La monnaie du franc Cfa pour les huit pays de l’Union économique et monétaire ouest africaine (Uemoa) sera bientôt appelé ECO. L’annonce a été faite le 21 décembre 2019 par Alassane Ouattara président en exercice de l’Uemoa. Jaurès Sogbossi, chef d’entreprise et président de l’Association en économie, KS-AFRIQUE NON AU CFA/OUI AU KORIS, donne ici, son point de vue de cette réforme monétaire.
L’économiste : Que signifient KS ?
Jaurès Sogbossi : KS, c’est Kadafi-Sankara. Ce sont des initiaux des personnes qui ont lutté pour la cause du développement et la cause monétaire de l’Afrique que nous avons choisi pour notre association, étant donné que ce sont des valeurs que nous défendons pour la libéralisation et pour le développement du continent africain.
Le 21 décembre 2019 dernier, le président Emmanuel Macron a effectué une visite à Abidjan en Côte d’Ivoire et au terme des échanges avec son homologue ivoirien, le président, Alassane Ouattara a annoncé le changement du franc CFA en ECO. Votre appréciation du changement de la monnaie franc de l’Uemoa en ECO ?
Les dirigeants français sont de plus en plus acculés par la jeunesse africaine et voulant échapper à cette pression de la couche juvénile en Afrique, ont pensé utiliser ce moyen pour pouvoir mettre fin aux critiques de plus en plus virulentes dans l’opinion africaine. Pour nous, ce changement annoncé, qui n’est pas encore effectif, n’est que, une fois de plus, l’expression du dédain et du non-respect du peuple africain étant donné que les nouveaux accords de partenariat monétaire qui ont été signés entre l’Uemoa et la France n’ont pris par aucun Parlement de nos pays et n’ont été mis sur la table pour en discussion avec qui que ce soit en Afrique. Aucun référendum n’a été organisé mais on se lève subitement pour signer des accords qui impactent la vie de tout le monde. C’est Ahurissant et c’est à déplorer étant donné que nous sommes de plus en plus dans des démocraties pluralistes et qui s’exercent de façon à consulter ne serait-ce que, des représentants du peuple au Parlement. Mais nous n’avons vu aucun vote d’une loi autorisant la ratification des accords monétaires avant que l’accord soit signé par le ministre béninois de l’économie au nom de tout le peuple de l’Uemoa. Moi je pense que ce sont là encore les actions françaises qui font que normalement les présidents de la zone de l’Uemoa qui ne sont pas d’accord avec cette façon de fonctionner devraient monter au créneau pour se désolidariser de cette signature. Mais nous observons qu’il y a quand même une pression directe ou indirecte de la part de la France sur les dirigeants qui fait que qu’on le veuille ou non, certaines personnes même si elles ne sont pas d’accord avec la manière dont fonctionnent les choses, sont obligées de se taire pour préserver leur vie ou préserver leurs propres intérêts. De façon pragmatique, l’accord tel que cela a été signé, bien que nous n’avons pas encore eu le contenu, au vu des déclarations faites le jour de la signature de l’accord, on peut penser que les changements ont été annoncés pour être opérés. Il faut dire après la signature de l’accord, le ministre béninois de l’économie, a annoncé sur les ondes de RFI que les billets ne seront pas disponibles ou remplacés en 2020 étant donné qu’il aura encore beaucoup d’étapes à franchir. Mais moi, je trouve que c’est de la dilatoire pure étant donné que la volonté politique n’est pas manifeste, du fait que ces personnes qui sont aux commandes politiques ont déjà des vies aisées et ne sont pas impactées par les côtés négatifs du franc CFA. Le côté négatif du franc CFA est le blocage du financement des entreprises et des porteurs de projets en zone franc CFA qui rend impossible l’accès aux crédits bancaires étant donné que la politique monétaire en exercice a pour objectif principal, la maitrise des prix et de l’inflation. Ce qui veut dire, maitrise de la masse monétaire en circulation et donc blocage des crédits bancaires. Parce que c’est par cette méthode qu’il n’y aura pas de création d’entreprises, création d’emplois et donc pas une nouvelle classe de personnes à dont le pouvoir d’achat va accroitre la demande sur les marchés et donc, augmenter les prix sur les marchés. En résumé, ces annonces de changement de nom de monnaie sont pour nous une nouvelle farce. D’abord le nom ECO que cette monnaie veut prendre est une usurpation de nom, c’est-à-dire le nom de la monnaie CEDEAO qui était en projet et que les dirigeants ivoiriens et français ont pensé qu’ils pouvaient se passer derrière ce nom pour faire croire que le franc CFA a disparu en changeant de nom et que les responsables français ne siégeront plus au sein du Conseil d’administration de la BCEAO. Si les français ne sont plus présents, ils ont la possibilité de faire passer leurs instructions, ou leur volonté par des coups de fil ou des mails à qui de droit ou par les cadres de la BCEAO qui ont atteint un niveau de sujétion à la France et qui pensent que tout ce que la France dit est de bonnes choses pour nous.
D’aucun disent que le franc CFA empêchent le développement des pays ouest africains. Partagez vous cet avis avec ceux-ci?
