Le cinéma béninois peine à se hisser au rang de celui de plusieurs pays d’Afrique. De nombreuses raisons justifient cet état de chose. Pour en parler, nous avons tendu le micro à un cinéaste. Comédien, acteur, scénariste, réalisateur et producteur, Charles Momby, fils du feu professeur Momby, fait une rétrospective de sa carrière, renseigne sur ses projets et indique la voie à suivre aux autorités béninoises afin que l’envol du cinquième art béninois soit effectif.
L’économiste du Bénin : Quels ont été vos débuts, vos premiers contacts avec le cinéma?
Charles Momby: Je remercie Dieu le père tout-puissant, je remercie aussi mon père, mon géniteur professeur Momby qui m’a légué ce don. C’est dans un songe que je l’ai vu et il m’a remis un papier A4 vierge et un crayon. C’est ce qu’il m’a remis dans mon songe et c’est en 1999. Ceci, un an après son décès, parce qu’il est décédé le 29 décembre 1998 et vers la fin de l’année 1999, j’ai fait ce songe.
Le début ça n’a pas été facile pour moi, et comme on le dit aucun métier n’est facile. Il faut se forcer, faire des recherches et le début m’a beaucoup fait dandiner. Jusqu’à un moment donné j’ai dit qu’il faut que je lâche ça, mais je n’ai pas pu, c’était comme une seconde respiration pour moi. J’ai tout fait pour pouvoir laisser mais je n’ai pas pu et j’ai continué dans le métier jusqu’aujourd’hui. Je remercie Dieu, je m’en sors grâce à mes recherches et les amis de mon feu père que je salue au passage. Il s’agit de Oncle Bazard, Sambeni, Tonton Ji, Florent Hessou, Claude Balogun, Koffi danger, Lucas Koffi… Ils sont nombreux que je côtoie tous les jours. Ils m’ont vraiment soutenu, m’ont aidé et m’ont montré le chemin à prendre et jusqu’aujourd’hui, moi-même je suis fier dans le métier et je remercie Dieu parce que je suis aussi un formateur. Je forme les apprenants dans le théâtre. Aujourd’hui je suis fier de ce métier. Fier de travailler dans le même domaine que mon feu père.
Alors, déjà après 20 ans dans le domaine du cinéma et du théâtre, dites-nous quel bilan pouvez-vous faire de votre carrière ?
En 2008, ça faisait dix ans que mon feu père était décédé donc j’ai travaillé sur une pièce théâtrale, l’une de ses pièces théâtrales que j’ai écrite et réadaptée en film et que j’ai fait sortir. On l’appelle Finan. C’est l’un des films qui m’a propulsé sur le marché. C’est moi qui ai écrit le scenario, j’ai été produit par l’un de ses amis qu’on appelle Lucas Koffi. Ce film est sorti à Paris par Bobo D, que je remercie aussi au passage car je le côtoie tous les jours. Il a fait sortir ce film à Paris et quand il a fait sortir ça les béninois et les ivoiriens qui sont là-bas on dit mais dit donc, depuis quand les béninois ont commencé à faire des films ? C’est l’un des films qui m’a propulsé et ça j’ai été très heureux de l’avoir fait. Après ça, j’ai été le scénariste De Oncle Bazard. Je lui ai écrit plusieurs films Recto-Verso, La Main noire… En 2015 j’ai réalisé moi-même, avec mes propres moyens, mon deuxième film. Disons mon premier parce que l’autre avait été produit par un autre professionnel. Mais le film dont je vous parle a été réalisé et produit par moi-même. Cela n’a pas été du tout facile parce que la production coûte chère au Bénin. Et si tu n’as personne pour t’aider, c’est difficile. Cela l’a été pour moi. Je remercie au passage les acteurs qui m’ont compris, accompagné tout au long de ce projet. Je n’ai pas encore lancé ce film parce que j’ai besoin de moyens financiers et matériels pour le faire. Mais avant cela, ce film m’a permis décrocher le prix du meilleur film au festival Vidéo nègre à Parakou en 2016. En novembre 2018, l’association Korede culture m’a distingué avec le trophée de l’innovation. Après ces distinctions j’en ai reçu d’autres. Sans oublier les attestations et autres formes de distinctions. Au regard de ces marques d’attention, de ces égards à l’endroit de mon travail, je suis fier de mon parcours depuis 1999. Je n’ai pas encore atteint mes objectifs mais c’est réconfortant de savoir qu’il y a des personnes qui sont sensibles à ce que je fais. Je sais que je suis sur le bon chemin. Je vais y arriver. Peu importe le temps que cela pourra durer.
Quels sont vos projets à court, moyen et long termes ?
J’ai de très grands projets. En ce moment je travaille sur le projet ‘’les partenaires de tous les jours’’. C’est une école de cinéma que je suis en train de mettre en place en l’honneur de mon feu père. J’ambitionne de réunir les jeunes talents béninois et africains et leur donner un peu de ce que j’ai reçu. Le bout du tunnel n’est pas pour demain mais je ne suis pas de nature à abandonner en chemin. Je sais que je peux y arriver. Je vais y arriver.
