Tradition aux origines lointaines, la migration, cette autre expression de la liberté individuelle pour les ressortissants de pays en difficultés, occupe de plus en plus une place de choix dans les multiples options qui s’offrent aux citoyens. Comme deux pièces d’une monnaie, réussite ou fiasco, elle dicte aux avenants. Un tour dans cet univers empreint de joie et de tristesse, proposé par Afouda Vincent Agué et Léonce Gamaï avec le soutien de la Fondation Friedrich Ebert Stiftung.
Sylvestre TCHOMAKOU
Le goût de l’ailleurs, partout et nulle part, en ce 21ème siècle, est l’idée qui germe dans l’âme des citoyens, notamment africains. Du cas du Bénin, perçue comme l’apanage pour échapper au diktat de la pauvreté et d’une vie où l’on côtoie l’existence, la migration a depuis plusieurs décennies, pris une ampleur assez impressionnante. D’après les données fournies par l’ONU et les missions diplomatiques et consulaires (selon la publication de Afouda Vincent Agué et Léonce Gamaï : Voix des migrants béninois), le nombre de béninois à l’extérieur (sous-régional, continental et international) varie entre 500 mille et 4 millions 400 mille. Quoique s’inscrivant sur la liste des problèmes à combattre par les Etats, en témoignent les sommets organisés ça et là, à ce propos, elle reste ambiante. Puisqu’il est question du Bénin, le réel mobile du fort attachement des ressortissants béninois à cette autre expression de la liberté, n’est rien d’autre que les conditions de vie précaire, le chômage, etc. qui dictent avec arrogance leur loi. Ce constat, loin d’être remis en cause, est ce qu’approuve le ¾, pour ne dire l’ensemble des femmes et hommes du livre « Voix des migrants béninois ». Partis pour s’offrir une meilleure couverture afin de construire leur futur, les uns, comme ils l’ont rêvé, l’obtiennent tandis que d’autres, se retrouvent dans « un piège san fin », frôlant la mort. Preuve ? « La vie était rose en Côte d’Ivoire… On avait de quoi faire face aux difficultés des membres de la famille laissés au Bénin. ». Cette affirmation, elle est de dame Essèdo, la soixantaine qui, d’après les informations fournies par les deux auteurs, a passé 36 ans de sa vie en terre ivoirienne. Ayant achevé la construction de la maison qui l’abrite aujourd’hui, en 1997, elle garde toutefois une « mémoire d’outre-tombe » du décès de l’homme qui lui a permis de connaître la Côte d’Ivoire. Le couple qui a vécu quelques années dans un studio loué à 2000 F CFA le mois a, en peu de temps, acheté une parcelle dans un village de Divo, 200 Km à l’ouest d’Abidjan, et y a construis une maison où grandiront la plupart des enfants qu’il a eus. La disparition prématurée de son époux fait d’elle une nouvelle combattante car elle doit s’occuper de ses enfants, et empêcher la dépossession des biens de son mari. Les épreuves s’enchaînant, elle devra garder la tête haute face à deux cambriolages successifs.
Au bord du désespoir
Face aux cambriolages dont elle a été victime, Essèdo avait été obligé de déscolariser l’un de ses enfants au premier coup. S’apprêtant à se rendre à la cérémonie d’inhumation de sa mère en 2006 à Ouèssè (Centre du Bénin), les voleurs lui rendirent à nouveau visite en emportant tout : argent, pagnes, bijoux, marchandises, etc. L’acte commis, elle ne pouvait plus rentrer au pays pour l’enterrement de sa défunte mère. Après maintes attaques à main armée de fusils, elle décide de rentrer en 2009 avec deux de ses petits-enfants. Bien qu’ayant fait de bonnes moissons dans ce pays hôte, elle garde des souvenirs amers.
Une prometteuse aventure Belge éteinte
Déscolarisé en classe de troisième suite aux décès de ses parents, l’étoile d’Eustache, brillant de tout éclat, n’a pas tardé à s’éteindre pour raison de trahison orchestré par ses proches. En effet, de la Belgique où il était, expédiant véhicules, postes téléviseurs, etc. vers le Bénin pour être vendu, Eustache vivait bien. Mais, la trahison n’était pas loin. « Revenu au pays en 2003, Eustache est déçu du niveau des travaux » de construction du complexe hôtelier qu’il a financé à coup de millions. « Revenu de la Belgique, avec des marchandises qui ne s’écoulaient pas aussi vite qu’il aurait souhaité, son séjour s’allonge passant d’un à six mois et plus. » détaille le livre consacré à l’aventure des émigrés béninois. C’est ainsi que l’homme qui a commencé à faire fortune en Belgique a vu sa vie passer à un bohème. Devenu aujourd’hui commerçant de friperie grâce à un de ses amis qu’il soutenait pendant que tout lui allait bien, il reste l’une des preuves de la bénédiction que peut représenter la migration, surtout lorsqu’elle est faite suivant la loi.
