Consolider la démocratie, l’Etat de droit et la bonne gouvernance en renforçant la couverture judiciaire, c’est une priorité du gouvernement du Président Patrice Talon. Pour y arriver, le Chef de l’Etat a initié un certain nombre de réformes. Quatre années après, le secteur de la justice et de la législation a-t-il réellement connu une modernisation ? Le Bénin dispose-t-il aujourd’hui d’une justice de qualité ? Quel bilan faire, aujourd’hui, 04 années après ? Nous en parlons avec le Garde des sceaux, ministre de la justice et de la législation, Sévérin Maxime QUENUM.
Journaliste : Quelle est la qualité de la justice offerte aux Béninois, aujourd’hui, après 04 ans de gouvernance ?
Sévérin Maxime QUENUM : Pour répondre à votre préoccupation, il faut partir de la mission assignée au Ministère de la justice et ensuite du bilan tel qu’il avait été établi en 2016.
Le Ministère de la justice a essentiellement pour mission d’assurer le bon fonctionnement du service public de la justice dans le respect du principe de la séparation des pouvoirs, de promouvoir les droits de l’Homme et ceux de l’enfant, de promouvoir la bonne gouvernance et d’assurer une dynamique de renforcement des relations avec les Institutions. Telle est la mission du Ministère de la justice. Lorsque cette mission a été établie, et qu’il était question d’élaborer le Programme d’actions du gouvernement (Pag), il fallait faire l’état des lieux ; une équipe a travaillé et a fait l’état des lieux sans concession avec rigueur.
A cette époque-là, vous vous en souviendrez certainement, c’était la paralysie quasi-permanente des juridictions due aux grèves intempestives et répétitives à la limite du chantage syndical. D’un autre côté, il y avait la corruption qui s’était quasiment généralisée au niveau des magistrats. Au niveau des greffes, il y avait une sorte d’affairisme qui était développée avec un racket des justiciables. Vous avez également de l’autre côté, une extrême lenteur dans l’examen des dossiers et la délivrance des actes. C’est peut-être l’une des caractéristiques ou des griefs qui sont faits depuis toujours à la justice. Il y avait également un sous-effectif au niveau du personnel judiciaire, en particulier les magistrats (défauts de quantité, de bureaux), vétusté des locaux et des installations et surtout une gestion calamiteuse des contentieux de l’Etat qui se soldaient le plus souvent par des condamnations, à la limite, scandaleuses puis maintenant une forme d’instrumentalisation de la justice dans un certain nombre de dossiers.
Lorsque Patrice Talon a fait ce diagnostic avec son équipe et votre prédécesseur, Me Joseph DJOGBENOU, après 04 de mise en œuvre du remède proposé, quelle qualité de justice avons-nous aujourd’hui ?
D’emblée, je dois vous dire que la justice se porte mieux parce que nous assurons, aujourd’hui, la continuité du service public de la justice avec un meilleur encadrement du droit de grève. Vous imaginez que le service public de la justice ne peut être interrompu, aujourd’hui, parce qu’il y a des réclamations d’ordre catégoriel ou professionnel. Aujourd’hui, nous avons permis de tourner pratiquement 24h/24, 365 jours sur 365.
Quelles sont, au niveau des juridictions, les actions menées qui vous permettent d’affirmer aujourd’hui que la justice se porte mieux ?
Sur la base du bilan établi, nous avions mis la justice au travail. Nous nous sommes accordés sur un certain nombre de points avec les syndicats. Leurs revendications sont satisfaites et puis ils sont au travail.
Au niveau des réformes, nous avions supprimé, par exemple, les cours d’assises en instituant les Chambres criminelles dans toutes les juridictions de première instance. C’est pour juger les infractions les plus graves que nous appelons crimes au sein des ces juridictions qui n’obligent pas forcément à éloigner le justiciable de la localité où l’infraction a été commise. Aujourd’hui, les infractions seront jugées dans un délai court, une période voisine de la commission de l’infraction dans le lieu où elle a été commise et puis par la juridiction localement établie. Je crois que c’est une performance. Cette institution des Chambres criminelles au niveau des Tribunaux de première instance a permis également l’instauration du double degré de juridiction en matière criminelle.
Nous avons également créé les Tribunaux de commerce dans les villes à statut particulier à savoir Cotonou, Porto-Novo et Parakou. Le Tribunal de commerce de Cotonou a été déjà installé et est en activité. Il est pour nous, aujourd’hui, une juridiction pilote d’accessibilité des justiciables et de dématérialisation.
La CRIET fait partie des innovations des 04 ans d’actions de Patrice Talon dans le domaine de la justice.
