boss Inc label.
Qu’est-ce qui justifie le silence de Orpair depuis quelques années ?
Je ne suis pas resté silencieux. Il y a juste le fait qu’il y a quelques années, nos productions passaient sur les chaînes nationales et privées de télévision et aujourd’hui avec les chaînes spécialisées comme Trace et consorts les chaînes locales ont perdu de l’audience.
En dehors de cela, il y aussi le fait que pendant une période, je ne me suis concentré que sur moi. Je mettais mon savoir-faire et mon énergie au service de Boss Inc label pour aider les autres artistes en développement. C’était beaucoup plus eux qu’on mettait en lumière. Après, je suis revenu avec un nouveau projet qui tourne assez bien. Il s’agit d’un featuring avec Wilf Enighma qui s’appelle ‘’Oh Mama’’ qui m’a permis de renouer avec le marché béninois.
Ensuite, j’ai lancé le premier single de mon album qui est ‘’Perdre la tête’’, réalisé en Europe. Puis, nous avions été obligés de mettre fin aux téléchargements gratuits afin d’inculquer la notion d’achat en ligne aux mélomanes béninois. Ceci a fait que nos chansons n’ont plus tourné comme avant. Tout cela a fait qu’on aurait pensé que j’étais absent mais j’étais bel et bien présent, en train de faire un travail conséquent pour le développement culturel du Bénin à travers Boss Inc label.
Comment êtes-vous arrivé à la musique ?
Quand j’ai quitté la Côte d’ivoire où j’étudiais pour revenir au Bénin, mon grand frère, Docteur D-ar de son nom d’artiste, faisait déjà des scènes musicales. C’est avec lui que j’ai fait mes premières armes. Il livrait déjà des prestations dans des endroits mythiques du moment comme le centre culturel chinois et le festival Hip-Hop Kankpé (HKH). C’est lui qui écrivait mes premiers textes et très vite j’ai graviis les échelons dans son ombrage.
Donnez-nous un bref aperçu de votre parcours artistique ?
Ma première scène c’était au Centre culturel chinois entre 2004 et 2005. Après j’ai fait le festival Hip Hop Kankpé. A la suite de ces scènes j’ai eu mon passeport pour fréquenter la plupart des scènes dignes du nom à Cotonou et un peu partout au Bénin.
De quoi est meublée votre discographie ?
J’ai sorti beaucoup de singles. Au début, la politique c’était de rendre disponibles les sons en téléchargement pour pouvoir imposer le nom de notre label. C’est à partir de 2009 que les choses vont devenir très sérieuses. J’avais sorti mon premier projet digital qui était “numéro 1“. Ensuite, nous avons sorti un album de 32 titres ” JUST 32″ avec plusieurs artistes confirmés et des talents qui se sont confirmés plus tard.
Après j’ai sorti le projet ‘’Back in the day’’ puis j’ai enchainé avec les clips vidéos qui ont assez tourné sur les chaînes locales et à l’international. Je sortais un clip chaque mois. Cela a participé à me faire plus connaître et asseoir mon hégémonie dans le milieu du hip hop au Bénin et en Afrique.
Quels sont les objectifs visés par Boss Inc label ?
Notre objectif premier c’était de permettre à toutes personnes dotées de potentialités avérées de partir du niveau zéro pour atteindre le succès, les performances. Donc, nous avions l’ambition d’instaurer un véritable label à l’image de ceux occidentaux afin d’offrir la chance aux jeunes qui ont du talent mais qui n’ont pas forcément les moyens de les mettre en valeur de pouvoir se développer et atteindre le succès, c’est-à-dire devenir des boss. Nous voulons développer le business musical au Bénin et montrer aussi par ricochet que le hip hop c’est du travail, du business et non l’apanage des divorcés sociaux comme beaucoup le croyaient encore il y a quelques années.
Nous dénichons les talents et nous développons leurs potentialités pour en faire des produits finis. On avait sorti entre autres, trois compilations en moins d’un an. On essayait de mettre en avant des artistes sur des radios et télévisions nationales et internationales et de leur faire profiter du digital. C’est bien notre label qui a eu à faire la première approche digitale avant que les labels comme Sony et Universal n’en fassent de même en ce qui concerne le Bénin. C’est suite à nos projets que le digital s’est avéré imperatif et démocratisé ici.
Quels sont les projets de Boss Inc label à court, moyen et long terme ?
Nous travaillons sur des show-case et bientôt on fera des concerts. Les show-case se font dans plusieurs endroits différents : restaurants, bars… On a un projet humoristique qui est piloté par le responsable de communication de Boss Inc label, Rom la star, qui fait déjà des soirées de fou-rire avec des comédiens comme Elifaz.
Il y a aussi le ‘’Wakanda Marley Night’’ que nous organisons chaque 11 mai pour apporter une touche personnelle à la célébration du décès de Robert Nesta Marley. C’est une forme de show-case où les artistes, amateurs et mélomanes viennent se défouler au rythme et mélodies de la Jamaïque mais, avec la particularité que le spectacle est produit par des artistes confirmés et la sécurité est garantie pour tous les spectateurs.
Nous faisons dans le social aussi avec des dons et des aides que nous portons à des individus qui en ont vraiment besoin. On n’est peut-être pas réguliers dans la périodicité parce qu’on fait avec les moyens que nous avons et cela n’est pas encore très rentable, mais nous travaillons à un positionnement.
Quel regard portez-vous sur le hip hop béninois ?
Le hip hop béninois se porte bien. Cela évolue. Les générations précédentes ont essayé de bâtir quelque chose et nous aussi on tisse notre corde au bout de la leur. Ceux qui viendront après nous en feront logiquement de même. Pour moi, il n’y a pas de jalousie. Chacun apporte sa pierre à la construction de l’édifice hip hop Bénin.
De même, le travail artistique se professionnalise davantage. Avant, il fallait juste enregistrer un son et puis on passe à la télé. Mais maintenant il y a des shooting photos, des cover, le story telling, le debriefing et plein d’autres choses dont la combinaison fait le hip hop.
Ce qui manque réellement ce sont les scènes. Il faut, qu’on investisse beaucoup mais en terme de rentabilité, pour l‘instant, c’est difficile. Mais on garde foi en espérant que ça aille vu qu’on est des passionnés et que nous restons déterminés à faire de notre passion un art au service de tous.
Quelle comparaison pouvez-vous faire entre l’état d’esprit des rappeurs occidentaux et béninois ?
On a tous la même volonté. La même envie de bien faire. La même volonté de plaire au public et aux mélomanes. Après, on n’a pas les mêmes moyens, les mêmes retombées et nous ne travaillons pas dans les mêmes conditions. Au début il y a assez de motivation. Mais après quand tu dois financer un clip vidéo à hauteur du million de francs CFA et qu’à la suite tu ne rentabilises pas, l’envie de continuer s’envole et cela devient difficile d’avancer si on n’a pas un mental d’acier.
Avez-vous un appel à lancer ?
Je tiens à remercier ceux qui nous soutiennent. On les invite à nous soutenir davantage en achetant des tickets pour participer à nos événements, en nous soutenant sur les réseaux sociaux et en téléchargeant nos productions. C’est tout ce qu’on peut leur demander pour le moment. Le reste viendra avec le temps et la conscience participative de tous.