Lorsqu’il démarrait l’aventure avec La Financière du Burkina en 2001, un établissement financier dont il a fait l’acquisition, l’on était loin d’imaginer que 20 ans après, l’entrepreneur Idrissa NASSA deviendrait l’un des grands capitaines de l’industrie de la finance de la zone UEMOA et plus généralement de la zone Franc CFA. De ses activités de commerce, lancées au début des années 1984 et qu’il a développées au fil des années, le patron du groupe s’est surtout imprégné des réalités de « l’économie réelle » et de la problématique de financement, le talon d’Achille de l’écosystème entrepreneurial africain. Une expérience qui a sûrement forgé son ambition de « faire la banque autrement », de faire des TPE et PME le fer de lance de sa stratégie. Une approche « à l’africaine », loin des sentiers battus d’un marché bancaire animé pendant longtemps par les filiales des groupes internationaux, et qui fait recette. Riche de son expérience avec une holding dans le top 5 des groupes bancaires les plus actifs dans l’UEMOA, Idrissa NASSA s’ouvre à Sika Finance afin de partager son parcours et sa vision de la banque.
Chef d’entreprise, vous avez fait vos premiers pas dans le secteur financier en 2001 en acquérant un établissement de crédit en difficulté au Burkina Faso. Et 20 ans après, vous êtes à la tête d’un Groupe financier à capitaux africains. Quel est votre parcours ?
J’ai entamé ma carrière d’entrepreneur en 1984 sur la base d’un soutien familial, par la distribution de pièces de rechange des cycles et cyclomoteurs au grand marché de Ouagadougou et dans une boutique d’à peine 5m2, pour devenir dix ans après l’un des plus grands importateurs de cyclomoteurs et de produits de grande consommation du pays, avec un rayonnement sous régional. J’ai ainsi fait mes armes dans l’économie réelle et j’ai vécu la vie d’un jeune entrepreneur à la recherche de ses marques et de son positionnement sur le marché.
A partir de 1995, j’ai décidé d’engager une stratégie de diversification maitrisée de mes activités en investissant progressivement dans divers secteurs d’activités. Le succès, le développement et la consolidation de ces différents métiers m’ont permis de construire un groupe diversifié et de tisser au fil des ans de solides relations d’affaires.
C’est dans cet élan constant de diversification et d’innovation, et capitalisant toute l’expérience acquise, que je me suis engagé en 2001 dans la reprise de la Financière du Burkina (FIB), qui était un établissement financier spécialisé dans le crédit à la consommation. Suite à cette reprise, et grâce au dynamisme de mes équipes, nous avons restructuré et développé cet établissement financier pour en faire le premier établissement de la place et le transformer ensuite en 2007 en une banque universelle : Coris Bank International.
Le lancement des activités de Coris Bank International le 07 janvier 2008 a marqué le début d’une expérience riche et exaltante dans le monde de la finance. En effet, fort de mon expérience personnelle, de ma bonne connaissance des attentes des entreprises et entouré d’une équipe engagée et déterminée qui partageait cette vision, nous nous sommes pliés en quatre pour les servir avec pour devise : faire la banque autrement. Au vu de la qualité de nos produits et services, le monde économique nous a très rapidement adoptés et nous continuons de faire un bon chemin ensemble.
Cette confiance, soutenue par notre capacité d’anticipation et d’adaptation aux évolutions des besoins des différents marchés et aussi de la règlementation, a permis et favorisé le développement
du groupe avec la création de nos différentes filiales. Pour soutenir
la croissance des activités et l’expansion du groupe, la société Coris Holding S.A a été créée en 2013 et agréée comme Compagnie Financière par la Commission Bancaire de l’UMOA. Après avoir couvert l’ensemble de la zone UEMOA, elle vient d’amorcer une nouvelle ère en 2021 avec l’ouverture hors espace UEMOA des portes de Coris Bank International Guinée.
La banque était-elle pour vous un aboutissement logique ou un passage obligé au regard de votre parcours de businessman qui a certainement été confronté à la problématique de financement ?
