Réunis à Accra le dimanche 09 janvier 2022, les dirigeants ouest-africains ont opté pour la fermeture desfrontières avec le Mali, suivie de plusieurs autres lourdes sanctions. Les résolutions, bien qu’elles visent un seul Etat, ne seront pas sans impacts sur les autres Etats membres de l’espace ouest-africain.
Sylvestre TCHOMAKOU
Au Mali, quoiqu’il faille retourner à l’ordre constitutionnel,l’ensemble des décisions prises par les Chefs d’Etat ouest-africains réunisà Accra le 09 janvier 2022 ne rendent pas service au peuple malien. Plutôt, elles dressent le lit à l’expansion du terrorisme auquel est déjà en proie le pays. En effet, quelques jours après le calendrier de 05 ans proposé par la junte au pouvoir, pour la transition, les Chefs d’Etat se sont engagés à user de leurs marges de manœuvre pour faciliter un retour rapide au processus démocratique. C’est ainsi qu’une série de sanctions ont été adoptées, à savoir:la fermeture des frontières entre le Mali et les pays membres de la Cedeao ; le gel des actifs maliens au sein de la Banque Centrale des États d’Afrique de l’Ouest ; la suspension des transactions sauf pour les produits de première nécessité et pharmaceutiques ; coupure des aides financièreset rappel des ambassadeurs des pays membres au Mali. « Ces sanctions seront appliquées immédiatement. Elles seront progressivement levées uniquement après l’obtention d’un chronogramme satisfaisant soit finalisé », explique la Cedeao dans un communiqué qui est aussi endossé par la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement de l’Uemoa, réunis également le 09 janvier pour les mêmes motifs. C’est dire que la situation qui prévaut au Mali depuis le coup d’Etat d’août 2020 n’est plus du goût des dirigeantsouest-africains.Prenant acte des résolutions des deux institutions, les autorités maliennes ont aussi décidé de la fermeture de leur pays à tous les pays de l’Union. Mais, dans un contexte sécuritaire aussi critique, que nulle force n’a su maîtriser depuis plusieurs années, les mesures prises par la Cedeao font-elles toujours de l’institution uneCedeao des peuples ? La Cedeao a-t-elle lepouvoir de décider du gel des actifs maliens au sein de la Banque Centrale des États d’Afrique de l’Ouest (Bceao) ?
La démocratie, oui ! Mais…
Aujourd’hui, il est clairque l’envie de la junte d’asseoir le Mali sur de nouvelles bases pour une prospérité partagée, trouveun échofavorable auprès de la majorité des Maliens. Partant de ce postulat,la junte, même s’il ne faut pas exclure sa position dominante dans les décisions, semblesuivre les aspirations du peuple qui jusque-là, n’a pas crié son ras-le-bol si ce n’est qu’encourager son engagement à lui offrir paix et sécurité. Pour ainsi dire, la fermeture des frontières reste un poids lourd imposé au peuple malien qui devra en plus de la Covid-19 et des contraintes du terrorisme,connaître un ralentissement de l’activité économique (exportations-importations).Aussi, doit-on souligner que cette situation sera sans nul doute source de manques à gagner aux agents économiques des pays tels le Niger et la Côte d’Ivoire qui ont une tradition d’échanges commerciaux avec leurs homologues du Mali.Sans oublier les conséquences sur les pays tels que le Bénin et le Togo qui accueillent d’importantes quantités de marchandises à destination du Mali. Il est important de souligner qu’en matière de statistiques douanières, « la Côte d’Ivoire et le Sénégal restent les principaux fournisseurs intra-régionaux, avec respectivement 35,5% et 24,0% des exportations totales en 2019. Le Mali et le Burkina continuent également d’occuper les première et deuxième places des importateurs intra-communautaires, avec respectivement 35,6% et 22,4% des approvisionnements », selon le Rapport sur le commerce extérieur de l’Uemoa en 2019.
Faire de la Cedeao, la Cedeao des peuples
Sur les autres décisions du double sommet Uemoa-Cedeao, l’imbroglio semble davantage régner autour du geldes actifs du Mali au sein de la BCEAO quand on sait que « les réserves des pays tout comme les monnaies, sont communes mais identifiées ». Mieux, le Traité modifié de l’Uemoa nefait pas cas d’une telle prérogativeà la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement de l’Union.A fortiori, le chapitre II du traité modifié, intitulé : « De la révision du traité de l’UMOA », en son article 4, souligne : « Les Etats membres s’engagent, sous peine d’exclusion automatique de l’Union, à respecter les dispositions du présent Traité, du Traité de l’UEMOA et des textes pris pour leur application, notamment en ce qui concerne : (i) les règles génératrices de l’émission, (ii) la centralisation des réserves monétaires, (iii) la libre circulation des signes monétaires et la liberté des transferts entre Etats de l’Union… ». Quant à l’article 5 du Traité, on y lit : « Dans l’exercice des pouvoirs normatifs que le présent Traité leur attribue et dans la mesure compatible avec les objectifs de celui-ci, les organes de l’Union favorisent l’édiction de prescriptions minimales et de réglementations-cadres qu’il appartient aux Etats membres de compléter en tant que de besoin, conformément à leurs règles constitutionnelles respectives ».D’ailleurs, c’estpassant en revue les différentes dispositions des deux organisations que le Mali condamne « énergiquement ces sanctions illégales et illégitimes ». A cette allure, il n’est pas à exclure le retrait du Mali de la Zone franc, comme ce fut le cas en 1962, pour battre à nouveau sa propre monnaie. Aussi, le lancement de la monnaie Eco étant prévu pour 2027, le retrait du Mali aura sans doute d’impacts sur ce calendrier qui a trop connu de modification. Du reste, l’heure étant à la relance post-covid-19, il est important de faciliter le commerce pour le développement de l’économie de la Communauté.Le Tarif extérieur commun (TEC) est une étape importante dans la mise en place de l’Union douanière en Afrique de l’Ouest. C’est l’un des succès les plus remarquables de la Cedeao et qui devrait contribuer à la promotion de la Zlecaf. Même le Mali en sortant de la Zone franc, demeure toujours un Etat membre de l’une des huit Communautés Economiques Régionales de l’Union Africaine. Ceci constitue un des aspects de l’imbroglio de la décision de la Cedeao et de l’Uemoa.