Quand le destin de migrant se force…
Si au vue de ces expériences toutes originales, on peut affirmer que le goût de l’ailleurs est une chance de réalisation de soi pour ne dire de développement, il n’en demeure pas moins que la migration se présente comme un piège aux avenants. Les cas de Ahassanou et de Ahmed, tous relatés par les auteurs du livre « Voix des migrants Béninois », en disent long. Récidiviste de l’immigration clandestine car expulsé deux fois de l’Algérie, le premier, Ahassanou, jeune maçon-carreleur de 25 ans, se trouve à Djougou, au moment des travaux de collecte données de l’ouvrage exploité. Voulant changer son quotidien qui a trop tôt écourté son rêve de devenir fonctionnaire, il s’embarque pour l’Algérie après avoir forgé ses armes dans la maçonnerie et le carrelage. « J’ai suivi des amis en partance pour l’Algérie. Je leur ai remis tout mon argent pour qu’ils m’emmènent avec eux » a-t-il raconté aux auteurs qui l’ont approché. Dans la clandestinité, à travers le désert du Sahara, avec ses compères, il foule le sol algérien. Pour avoir de boulot à Tamanrasset, une ville du Sud de l’Algérie où il s’est installé, « on s’aligne au bord des trottoirs… Les patrons en quête de manœuvre sillonnent ces trottoirs pour nous trouver », explique-t-il dans la succincte œuvre consacrée à la migration des béninois. Repris du trottoir pour travailler sur des chantiers de construction de logements sociaux, il est payé à 7.500 F CFA et devra passer ses nuits et ses journées sur les chantiers ; lesquelles journées commencent à 5 heures pour finir à 19h avec une pause d’une heure entre 13h et 14h. Sans domicile fixe, il garde ses économies avec lui, de chantier en chantier. Mais malheur, il sera raffolé par la police puis expulsé vers le Niger après un mois de détention avec d’autres migrants noirs dans des conditions qu’il qualifie d’inhumaine. C’est sans compter sur entêtement à retourner à Tamanrasset au motif de « son économie d’environ 200.000 dinars algériens, soit près d’un million de FCFA, cachée sur le dernier chantier où il a travaillé ». Ce qui ne sera point trouvé parce qu’il a perdu les contacts de son patron d’alors. Avant d’obtenir un nouveau job, il est expulsé à nouveau et cette fois-ci, sous escorte policière. Alternant marche et auto-stop, il rejoint Arlit d’où, il joint sa famille afin que lui soit envoyé de l’argent pour le transport retour.
L’autre porte de l’esclavage « tout neuf » ?
De la même envergure, la migration de Hamed est de plus triste et des plus folles. Rêvant de Tripoli, il y sera accueilli effectivement mais en prison à Sabha, pendant des mois, très loin de la capitale libyenne. Arrêté par des hommes armés, en uniforme militaire, « ce ne sont pas des policiers. C’est des bandits. Tout le monde est en treillis en Libye, on vent les treillis. Chacun achète et va braquer », raconte-t-il après sa mésaventure. Le plus effroyable, il s’agit plus lui d’un retour dans la période d’esclavage à l’étape brute. « Chaque matin, quand les Arabes se lèvent, ils nous frappent. C’était pénible. Même manger était difficile. On nous donnait du pain de plusieurs jours. Donc il n’a pas été facile d’entrer en Libye », a témoigné Hamed dans les lignes de la « Voix des migrants béninois ». Libéré après une caution payée à ses ravissseurs par ses parents, il continue son aventure pour atteindre Tripoli où, grâce à « un oncle direct, » il trouve un emploie payé à environ 200 mille f cfa dans une boutique. S’en contentant avec soin, il finit par payer les dettes au pays. Peu de temps après, son lieu de travail attaqué par des hommes armés, il fera partie des Noirs « ramassés, battus et jetés dans le Sahara. Son aventure, pour faire court, arbore la cruauté humaine et la possibilité de se réaliser ailleurs, sur des terres nouvelles.