Déjà, en tant que jeune entrepreneur, j’étais bien au cœur de la problématique de l’accès des PME aux produits et services financiers en général et bancaires en particulier. C’est pourquoi, j’ai saisi cette opportunité d’investir dans la Financière du Burkina (FIB) avec pour but de changer les paradigmes et faciliter l’accès au financement aux PME. Cela a donné naissance à Coris Bank International en 2008 au Burkina Faso, avec l’ambition de faire évoluer positivement la perception des populations vis-à-vis de la banque et de lui permettre de se positionner comme « l’accélérateur de croissance des PME/ PMI ». Cette volonté d’accompagner les acteurs des économies africaines et l’engagement de participer à l’essor de nos Nations, ont résolument motivé le développement de la stratégie d’expansion du groupe qui, au-delà de la zone UEMOA, poursuit son ouverture hors espace UEMOA notamment en Guinée Conakry. Cette politique est soutenue par une forte dynamique commerciale à travers la qualité des services offerts, l’originalité et l’innovation. En outre, l’adoption d’une approche multidimensionnelle a permis d’intégrer la finance islamique afin de proposer aux populations des solutions alternatives de financement. Aussi, dans un esprit d’inclusion financière renforcée, le groupe a-t-il créé le pôle Coris Méso Finance pour mieux prendre en charge la couche des « très petites entreprises » qui rencontrent d’énormes difficultés d’accès au financement au regard de leur positionnement et parfois de leur structuration.
Votre expérience d’entrepreneur explique-t-elle le fait que Coris Bank International, votre premier établissement lancé au Burkina, se soit solidement hissé au rang de numéro un du marché local ?
Mon expérience d’entrepreneur y a certainement contribué à travers la force de notre vision, les valeurs incarnées, le leadership et l’animation des équipes. Mais c’est surtout la confiance du marché, la qualité et l’adhésion de mes collaborateurs qui sont à l’origine du succès du groupe. Sur le marché du Burkina Faso, notre filiale concentre plus de 20% de part de marché et est leader depuis plus de cinq ans.
Comment se porte le groupe CORIS aujourd’hui ?
Au regard des performances remarquables et en progression depuis quelques années, je peux vous affirmer que le Groupe Coris d’une manière générale se porte très bien. La tendance haussière des performances du Groupe positionne ainsi Coris Holding au 5ème rang sur les 12 groupes bancaires de l’UMOA avec 7,6% de part de marché en Total Bilan et au 3ème rang en termes de Résultat Net avec 11,7% de part de marché. La première filiale, CBI SA (Burkina Faso) occupe la 4ème place sur 128 banques dans le classement régional avec 3,28% de part de marché en Total Bilan, suivant le dernier rapport annuel 2020 de la Commission Bancaire. Aussi, la quasi-totalité des filiales et succursales se positionne dans les Top 10 de leurs marchés respectifs en Total Bilan, selon le même rapport annuel 2020 de la Commission Bancaire de l’UEMOA. Chez nous, les performances ne se mesurent pas seulement aux résultats d’un seul exercice mais surtout aux graines semées pour l’avenir.
Mais au niveau de la Méso Finance, l’on n’observe pas la même dynamique d’expansion puisque jusqu’ici vous n’êtes présent que sur le marché burkinabè. Comment est-ce que vous l’expliquez ?
L’activité Coris Méso Finance se porte très bien au Burkina Faso après seulement deux exercices pleins à fin 2021. Suivant notre modèle d’affaires, nous prenons toujours le temps de consolider les acquis en nous assurant notamment de la bonne maîtrise de cette nouvelle ligne de métier avant de lancer son développement à l’échelle de notre réseau. Donc de belles perspectives sont à l’horizon et la Méso Finance sera déployée suivant le potentiel et les besoins des marchés de nos pays d’implantation.
Les PME sont vos cibles prioritaires et c’est vraisemblablement un marché viable au vu des performances remarquables engrangées par Coris Bank International au Burkina Faso et en Côte d’Ivoire. Quel est en moyenne le niveau de vos engagements sur les PME ? Et en tant que banquier, comment réussir sur un segment considéré comme particulièrement risqué ?
En plus de la bonne connaissance qu’il faut avoir de ce segment, il faut aussi définir une approche adaptée. Le Groupe Coris a une approche singulière de cette cible considérée à risque et délaissée par certaines banques de la région. Cette approche consiste à axer l’analyse du crédit sur la qualité du porteur du projet avant de s’intéresser au projet en lui-même, à entretenir une relation de proximité avec la cible et à lui fournir une bonne assistance technique et financière. Ce suivi très rapproché permet de limiter les débordements, de prévenir les défauts et de préserver ainsi la qualité du portefeuille. En somme, il s’agit de leur inculquer une bonne culture du crédit en tant que partenaire financier. Le Groupe Coris dans cette dynamique de promotion de la bancarisation va au-delà des PME/PMI. C’est ce qui justifie la création de Coris Méso Finance pour mieux prendre en charge le segment des Très
Petites et Moyennes Entreprises ou Industries (TPME/TPMI) ainsi que le secteur informel.
