Le continent africain perd au moins 50 milliards de dollars US en impôts non payés à cause de l’évasion fiscale, dont plusieurs coupables ne sont autres que les sociétés multinationales. En effet, ces dernières sont accusées de verser des pots-de-vin aux agents des administrations fiscales africaines pour obtenir soit un rabais, soit une annulation pure et simple d’impôts.
Issa SIKITI DA SILVA
Le groupe industriel français Castel, présent dans une vingtaine de pays d’Afrique, est pointé du doigt.« Ça m’est arrivé de négocier dans le cadre de déclarations d’impôts annuels. Ça m’est arrivé de payer des fonctionnaires pour nous mettre des documents ou des situations en ordre. Quand on donne les pots-de-vin, il faut qu’on ait le feu vert avant de sortir l’argent de la caisse, donc les pots-de-vin ont toujours été couverts par la direction générale, donc quelque part par Pierre Castel bien sûr », a révélé un ancien dirigeant de Castel dans une vidéo sensationnelle.
Castel Beer, Flag et 33 Export sont quelques produits du groupe industriel français dont le chiffre d’affaires en Afrique est estimé à 4.5 milliards d’euros. Il est aussi présent au Bénin à travers la Sobebra, laquelle vend au moins 300 millions de bouteilles par an sur fonds d’un chiffre d’affaires annuel estimé à 146 millions d’euros, selon Jeune Afrique.
Impact de la corruption
Les recettes fiscales représentent en moyenne 18% du Produit intérieur brut (PIB) des pays africains, soit à peine la moitié de celles du groupe des pays riches de l’OCDE, rapporte le Financial Times.
Pour beaucoup, payer des pots-de-vin est encore perçu comme le «seul moyen de survivre» dans certains pays africains, que ce soit en tant que société ou individu, affirme un rapport intitulé ‘’Anti-Bribery Policy and Compliance Guidance for African Companies’’ publié par l’OCDE et la BAD en 2016.
« La corruption réduit considérablement les recettes fiscales, forçant les gouvernements à trouver d’autres moyens de financer les dépenses publiques, y compris les emprunts. La flexibilité fiscale future est réduite, car le service de la dette doit être assuré en priorité sur les autres dépenses. Cela crée un cercle vicieux mettant en danger la viabilité budgétaire », souligne Mahesh C. Purohit, dans un rapport intitulé ‘’Corruption in Tax Administration’’ publié en 2007.
Mauvaise gouvernance
« Si le sommet de l’arbre est corrompu, le reste n’est autre qu’une pourriture», déclare un fonctionnaire sous couvert de l’anonymat, faisant allusion aux leaders politiques africains et aux hauts cadres d’entreprises étatiques qui ont souvent été accusés de mauvaise gouvernance, népotisme, blanchiment d’argent et détournement de fonds publics pour l’utiliser à des fins personnelles.
La holding française Bolloré SA a été mise en examen en décembre 2018 par un tribunal parisien pour corruption autour de l’obtention des concessions portuaires en Afrique. Selon les medias français, Vincent Bolloré, le patron du groupe et deux de ses collaborateurs sont sous le coup de trois chefs d’accusation pour corruption d’agent étranger, complicité d’abus de confiance, faux et usage de faux. Le groupe Bolloré avait obtenu la gestion du port de Conakry (Guinée) fin 2010, quelques mois seulement après l’élection d’Alpha Condé. Et il avait remporté la concession du port de Lomé peu avant la réélection de Faure Gnassingbé en 2010 au Togo.
Par ailleurs, l’ancien dirigeant du groupe Castel mentionné ci-dessus prétend avoir pris part à une équipe qui avait versé l’argent à un émissaire d’un candidat présidentiel d’un pays africain. « Plusieurs centaines de milliers d’euros, pas de reçu, pas de suivi, pas de témoins et il n’y aura pas de preuve », affirme-t-il dans une vidéo.
Inégalité de revenus
En outre, l’inégalité des revenus est aussi citée comme l’une des causes principales de la corruption en Afrique. « Si un député africain gagne au moins sept millions de francs et le salaire d’un enseignant n’atteint même pas 100 000 francs. Supposons qu’une telle personne, cet enseignant, est recruté dans l’administration fiscale où il va traiter des dossiers des impôts de sociétés avec un salaire de 120 000 francs. Quelqu’un vient lui proposer même un petit million de francs de pots-de-vin. Tu crois vraiment qu’il va résister ? » questionne un homme sous couvert de l’anonymat.