Alors qu’il compte un grand nombre d’acteurs et présente une variété d’articles au public, l’artisanat de meubles béninois peine à s’installer dans les ménages, les institutions et même à s’exporter. En concurrence permanente avec les produits importés, il semble nécessaire une série de mesures de promotion de ce secteur.
Sylvestre TCHOMAKOU
Au Bénin, les activités des fabricants de meubles ploient sous le joug de l’importation sans cesse grandissante des produits du même rang ou de qualité supérieure. En effet, des ménages aux entreprises, en passant par les institutions de la République, il est loisible de constater que les meubles importés, à quelques rares exceptions près, sont prisés pour aménager et décorer les espaces. Mieux, dans les galeries ou boutiques de vente de meubles, c’est un secret de polichinelle que les mobiliers couramment appelés « venus »,sont, primo, mis en avant en grand nombre, suivant diverses qualités. Secundo, chers et parfois équivalant à un multiple des tarifs des meubles produits localement, les mobiliers importés ne manquent pas de clientèle. Et les conséquences sont immédiates : faible promotion de la consommation locale, grosses pertes pour l’économie béninoise, faillite des entreprises de fabrication de meubles, chômage des artisans formés pour fabriquer des meubles… A ce propos, Fabrice Dossou, artisan spécialisé dans la fabrication de mobiliers dans la commune d’Abomey-Calavi n’exclut pas ce constat fait de l’artisanat de meubles au Bénin. « Les meubles que les blancs nous envoient ont pris tout le marché. Nous fabriquons des tables-chaises, des divans qui ne sont pas achetés durant des mois, et pour les vendre parfois, on est obligé de casser le prix. C’est difficile », se désole-t-il. Et ce n’est pas à Serge Kotchoffa, jeune marié, la trentaine environ, de dire le contraire. « Pour meubler ma chambre, j’ai pris des meubles « venus » d’Europe… », explique-t-il. « La raison, poursuit-il, c’est que les meubles d’ici ne sont pas vraiment de qualité et en plus, j’ai remarqué que les bois qui sont utilisés dans la fabrication de ces meubles sont différents de ceux que nos artisans utilisent ». Ainsi, la qualité des biens d’équipement serait la principale cause du goût prononcé de nombreux béninois pour les produits venus d’ailleurs, notamment de l’Europe, de l’Asie, etc. Suivant ce raisonnement doit-on comprendre que le Bénin ne dispose pas vraiment de bois de qualité ou de ressources nécessaires pour valoriser son industrie artisanale de meubles ?
Au Bénin, on vend du bois et on rachète très cher ses dérivés
Même si le concept de la consommation locale a gagné du terrain dans les discours depuis quelques années, dans la pratique, sans risque de se tromper, tout porte à croire à l’inverse en ce qui concerne l’artisanat de meubles. Selon le rapport de la balance de paiement de 2018 de la BCEAO, le Bénin, en matière d’importations de biens d’équipement, est dans une dynamique de croissance. D’après ledit rapport publié le 04 janvier 2020, les biens d’équipement représentent 13,2% des importations officielles en 2018 contre 12,3% en 2017. En valeur, les achats à l’étranger de biens d’équipement ont progressé de 10,0% pour s’établir à 240.413,2 millions. Et pourtant, sur le marché mondial de fournitures des matières intervenant dans la fabrication de biens d’équipements, le Bénin s’est fait un palmarès. Fournisseur de bois (selon le même rapport), le Bénin a comme principaux partenaires à l’exportation, en Asie, les Etats tels que le Bangladesh (6,5%), l’Inde (5,2%), le Vietnam (2,8%), la Chine (2,2%) et la Malaisie (1,3%) ; soit un total de 18%. « Il est observé depuis 2013, ajoute le rapport, une perte des parts de marché de la Chine au profit des pays de l’Asie du Sud-est. Les exportations en direction de la Chine sont essentiellement constituées du coton (79,7%), de fer, fonte et acier (11,3%) et du bois (4,5%). L’Inde, quant à elle, importe en grande partie du Bénin la noix d’anacarde (53,4%), le coton (25,8%) et le bois (4,5%). ». Le Bénin, au vue de ces statistiques, présente à n’en point douter des atouts susceptibles de permettre à l’artisanat de meubles, de satisfaire les besoins des ménages, des entreprises ainsi que ceux exprimés par les institutions de la république et probablement en exporter.
La solution à portée de mains
Autant le Bénin est cité parmi les fournisseurs de bois au plan mondial, autant le renforcement du sous-secteur de l’artisanat peut lui faire gagner une bonne performance parmi les pays faisant de l’artisanat en général, et celui du meuble ici concerné, en particulier, un pôle de développement à ne point laisser en rade. S’il est une évidence que la qualité est d’or, et que logiquement, face aux mobiliers produits localement, ceux faits à l’extérieur doivent gagner du terrain, il est temps que l’Etat béninois repense la promotion du « made in Benin ». Pour ainsi dire, l’organisation d’une série de formations pratiques au profit des artisans en général, et ceux spécialisés en « meubles » serait d’une grande utilité pour adapter l’industrie de l’artisanat du meuble aux exigences du marché de biens d’équipements. Par ailleurs, l’organisation en coopérative, l’acquisition des machines adéquates et le financement des acteurs de ce sous-secteur d’activité ferait gagner à l’économie béninoise des devises au quotidien investies dans les mobiliers « venus » soit de l’Europe soit de l’Asie, etc. Ainsi, les tonnes de bois et de coton exportés vers d’autres pays, pour, par finir, être rachetés à travers ses dérivés à des coûts élevés, apporteraient mieux à l’économie nationale. Car, si l’administration publique elle-même passe pour « champion » dans l’aménagement de ses bureaux et espaces avec les biens d’équipements importés et vendus à grands prix, de quoi accuserait-on les citoyens lambda ?