En tant qu’Africain, patron de banque en Afrique, pensez-vous avoir une approche particulière dans la conduite de vos activités ?
La bonne conduite des activités bancaires en Afrique commande le respect, la considération et la confiance envers les clients, les partenaires et les collaborateurs. C’est notre approche sur l’ensemble de nos marchés. L’arrogance et la suffisance sont de très mauvais compagnons à proscrire. Je profite de votre tribune pour témoigner ma gratitude à tous nos clients et partenaires pour leur confiance, aux administrateurs pour leur soutien sans faille et à mes collaborateurs pour leur constant dévouement.
La question des champions nationaux et régionaux revient souvent à la une, certains spécialistes estimant que, connaissant mieux leurs marchés, ils ont une meilleure appréciation des risques et sont plus à même de faire les choix d’investissement les plus impactant dans la région. Quel est votre avis sur le sujet ?
Un adage de chez nous dit qu’on n’est jamais mieux servi que par soi-même. Je suis d’avis que les acteurs économiques, dans tous les secteurs d’activités, sont les mieux placés pour servir nos économies. Bien entendu dans certains domaines, ils ont besoin de construire des partenariats stratégiques pour bénéficier du transfert de technologie et de savoir-faire. Les pouvoirs publics se doivent de favoriser l’émergence de champions dans tous les secteurs d’activités afin de construire des économies solides et résilientes. La Covid-19 nous a démontré à volonté que « si nous dormons sur la natte d’autrui, nous devons considérer que nous dormons par terre », suivant un proverbe africain. Il en est de même pour le capital humain qui anime les entreprises. Dans notre Groupe, nous prônons la diversité culturelle et valorisons l’expertise locale pour faire de nos collaborateurs des champions. Ils sont pour la plupart jeunes, compétents, ambitieux et connaissent mieux les risques de leurs marchés, avec une démarche toujours empreinte d’intégrité et de patriotisme.
Beaucoup de sociétés et de PME hésitent à faire le choix de la bourse, un pas que vous avez franchi en créant Coris Bourse et en introduisant Coris Bank International sur le marché boursier. Quel est votre retour d’expérience ? Envisagez-vous faire coter d’autres entités du Groupe ?
Effectivement, Coris Bourse a été créée en 2010 à l’initiative de notre Groupe. C’est une Société de Gestion et d’Intermédiation agréée par le Conseil Régional de l’Epargne Publique et des Marchés Financiers (CREPMF) de l’UEMOA. Cette SGI qui fait partie des plus solides et des plus dynamiques de la région, nous donne entière satisfaction sur le marché boursier. Elle a eu à conduire entre autres, l’opération d’introduction à la Bourse Régionale des Valeurs Mobilières de l’UEMOA (BRVM), de notre première filiale bancaire, Coris Bank International Burkina Faso, en 2016. Cette opération a été une très belle expérience qui a permis de renforcer les Fonds Propres de la banque, mais aussi sa notoriété et la confiance du marché, toutes choses qui ont conforté la position de leader de cette filiale sur son marché.
Qu’est ce qui fait un bon entrepreneur et quels conseils donneriez-vous à ces chefs d’entreprise qui cherchent à développer leur business dans leur pays et au-delà ?
Le bon entrepreneur est un visionnaire qui, avec discernement et abnégation, se donne le courage et les moyens de rendre sa vision opérationnelle au profit des marchés, en utilisant les meilleures voies et stratégies pour y parvenir. Il se projette toujours dans le futur des consommateurs pour anticiper sur leurs besoins. Il doit considérer toute difficulté ou tout défi sur son chemin comme une opportunité d’apprentissage et de gain en maturité. Ceux qui ambitionnent de développer leur business doivent avoir pour premier objectif de se différencier de l’existant par la qualité des produits ou des services à offrir aux marchés cibles. Être un acteur majeur de l’économie nationale ou sous régionale implique une grande responsabilité, un véritable engagement et de fortes ambitions de développement pour son pays, au-delà des intérêts personnels. Je tiens à rendre un vibrant hommage à tous ces acteurs de l’économie en Afrique, qui font honneur à notre continent à travers leurs belles réalisations en dépit des contextes très souvent difficiles.
Source : Magazine Trimestriel – Mars 2022 de SikaFinance