Vous parlez des réformes qui contribuent à la modernisation du service public de la justice. Je voudrais d’abord vous rappeler que nous avons rendu opérationnelles les Chambres administratives des Tribunaux et des Cours pour permettre la gestion au niveau local des contentieux entre l’administration et les administrés.
Je voudrais revenir d’un trait sur le Tribunal de commerce. Il est une juridiction spéciale dédiée au monde des affaires et qui est caractérisée par la souplesse, la sérénité de ses décisions, manifestée par une meilleure accessibilité. Le Tribunal de commerce de Cotonou est une juridiction pilote en termes d’accessibilité, de dématérialisation. Elle a, au-dessus d’elle, la Cour d’Appel de Porto-Novo et, grâce au concours de la Banque Mondiale, nous avions pu mettre en place l’infrastructure qui va accueillir bientôt son premier personnel. Il s’agit d’assurer pour le monde des affaires un ensemble et, à la faveur du vote de la dernière loi sur la modernisation du secteur de la justice, nous avions prévu la dématérialisation des procédures à cette juridiction qui a, comme les Tribunaux de première instance, une Chambre des petites et moyennes créances. Quand la décision est rendue, elle est privée du double degré de juridiction et enfin, elle est dispensée du droit d’enregistrement. Cela permet d’avoir la décision rapidement et de pouvoir l’exécuter.
Cela pourrait avoir l’avantage d’améliorer le climat des affaires au Bénin ?
Bien entendu. L’objectif était double. Améliorer l’accessibilité et également fluidifier, par le concours qu’il apporte au monde des affaires, les relations entre les commerçants.
Est-ce que cela permet d’améliorer les performances de Doing business ?
Le Doing Business est un programme qui accompagne les Etats dans les réformes et pour accroître les performances économiques. Nous avons eu de très bonnes notes. Les indicateurs, tels qu’ils nous ont été fixés par le Doing Business, ont été très bien accomplis et ça nous permet de dire aujourd’hui à la fois que notre système judiciaire et les réformes structurelles au niveau du Ministère de l’économie et des finances ont permis de fixer notre pays comme un Etat moderne.
Il y a par exemple le répertoire électronique des suretés mobilières ?
C’est la toute dernière innovation qui a été mise en service. Nous avions, avec le Ministre des finances et le concours de nos partenaires techniques et financiers, mis en place un registre pour l’inscription des sûretés mobilières. Il s’agit d’un registre électronique de telle sorte que le créancier n’a pas besoin de se rendre au Tribunal pour inscrire sa garantie sur les biens apportés par son débiteur. Il peut le faire désormais chez lui en introduisant une requête. Les formalités se font en ligne ainsi que les paiements. Quand je parle de formalités, c’est l’inscription, les modifications éventuelles ainsi que la radiation de la garantie pour permettre d’avoir un gain de temps et puis, c’est un système entièrement sécurisé et qui permet de fournir toutes les informations de même que tous les services dans ce domaine. C’est une petite révolution que nous avions effectuée et qui augure de tout ce que nous envisageons de faire en ce qui concerne la dématérialisation.
Vous avez créé la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (CRIET), une cour spéciale mais d’exception pour les autres. Parlez-nous-en.
La CRIET est un instrument destiné à régler la question de l’impunité qui, pendant longtemps, était considérée comme un serpent de mer mais également une citadelle imprenable. Le Bénin a adhéré à une convention internationale sous l’égide des Nations-Unies qu’on appelle la Convention de Mérida par laquelle les Etats se sont engagés à éradiquer la corruption en tant que fléau, en tant que facteur de sous-développement, en tant que facteur de déstabilisation des économies. Tout le monde connait les ravages de la corruption. Nous avons adhéré à cette convention et nous avons légiféré par la loi 2011 sur la corruption et les infractions connexes mais il manquait la volonté politique et l’organe chargé de mettre en œuvre cette volonté politique de lutter contre la corruption et surtout l’impunité. La CRIET a été créée dans ce but pour vaincre notre peur d’engager la lutte contre la corruption. Il vous souviendra que le Président Talon, alors candidat, avait déjà dit, dans son projet de société et même le jour de son investiture, qu’il fera de la lutte contre la corruption son quotidien. Cela n’émousse pas l’ardeur de tous ceux qui luttent contre ce fléau. C’était le moment de le faire et c’est la mission qui est confiée à la CRIET et qui l’accomplit bien avec des résultats élogieux.
Avec pourtant les mêmes magistrats qu’on retrouve dans les autres Tribunaux !
