Malgré le contexte sanitaire, le marché boursier ouest-africain a enregistré des émissions record, États et entreprises s’étant efforcés de lever les ressources nécessaires pour gérer la crise et organiser la relance. Ancien secrétaire général de l’Autorité de régulation du marché financier régional de l’UEMOA, le Togolais Edoh Kossi Amenounve dirige depuis 2012 la Bourse régionale des valeurs mobilières (BRVM), institution commune aux huit Etats membres de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa). Reconduit fin 2020 à la tête de l’Association des bourses des valeurs africaines dénommé en anglais The African Securities Exchanges Association (ASEA), Edoh Kossi, docteur en administration, option finance, diplômé de l’Université de Laval (Canada) revient pour Jeune Afrique sur la crise sanitaire, la relance des économies africaines, la coopération des bourses continentales, la nouvelle monnaie Eco, ou encore la finance durable. Dans cet entretien avec nos confrères de Jeune Afrique, le patron de la BRVM a fait le bilan du marché boursier.
Jeune Afrique : L’année 2020 n’a pas été simple pour le marché des capitaux, pas plus que pour les entreprises. Comment la BRVM l’a-t-elle vécue ?
Edoh Kossi Amenounve : Nous comptions sur 2020 pour dérouler notre agenda 2020-2030, adopté fin 2019 pour changer de dimension en tant que bourse. La pandémie nous a tous surpris et a sérieusement secoué tous les marchés de capitaux.
Nous avons d’abord dû protéger le personnel de la BRVM en activant, dès les premiers jours de la crise sanitaire, un plan de continuité d’activité en télétravail, ce qui a permis à la BRVM de ne pas fermer un seul jour pendant toute cette crise.
Nous avons également veillé à préserver la confiance des émetteurs et des investisseurs dans notre marché, en développant une communication de crise pour les rassurer et les accompagner pendant cette période difficile.
Malgré ces difficultés, vous avez enregistré en 2020 plus de 246 milliards de F CFA (375 millions d’euros) de transactions contre 136 milliards de FCFA en 2019, soit une progression de 80 %. Qu’est-ce qui explique cette progression ?
C’est l’une de nos meilleures années. Nous avons eu un marché obligataire exceptionnellement dynamique en 2020. Les États de l’Union et quelques sociétés, comme Sonatel, ont fait des émissions record pour se procurer des ressources nécessaires pour gérer non seulement la crise, mais aussi l’après-crise.
Nous avons inscrit à la BRVM 28 lignes obligataires pour un total avoisinant les 2 000 milliards de F CFA. Sur le plan des transactions, beaucoup d’investisseurs institutionnels et d’investisseurs particuliers de l’UEMOA ont su maintenir leur confiance dans le marché et accompagner les transactions et, même dans certains cas, les sorties d’investisseurs internationaux.
À quoi faudra-t-il s’attendre cette année ? Est-ce que cette bonne dynamique sera confirmée ?
En 2021, il est clair que la crise se poursuivra, même si la distribution progressive des vaccins redonne confiance aux marchés des capitaux. Nos indices sont certes en baisse, mais ceux-ci restent modérés, et en termes de valeur de transaction, on maintient le cap et nous comptons faire aussi bien, sinon mieux qu’en 2020.
Pour nous, ce qui est important, c’est de faire en sorte que la confiance soit maintenue, que le marché obligataire reste dynamique et surtout, il faut amorcer l’attraction de nouvelles sociétés vers la cote de la BRVM.
Selon vous, en quels termes se pose la relance des économies africaines face à la crise sanitaire ?
Les économies africaines ne sont pas aussi sinistrées que ce qu’on avait pu craindre, malgré un ralentissement qui a affecté beaucoup de pays et beaucoup de secteurs d’activités. Mais la reprise, de notre point de vue, sera assez forte, notamment dans les secteurs traditionnels de production.
Mais il faut aussi que les économies africaines saisissent ce moment pour miser sur les secteurs nouveaux qui vont créer de la richesse. Je pense en particulier à la digitalisation des services financiers et à l’innovation dans les secteurs comme la santé et l’éducation. On doit forcément tirer des enseignements de cette crise.
D’ailleurs sur la question de la digitalisation, la BRVM a un projet concernant les opérations et les services du marché…
On part d’un constat simple : nos usagers sont déjà digitalisés, il faut leur offrir des services qui leur ressemblent. On ne peut plus fonctionner comme il y a dix ou vingt ans. Désormais, il faut permettre aux investisseurs d’acheter des actions à partir de leurs téléphones portables, de souscrire à des emprunts obligataires dès qu’ils sont lancés sans avoir à se déplacer dans les bureaux d’une SGI pour remplir un formulaire de façon physique, et de suivre l’évolution des bourses depuis leurs devises…
La digitalisation est au centre de nos préoccupations pour les prochaines années. Cela va nous permettre de toucher un public plus large d’investisseurs. Aujourd’hui, on a, après vingt ans de fonctionnement, 150 000 comptes titres pour une population de 120 millions d’habitants et une classe moyenne en pleine progression. On doit chercher à toucher entre 2 à 5 millions d’investisseurs.
