Les expériences de microfinance au Bénin remontent aux années 1970 avec la création en 1977 des caisses locales de Crédit Agricole mutuel (Clcam). Evoluant de microcrédit au plus pauvres à microcrédit nouvelle génération, elle a non seulement sorti plusieurs familles de la pauvreté mais elle a aussi fait, des béninois fortunés.
Félicienne HOUESSOU
L’objectif au départ étant d’offrir des services d’épargne et de crédit aux agriculteurs, fonctionnaires et entrepreneurs, la microfinance au Bénin a changé de visage au début des années 1990 sous l’impulsion de la grave crise économique et sociale. Une série de réformes a été entreprise par le gouvernement visant à créer des cadres réglementaires et prudentiels stricts en vue de favoriser l’émergence d’un secteur financier privé et compétitif. De plus, l’Union économique et monétaire ouest africaine (Uemoa) et la Coopération internationale au développement (Cid) se sont engagées dans l’élargissement du paysage financier de l’union par la promotion des Institutions de microfinance (Imf) ou Systèmes financiers décentralisés (Sfd) qui sont censés répondre aux besoins diversifiés de services financiers des populations. L’Uemoa a procédé à l’élaboration et la vulgarisation de la loi Parmec qui constitue le cadre juridique et réglementaire spécifique à la microfinance dans l’Union. Une situation qui a favorisé la création de l’Agence d’appui aux petites et moyennes entreprises (Papme), Association pour la promotion et l’appui au développement des micro-entreprises (Padme), Finadev (une institution de microfinance pionnière du microcrédit au Bénin qui s’adresse principalement aux femmes travaillant dans les grands marchés)… Ces structures ont pour mission de mettre à la disposition d’une population ayant des difficultés à accéder au crédit bancaire des produits adaptés à ses besoins.
De six Imf enregistrées en 1999, le Bénin est passé à 199 en 2005. Au même moment les points de service sont passés de 312 en 1998 à 1308 en 2005. Ces chiffres rendent compte de la rapide croissance des IMF au Bénin. Selon les indicateurs des SFD de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), le pays comprend fin 2014, 54 IMF et 447 points de services pour 2.615.858 clients/membres. Le montant total des dépôts s’élève à 84.903 millions FCFA et l’encours des crédits à 113.970 millions FCFA. Selon la même source, en septembre 2018, le Bénin compte 59 SFD avec 463 points de services pour 2.032.820 de clients/membres. Le montant total des dépôts s’élève à 97.700 millions FCFA et l’encours des crédits à 124.204 millions FCFA. La totalité des SFD du Bénin ayant l’autorisation d’exercice de la microfinance, quelques soit le statut, sont regroupés au sein de l’Association Professionnelle des Systèmes Financiers Décentralisés du Bénin (Apsfd-Bénin) connue sous le nom de Consortium Alafia.
Photo : Ignace Dovi
Légende : Le directeur du Consortium Alafia, Ignace Dovi
Microcrédit aux plus pauvres
La mise à disposition de la micro-finance aux couches les plus défavorisées constitue une innovation du gouvernement du Bénin sous le premier mandat du président Yayi. Les microcrédits sont des prêts sur mesure accordés aux populations soit pour débuter une activité génératrice de revenus, soit pour accompagner une activité déjà en cours. Ils se donnent pour objectif d’inclure dans ce marché financier les populations qui n’ont pas accès aux banques classiques, parce qu’elles sont trop pauvres, trop éloignées des banques. Par le Programme du microcrédit aux plus pauvres (MCPP), le gouvernement s’était fixé comme objectif d’accroître la création de la richesse nationale en intégrant dans le circuit productif, le potentiel des micro entrepreneurs parmi les plus pauvres et qui sont privés d’accès aux produits et services financiers du fait des risques que revêt le financement de la couche à laquelle ils appartiennent. Il s’agissait à travers le programme de donner aux plus pauvres les moyens de s’inscrire dans la dynamique d’autonomisation progressive afin d’accéder aux conditions requises pour une vie digne et décente, de mettre en place des mécanismes de financement de l’économie nationale en tenant compte des spécificités de celle-ci et surtout de la réalité des acteurs qui l’animent.