Je peux le dire et l’affirmer que ceux qui animent la CRIET ont été choisis en raison de leur antécédent professionnel. Nous avions voulu une juridiction spéciale et c’est la Chancellerie qui gère la carrière des magistrats. Je ne dis pas que ce sont les seuls magistrats compétents et intègres. Nous avons choisi ceux que nous estimons à même de faire tourner cette juridiction sachant que ceux qui sont là-bas n’ont pas vocation à s’éterniser. Il y aura la relève mais pour l’instant, nous avons donné les moyens à cette juridiction de faire cette lutte, à la fois donc, contre l’impunité, la corruption, le trafic de drogue, le terrorisme et la cybercriminalité.
Monsieur le Garde des sceaux, ce qui étonne est que la CRIET, pour la plupart du temps, ne rend que des peines d’emprisonnement de 20 ans.
Je sais que cette juridiction a été décriée au début car, on avait vite pensé que c’était un épouvantail. Aujourd’hui, tout le monde prend la Criet au sérieux parce que les infractions déférées à sa connaissance sont graves, en dehors des infractions liées au meurtre et aux crimes de sang. Et la CRIET fait un bon boulot. Sur le terrain aujourd’hui, on a un net recul en matière de cybercriminalité. Il y a plus d’égard et de respect pour les deniers publics parce que la CRIET est chargée de la répression des détournements de deniers publics. Sur le terrain de la corruption, et lors des discussions en cas de dérapages, des rappels à l’ordre sont faits par l’invocation de la Criet.
Vous n’avez pas l’impression que c’est devenu un instrument politique puisque, de toute façon, les opposants qui sont envoyés écopent toujours de 20 ans d’emprisonnement fermes. Cela fait partie des reproches faits à la CRIET?
Non. La CRIET n’a pas été conçue pour être un instrument politique. C’est une critique malveillante. Vous avez pu voir que les premières personnes à être épinglées par la CRIET étaient dans l’entourage du président de la République. C’est sans état d’âme. Je crois que lorsqu’on décide de combattre la corruption, ces infractions qui sont les plus graves dans le domaine économique ou le terrorisme, il faut de la détermination et appliquer la loi avec sa rigueur. Les peines n’ont pas été prévues par le régime de la rupture. Toutes ces peines étaient déjà contenues dans la loi de 2011. Monsieur Talon n’est arrivé au pouvoir qu’en 2016. Ce sont des textes qui existaient et qui sont simplement appliqués.
Face aux critiques, semble-t-il, le gouvernement a fait des rétropédalages en dotant la CRIET de double degré de juridiction ?
Non. Nous n’avions pas fait un rétropédalage. Nous avions fait nous-mêmes le bilan au terme de la première année de la CRIET et nous avions senti la nécessité de la renforcer. Et son renforcement peut passer par un double degré de juridiction. Ce que nous n’avions eu aucune peine à faire. Et puis, nous avions renforcé son effectif. Nous avions aussi fait voter une loi sur la gouvernance publique, la loi portant renforcement juridique et judiciaire de la gouvernance publique qui a permis de clarifier la notion d’infraction économique et d’asseoir la responsabilité des agents publics qui occasionnent, pour la plupart du temps,des procès donnant lieu aux condamnations scandaleuses
La CRIET peut fouiller le passé des gens et les condamner même si ces personnes ne sont pas présentes sur le territoire ?
Non. Nul n’est au-dessus de la loi, et les citoyens ont l’obligation, toutes les fois qu’ils sont convoqués à la justice, de se présenter. Personne n’a le droit de se soustraire pour quelque motif que ce soit. Lorsque les procédures sont engagées, peu importe la personnalité, la personne convoquée doit se rendre à la justice.
C’est peut-être dans la Mouvance que les faux procès sont faits à la CRIET. La CRIET ne fouille pas le passé des gens. La loi de 2011 avait déjà inscrit l’imprescriptibilité des crimes et délits publics. Quand des audits sont faits et débouchent sur des malversations, à la charge des agents publics, il faut souhaiter que le châtiment vienne et les atteigne aussi bien dans leur liberté que dans leur bourse. Ceux qui se soustraient, c’est pour un temps parce qu’ils ne vont pas passer leur temps à cavaler.
On a l’impression que la CRIET a une mission large et qu’il n’y a pas de limite et même les infractions sur le Code numérique…
C’est dit dans la loi que la CRIET a le devoir de renvoyer devant les juridictions compétentes, les infractions qui ne relèvent pas de son champ d’application. Ce n’est pas toutes les infractions qui vont aller à la CRIET parce que cela relève du crime économique. La compétence de la CRIET, il faut le rappeler, est nationale. Elle a un domaine particulier et ce sont les crimes économiques, le terrorisme ainsi que le trafic de drogue.