Pour réussir ce challenge lié à la digitalisation, vous projetez notamment de mettre en place un datacenter régional…
La crise nous donne l’opportunité de travailler à distance. Mais pour cela, il nous faut des systèmes d’information virtuels ou délocalisés. Or c’est quelque chose de coûteux. C’est pour cela que nous avons opté pour une approche de mutualisation des coûts au niveau régional.
La BRVM a décidé de promouvoir de nouveaux instruments comme les obligations sécurisées, les « green bonds » ou les « social bonds ». Quels sont les objectifs que vous poursuivez ?
Cela fait partie de notre vision 2030. La finance durable est un enjeu majeur de développement qui doit sérieusement être pris en charge par les bourses et tous les acteurs de l’écosystème financier.
Nous avons trop mis l’accent sur le financement à long terme sans tenir forcément compte des impacts négatifs sur l’environnement et les facteurs sociaux. Aujourd’hui, la prise de conscience est là. Nous travaillons avec toutes les parties prenantes pour faire en sorte que nous puissions développer ces nouveaux modes de financement dans notre espace, et nous nous efforçons d’amener les sociétés cotées à épouser les meilleurs standards.
Par exemple, il faut un code de gouvernance pour tenir compte des meilleures pratiques de gouvernance d’entreprise. Il faut des rapports de RSE publiés chaque année pour montrer l’adhésion à la soutenabilité du financement… Autant de sujets sur lesquels nous pensons qu’il faut être proactif au cours des dix prochaines années.
Vous avez été reconduit à l’unanimité à la présidence du comité exécutif de l’Association des bourses des valeurs africaines en novembre 2020. Quels sont vos chantiers à la tête de cette institution ?
Mes chantiers les plus importants, c’est d’abord de travailler à une plus grande visibilité des bourses africaines. On ne connaît pas assez le rôle qu’elles jouent dans le financement du développement économique de nos pays.
Ensuite, c’est de rapprocher davantage la vingtaine de bourses africaines, fragmentées et très disparates, qui sont actives sur 54 pays. Avec le projet pilote AELP (ndlr : African Exchanges Linkage Project), nous construisons une plateforme communautaire de cotation des sociétés, qui nous permette aussi de lever des ressources à l’échelle du continent. Ce chantier avance très bien, et fera de nous l’un des acteurs majeurs de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf) – un projet qui ne peut se faire sans une union bancaire et une union des marchés des capitaux.
Vous insistez beaucoup sur l’importance de l’intégration africaine. Quel regard posez-vous sur le processus de réforme de la nouvelle monnaie Eco ?
C’est une réforme structurelle majeure des économies de notre Union et par conséquent elle ne peut que prendre du temps. Il n’y a pas de raison de se précipiter outre mesure. Il faut absolument que l’agenda soit maîtrisé, que les étapes soient franchies et que tous les travaux soient faits de façon ordonnée, afin que cette évolution tant attendue puisse arriver dans l’intérêt des économies de l’UEMOA et de toute la sous-région.
Quel impact cette évolution pourrait-elle avoir sur la BRVM ?
On a anticipé cette évolution depuis 2013 en nous rapprochant des bourses du Ghana, du Nigeria à travers le projet d’intégration des bourses de la CEDEAO. Une monnaie unique ne peut qu’accélérer ce chantier.
Une question préoccupante pour les pays africains lors de cette crise sanitaire : la gestion de la dette. Pensez-vous qu’elle est bien prise en charge sur le continent ?
Chaque État gère la question de la dette suivant ses contraintes et sa propre vision. On parle souvent de la dette africaine, mais c’est en réalité un sujet majeur pour tous les pays du globe. J’ai rejoint le think tank A New Road [aux côtés du ministre ivoirien Siandou Fofana, du directeur du Centre de développement de l’OCDE Mario Pezzini ou encore de la directrice d’Arise Côte d’Ivoire Roselyne Chambrier NDLR] qui a démarré ses activités sur le sujet le 21 avril.
Quelle est la meilleure option selon vous ? Est-ce celle du Sénégalais Tidiane Thiam favorable à un moratoire pour le remboursement de la dette des pays africains, ou celle du Béninois Romuald Wadagni, qui est d’avis contraire ?
Il y a un chemin au milieu de ces deux options, qu’il faudra emprunter. Je suis toujours – et c’est ma déformation de financier – dans la recherche de l’optimum qui maximise les intérêts en minimisant les risques. Cela permet de réconcilier pas mal de positions.