Depuis 2006, la vision du gouvernement a été de faire de la micro-fiance un outil incontournable de développement à la base et de lutte contre la pauvreté. Il s’agissait pour l’ancien chef d’Etat, Boni Yayi, de rendre productifs et créateurs de richesses les béninois qui aspirent au bien-être social à travers le micro-crédit et autres services d’accompagnement en leur fournissant un encadrement susceptible de développer en eux une capacité de gestion des activités génératrices de revenus. Pour y parvenir, il a été conçu le programme de micro-crédit aux plus pauvres d’un montant total de 20 milliards au titre de l’année 2008. Aussi, il a été conçu un volet non financier du programme orienté vers la formation, l’alphabétisation et l’initiation aux normes cardinales que sont la gestion de la mutualité, celle des coopératives et des cycles des activités génératrices de revenus. A cela, il faut ajouter l’initiation aux notions de tenues de comptabilité, de crédits et des principales obligations sous-jacentes. Un paramètre qui permettra d’augmenter la capacité managériale des bénéficiaires suivant les meilleures pratiques en vigueur dans le domaine de la micro-finance.
Cinq années après sa mise en œuvre, l’ancienne ministre de la micro-finance Réckyath Madougou a confié que l’un des plus grands défis à relever reste la modernisation des outils de gestions. Ceci en généralisant la solution biométrique dans tout le processus d’octroi des crédits. Ensuite, il sera question du renforcement des effectifs et capacités techniques des Institutions de micro finance, de mettre en place une approche intégrative de la micro finance avec le développement en cours d’action à vocation sociale (micro assurance, alphabétisation) et prochainement mutuelle de santé.
Photo : Reckya Madougou
Légende : L’ancien ministre de la Microfinance, Reckya Madougou
Microcrédits aux plus pauvres Nouvelle Génération
Le programme de Micro-crédits aux plus pauvres Nouvelle Génération (MCPP-NG) est un pan d’un vaste programme du gouvernement dénommé Assurance pour le renforcement du capital humain (Arch), un projet phare du Programme d’Actions du Gouvernement. Il démontre la prise de conscience politique de cette problématique, mais aussi une reconnaissance du rôle primordial qu’elle induit dans la vie quotidienne des populations. Il propose un pack de trois produits allant de la formation à l’épargne en passant par le micro crédit afin de réduire la pauvreté. Selon le ministre Adidjatou Mathys, le gouvernement de Patrice Talon soucieux de l’autonomisation des femmes et des couches démunies, a fait du microcrédit un instrument important de croissance économique et de lutte contre la pauvreté, pour être en phase avec le 3ème pilier de son Programme d’actions à savoir, l’amélioration des conditions de vie des populations. Pour elle, le gouvernement a décidé de la relance du programme de microcrédit au plus pauvres après avoir relevé des insuffisances et de prendre des mesures correctives. Un montant total de 1 milliard de F CFA a été mis à la disposition des (SFD) dans le cadre du MCPP-NG. Lors d’une de ses sorties, Dénise Atioukpè, Directrice du Fonds National de Microfinance a rassuré les femmes de la pérennisation des activités de microcrédits qui permettent à celles-ci de s’autonomiser et de s’épanouir dans leurs foyers. Elle a martelé que les microcrédits relèvent du social et ne peuvent jamais connaître de fin.
Photo : Dénise Atioukpè
Légende : La directrice du Fonds national de microfinance, Dénise Atioukpè
Un outil qui nécessite davantage de sécurité
L’Uemoa, la CEDEAO et la BCEAO ont établi plusieurs lois et décrets pour réglementer le secteur. En dehors de ces lois et décrets, il y a les textes nationaux tels que la loi bancaire n° 90-018 du 27 juillet 1990 portant règlementation bancaire, la loi n°97-027 du 08/08/97, des décrets et autres. Malgré cette règlementation le secteur enregistre de nouvelles structures : ONG et institutions regroupées sous le thème institutions de micro-finances. Il est très facile de constater que l’existence de tout cet arsenal juridique n’a pas pu empêcher les taux d’usure élevés et largement supérieurs à ce que recommandent les règlementations en vigueur. D’après un rapport du diagnostic approfondi du secteur de la microfinance au Bénin réalisé par le Pnud-Bénin, il a été prouvé que » le taux d’intérêt effectif des crédits proposés par les Imf est au-delà du taux d’usure de 27% fixé par la réglementation. Les écarts par rapport au taux d’usure sont variables de 0,27% à plus de 30% « . Ainsi, ces structures utilisent les services de micro-finance pour abuser de la confiance des épargnants et s’enrichissent de façon illégale. ICC service et consorts proposaient un taux d’intérêt faramineux qui avoisine 300%.