Le franc, c’est ce qui empêche le développement des pays de l’Uemoa. Comme je vous l’ai dit tout à l’heure, l’objectif de la BCEAO, c’est la maitrise de l’inflation, donc d’empêcher la création de nouvelle entreprise, d’empêcher que les gens aient de crédits pour fabriquer par exemple, les piques-dents, les brosses à dents, plats, les ustensiles de cuisine et autres. Il n’y a pas de banque chez nous à qui des jeunes peuvent demander de financement pour faire des fabrications de mèches ou de quoi que ce soit et obtenir le financement. Et ça c’est la politique monétaire qui en est à la base. Et qui dit empêcher l’industrialisation, dit empêcher la création de nouvelles entreprises, dit empêcher la création de nouveaux emplois, empêche la construction de nouvelles maisons par ces personnes qui créent de nouveaux emplois, dit limitation de la masse monétaire en circulation. Etant donné que chaque fois qu’on ne crée pas de nouveaux emplois, on crée de la pauvreté, on crée de la déstabilisation, on crée des candidats à l’immigration ou à des candidats à être recrutés par divers groupes de djihadistes qu’on voit de plus en plus polluer dans la zone Uemoa. Donc, pour nous, c’est clair que le franc CFA par son fonctionnement et ses objectifs assignés à la BCEAO par la France n’a qu’un seul intérêt : maintenir l’Afrique dans le sous-développement, faire en tel sorte que nos pays soient exportateurs que de matières premières et des ressources naturelles que la France va utiliser pour fabriquer des choses à déverser sur le continent africain. Parce que si nous nous développions, il est clair qu’à un moment donné, on ne sera plus en mesure d’importer des choses venues de la France. Il y a actuellement plusieurs affiches à Cotonou où ils écrivent entièrement ‘’fabriqué en France’’. Et parfois ce sont des choses basiques telles que les haricots verts. C’est frustrant et ahurissant. Pour mettre fin à ça, c’est la politique monétaire de la BCEAO, le gouverneur de la dite banque centrale qui est aussi le gouverneur de nos vies qui doit changer de stratégie et permettre qu’il y ait une érection de nouvelles entreprises. Qu’on ne dise plus qu’il faut exister pendant trois ans d’abord, fournir des états financiers de trois ans pour avoir un crédit bancaire, sachant bien que c’est au démarrage que les jeunes entrepreneurs ont le plus besoin de financement pour l’acquisition de la machinerie de l’outillage pour des moyens de production nécessaire pour leur permettre de mettre en place quand même des palliatifs ou des produits qui aujourd’hui sont des produits purement importés. Tout ce qui nous entoure et qu’on consomme sont des produits importés. C’est cette politique monétaire du franc CFA imposée par la France qui est à l’origine de cet état de chose, rendant nos balances commerciales toujours déficitaires et nous mettant purement esclaves des devises étrangères qu’on jongle pour pouvoir tenir le bout avec les prêts internationaux que nous faisons pour combler le vide et puis ça ne pourra plus continuer dans ce sens.
Pensez-vous que le changement est une étape pour l’indépendance monétaire dans l’Uemoa ?
Le changement du nom n’est pas une chose allant techniquement dans le développement. Le nom est un autre aspect de la question monétaire. Ce n’est que l’aspect psychologique. Le changement de nom peut permettre à certaines personnes de ne plus être comme des colonies du franc CFA que nous utilisons avant. Ça s’arrête là. Ça n’aura aucun impact sur le niveau de vie des populations ni sur les conditions économiques de la zone Uemoa qui utilisent le franc CFA. Mais les associations que nous sommes et les sociétés civiles, n’allons pas baisser les bras pour la monnaie de développement que nous voulons puisse quand même voir le jour et se substituer à ces arnaques que nous voyons que ça soit le franc Cfa ou l’ECO.
Une question embarrasse souvent certains analystes, le rôle de la monnaie. C’est quoi la monnaie. ?
La monnaie théoriquement est un moyen d’échange, de paiement et un outil de réserve de valeur. Mais en plus de ses valeurs, la monnaie est devenue le principal outil de développement des nations, c’est-à-dire c’est la politique monétaire adossée à une monnaie qui permet que cette monnaie atteigne les opérateurs économiques des divers secteurs de la société et permettent à ces gens là de développer des activités créatrices de richesse et d’emplois afin d’améliorer les conditions de vie des populations. Malheureusement, il a été refusé à la zone franc CFA, l’utilisation de sa monnaie pour atteindre les objectifs de développement, faisant croire que seuls les outils budgétaires de fiscalité allaient permettre de se développer. Le résultat est, qu’après 60 ans d’indépendance, nous sommes encore des pays très pauvres, très endettés.
Que direz-vous pour conclure ?
Pour conclure, je dirai à nos décideurs qu’ils doivent prendre leurs responsabilités et savoir que la jeunesse africaine est de plus en plus exigeante. La jeunesse africaine est de plus en plus rigoureuse sur les conditions de vie que leurs décisions imposent à cette jeunesse et donc, voyant ce qui se passe au-delà de notre continent, voyant comment la jeunesse du continent vit, nous sommes aujourd’hui, confrontés à un système qui fait que la jeunesse ne veut plus subir ou souffrir cette souffrance imposée à elle par leurs décisions. Les dirigeants doivent aller dans le sens d’améliorer leurs conditions de vie, de créer beaucoup plus d’entreprises afin de créer beaucoup plus d’emplois et permettre que la jeunesse s’émancipe.
Interview réalisée par Abdul Wahab ADO