J’ai beaucoup de scénarios, d’idées et de projets. Mais il faut un catalyseur pour leur donner vie. Le cinéma est une industrie qui nécessite des investissements conséquents. Mais dès que la mayonnaise prend, le succès est garanti. Donc pour le moment, je travaille chaque jour sans relâche pour atteindre mes objectifs.
Quel regard portez-vous sur l’industrie cinématographique au Bénin ?
Il reste beaucoup à faire au Bénin pour que nous puissions atteindre et appliquer les normes en vigueur à l’international. Donc il y a encore beaucoup de travail à faire, de performances à réaliser. Nous devons repousser nos limites chaque fois, travailler à être plus fort aujourd’hui qu’hier et ainsi de suite. Il faut que les jeunes qui ambitionnent de se lancer dans ce métier sachent qu’on y vient pour travailler encore et encore. Car le succès, c’est au bout de l’effort.
De même, les partenaires financiers ont peur d’investir dans le cinéma. Alors que le cinéma est une industrie qui brasse des sommes considérables. Cela rapporte beaucoup d’argent. Mais avant que cela ne rapporte il faut investir dedans. C’est ce qui nous manque cruellement au Bénin. Il y a très peu de structures ou personnes qui sont prêtes à investir dans un scénario pour donner une chance au réalisateur de faire ses preuves, de convaincre le public. Le cinéma c’est une mine d’or, un patrimoine. Regardez le Nigéria, le Ghana ? L’Afrique du sud, l’Angola, pour ne citer que ces pays-là. Des cinéastes vivent pleinement de leur art. Mais nous au Bénin, nous faisons la même chose presque, fournissons les mêmes efforts, mais nous ne jouissons pas des mêmes privilèges.
Justement quand vous voyez les burkinabè, ivoiriens, sud-africains, ghanéens et nigérians se faire des millions sur la scène internationale pendant qu’une bonne partie des cinéastes béninois sont presque à l’agonie, que ressentez-vous ?
Cela me fait mal de voir les conditions de travail et de vie qui sont offertes aux cinéastes d’autres nations africaines. Les mélomanes béninois déboursent pour s’acheter les productions de ces pays-là mais les mélomanes de ces pays n’achètent pas des productions béninoises. Si leurs productions sont adulées c’est parce qu’il y a eu une volonté forte de leurs dirigeants qui ont compris qu’il faut investir dans le secteur. Ils ont investi des centaines de millions dans la formation des acteurs, des cadreurs, des réalisateurs, etc. De même, ils ont constitué des fonds pour le financement des productions. Ce qui fait que les acteurs du cinéma n’ont plus de souci à se faire dans ces pays. Il suffit d’innover, d’avoir un projet intéressant et tout de suite un producteur vous fait les yeux doux. Chez nous, on est encore très loin de ce niveau. Les acteurs du cinéma courent à gauche et à droite pour mobilier le financement et tout faire à la fois.
Au Cameroun, il existe une chaîne de télévision dédiée au cinéma. Pourquoi pas au Bénin ? Depuis quelques temps, nous avons constaté qu’une certaine chaîne de télévision locale achète et diffuse des films béninois. Mais ce n’est pas suffisant. Il faut encore plus d’initiatives pour jouir de la manne financière qu’il y a dans ce secteur.
Comment supportez-vous le poids de feu votre père qui était une figure remarquable dans le domaine ?
Les gens se posent mille questions quand j’aborde un sujet concernant mon feu père. D’abord, ils sont étonnés de voir qu’il a un fils qui est aussi grand que moi et surtout que j’aie embrassé le cinéma comme lui. Il y a d’autres qui ont de l’amertume. Car beaucoup de personnes portaient mon feu père en admiration. Il y a des gens qui me demandent si je connais la campagne « change-moi la lame » et autres. La majorité de ceux qui me reconnaissent se désolent de ne pas me voir sur les écrans des télévisions. Mais c’est des moyens conséquents qu’il faut investir pour cela. Et je n’ai pas encore eu la baraka de les mobiliser. Mais cela viendra. Je suis confiant. J’y travaille.
Avez-vous un appel à lancer ? Que les autorités béninoises aient un regard complaisant envers le secteur du cinéma. Qu’elles ourdissent des politiques de développement du secteur à mettre en œuvre très rapidement. Car le cinéma rapporte énormément. Mais avant cela, il faut investir beaucoup. Les burkinabè l’ont fait. Aujourd’hui quand une série réalisée au Burkina-Faso passe sur une chaîne, ceux qui ne connaissaient pas le pays retiennent son nom en même temps. Le cinéma est un puissant outil qui permet de vendre un pays à l’international. Regardez par exemple les films chinois. Ce que la majorité des africains connaissent de la Chine, ils l’ont appris dans les films.