Juriste socio-économiste, Consultant en micro-assurance, Oyetunde Ayeni pense que le microcrédit n’aura aucune incidence significative sur le bien-être social et la réduction de la pauvreté tant que la micro-assurance ne sera pas prise en compte dans toutes ses composantes et que l’Etat restera une chimère avec sa flotte de diversions et d’utopie. Il serait donc nécessaire et indispensable d’associer la micro assurance au microcrédit, afin de couvrir les risques subis par les individus les plus démunis. De plus, il faudra renforcer le cadre légal, règlementaire et institutionnel. Autant de défis à relever.
Le scandale financier du siècle
L’affaire ICC Services ou l’affaire Madoff béninoise est un scandale, qui s’est déroulé entre les années 2000 et 2010. Basé sur un système de Ponzi, cette arnaque financière consistait à rémunérer les premiers investisseurs avec les dépôts des nouveaux clients, à des taux d’intérêt très élevés. Après environs une décennie d’exercice sans base légale, le système s’effondre en 2010. Jusqu’à 300 000 personnes ont été spoliées, pour un total estimé à plus de 200 milliards FCFA.
Investment Consultancy and Computering Services (ICC Services) est, au départ, une organisation non gouvernementale à but non lucratif, dirigée par Guy Akplogan, Émile Tégbénou, Nonhèmi Agossou et Nicolas Houngbèmè. Cette ONG, proche de l’église du christianisme céleste, commence d’abord à faire du mécénat, en finançant la construction de centres de santé, d’écoles et le forage de puits, avant de se lancer, en toute illégalité, dans la collecte et le placement d’épargne, à des taux d’intérêt allant jusqu’à 200% par trimestre. En 2010, après quatre années d’exercice de cette activité illégale, le système s’effondre, faisant des centaines de milliers de victimes. Des artisans, des commerçants, des magistrats voire des députés ont perdu leurs économies dans cette affaire.
Plusieurs épargnants et l’opposition ont accusé l’État d’avoir porté caution à ce système d’escroquerie et d’être de connivence avec les responsables d’ICC services. Ceux-ci s’affichaient aux côtés de hauts fonctionnaires béninois, dont le ministre de l’Intérieur Armand Zinzindohoué, limogé lors de l’éclatement de cette affaire. Les responsables d’ICC services ont même été reçus au palais de la Marina, et bénéficiaient, pour certains, de gardes du corps et du permis de port d’arme.
Les principaux dirigeants d’ICC Services et leurs complices ont été arrêtés et leurs biens saisis. Ils ont été jugés pour association de malfaiteurs, escroquerie avec appel au public et exercice illégal d’activités bancaires et de micro-finance.
Après de nombreux renvois et suspensions, le procès ICC services a repris le 17 décembre 2018 devant la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (Criet) et est retransmis sur plusieurs radios.
Au cours de ce procès, les responsables d’ICC Services affirment avoir versé des pots-de-vin à des personnalités au sommet de l’État, dans le but d’obtenir l’agrément d’exercer. Ils citent les noms d’anciens ministres dont Pascal Koupaki, alors Premier ministre, et Victor Topanou, ancien Garde des sceaux, ce qui renforce la thèse de complicité de l’État dans cette affaire.
Le procès ICC services a connu son épilogue le jeudi 7 février 2019. Après plus d’un mois de navette entre la prison et la Criet, les accusés ont été enfin fixés sur leur sort. Selon le verdict final rendu, la Cour acquitte les accusés pour les faits d’association de malfaiteurs mais condamne pour escroquerie avec appel au public, épargne public, activités bancaires. Guy Akplogan, Émile Tégbénou, Pamphile Dohou, Clément Sohounou ont écopé de 10 ans d’emprisonnement ferme et 12 millions FCFA d’amende chacun ; Étienne Tihoundro à 8 ans d’emprisonnement ferme et à 240.000 FCFA d’amende ; Grégoire Ahizimè à 3 ans d’emprisonnement ferme et à 8 millions FCFA d’amende pour blanchiment d’argent.
De même, la justice béninoise a acquitté purement et simplement le pasteur Justin Dimon et ordonné la restitution des huit millions FCFA qu’il a versés comme caution. Elle a aussi acquitté Michel Agbonon retenu pour complicité. Enfin, la Cour a ordonné le dégel des 252 millions FCFA consignés au greffe, des 275 millions FCFA consignés au trésor public et la vente de plus de 150 immeubles appartenant aux promoteurs. Les frais issus de la vente des plus de 150 immeubles en plus des 822 millions FCFA vont servir à rembourser les victimes.