Toponyme complexe traduisant littéralement « serpent« pour Dan et « près du point d’eau« pour Tokpa, Dantokpa est le nom attribué au plus grand marché du Bénin en termes de superficie, d’infrastructures, de flux commerciaux et d’usagers. Dantokpa occupe un espace qui borde le côté ouest du lac Nokoué et s’étend sur plusieurs dizaines d’hectares. Nationaux de toutes les régions du Bénin, régionaux et internationaux se donnent chaque jour un rendez-vous d’affaires au marché international Dantokpa de Cotonou.
Jean-Claude KOUAGOU
Le marché Dantokpa est un véritable lieu de rencontre entre les communautés de toutes les nationalités. Il est le marché le plus important du Bénin au regard de la densité et de la diversité des activités qui s’y mènent. Sur le plan national, le marché Dantokpa reçoit les usagers de toutes les ethnies béninoises du Nord au Sud et de l’Est à l’Ouest. Le commerce intérieur au marché Dantokpa se manifeste de différentes manières. En effet, pour schématiser les échanges intra-commerciaux, il est loisible de soutenir que les producteurs de produits vivriers composés de céréales, de tubercules, de légumineuses et autres produits de rente convoient leurs marchandises au marché Dantokpa. Après la vente, ils achètent des produits manufacturés de toutes natures du marché Dantokpa qu’ils revendent dans les régions du pays. Ainsi se côtoient et se toisent les producteurs d’igname, de manioc, et leurs dérivés, les producteurs d’oignon, de piment, de tomate, de gingembre, de maïs, de riz, de sorgho, d’huile de palme et d’arachide. On y rencontre aussi des rayons d’éleveurs qui échangent leurs animaux contre de l’argent et qui repartent dans leurs localités en se ravitaillant avec des produits dont ils ont besoin. Les producteurs nationaux constituent la face cachée de l’iceberg. Les parties les plus importantes du marché Dantokpa sont occupées par de grands commerçants expatriés et de nationaux qui exercent leur commerce dans les immeubles à étages et dans les boutiques les plus relevées. Ainsi de la vieille bâtisse à étages qui représente le cœur du marché Dantokpa. Là se trouvent de « grandes dames » qui commercialisent des bijoux de haute gamme, des pagnes de qualité supérieure, des chaussures et de multitude d’autres articles de grande facture. Il en est de même de l’immeuble dénommé Hadj Ali où l’on rencontre des Syriens et des Libanais et de nationaux de grande fortune. Sur le plan régional, le marché Dantokpa accueille beaucoup de commerçants en provenance des pays comme le Nigéria, le Niger, le Burkina-Faso, la Guinée et bien d’autres pays. Comme on peut le constater, le marché Dantokpa est un véritable trade center de l’activité économique béninoise. Par ailleurs, Dantokpa représente un label pour le Bénin de par la place importante qu’il occupe dans les milieux d’affaires de la sous-région ouest africaine. Dès lors, les activités commerciales du marché Dantokpa reposent sur plusieurs secteurs économiques. Destination de produits importés, Dantokpa est un vivier de produits agricoles. Le textile représente son plus gros business aux côtés de la vente d’appareils électroménagers et de pièces détachées.
Dantokpa, réceptacle des produits importés
Oslo WANOU
Dans sa configuration, le marché Dantokpa regorge de plusieurs étalages de produits manufacturés. En effet, la faible implantation d’usines et unités de production fait que le pays importe en grande quantité, des produits finis de tout genre. Cela constitue même un grand appui pour son économie essentiellement fiscale. Les importations de : l’Inde (11,5%), la Chine (11,2%), la France (10,3%), le Togo (8,6%), la Belgique (6,4%), la Russie (4,6%), la Turquie (4,0%), les Etats-Unis (3,5%), la Côte d’Ivoire (3,1%) et la Thaïlande (3,0%) font de ces pays les premiers partenaires à l’importation du Bénin en 2020 , selon l’Institut National de la Statistique et de la Démographie. Le pays s’approvisionne majoritairement en Asie (39,4%) suivie de l’Europe (34,3%) et de l’Afrique (20,5%). A cette liste, il faudra ajouter le Nigéria pour certains produits manufacturés, le Niger et le Burkina Faso qui approvisionnent en agrumes et produits maraîchers le marché Dantokpa. En clair, principal marché de la sous-région et le plus grand au Bénin, Dantokpa voit défiler des clients ou usagers en provenance de plusieurs autres communes du Bénin qui y viennent s’approvisionner. Abstraction faite de certaines communes frontalières notamment au Togo et au Nigéria où les habitants préfèrent s’approvisionner dans les marchés proches de ces pays voisins, Dantokpa reste un grand pôle d’approvisionnement des gros marchands au Bénin.
Double dédouanement mais adulé
De gros distributeurs rencontrés au marché Dantokpa ont levé un coin de voile sur leur circuit d’approvisionnement. Il s’avère que la grande majorité des produits distribués dans ce marché est importée. L’Inde et la Chine se hissent en tête de ce classement avec notamment des produits d’habillement (pagnes, sacs, chaussures, bijoux), des denrées alimentaires et des produits manufacturés C’est seulement la majorité des produits en provenance des pays africains proches qui atterrissent au Bénin. Ceux en provenance de l’Asie, de l’Europe et des USA pour la plupart, transitent par d’autres pays de la sous-région en l’occurrence le Togo ou le Nigéria où vont s’approvisionner les commerçants. A propos, « nous n’allons pas directement sur le marché indien ou chinois. On a des Libanais ou d’autres fournisseurs qui prennent des conteneurs et nous allons acheter chez eux et ramenons au Bénin ». Dans ce procédé, la marchandise à livrer à Dantokpa devrait revenir plus chère, pourrait-on croire en raison du double dédouanement. Car, le premier dédouanement se fait par le principal importateur et un second par le commerçant aux douanes à l’entrée au Bénin. Mais ce n’est pas le cas. Les commerçants rencontrés à Dantokpa disent profiter au mieux de ces procédés. Pour cause, le coût du dédouanement dans certains pays limitrophes reste abordable comparativement au Bénin. Même en remplissant les formalités dans un pays voisin et en se soumettant encore aux exigences des douanes béninoises à l’entrée au Bénin, ils disent faire de meilleurs profits. Bien souvent, selon les confidences des commerçants, plusieurs s’assemblent pour prendre un conteneur de plusieurs produits par exemple et se partagent les taxes de douanes, ce qui réduit davantage les coûts de fret à l’accostage déjà dans un pays voisin avant que chacun ne vienne chercher sa commande dont des marchands grossistes béninois basés à Dantokpa. Les démarches en direction de la SOGEMA et de la Direction du commerce extérieur ayant été vaines, il n’a pas été possible de renseigner sur la part des importations qu’absorbe le marché Dantokpa. Aussi est-il impossible de se renseigner sur la taille et le rang qu’occupe le plus grand marché du Bénin sur le plan africain.
Dantokpa, une presque « bourse » de produits agricoles
Sylvestre TCHOMAKOU
Quoique petit en superficie ainsi qu’en population, le Bénin, avec le plus grand marché à ciel ouvert d’Afrique de l’ouest, est un maillon essentiel dans l’approvisionnement alimentaire des populations ouest-africaines. Au-delà de servir de lieu où se négocient des marchandises textiles, Dantokpa, à travers son quartier Vossa, reste un grand point d’achat et de vente de produits céréaliers. Maïs, haricot, soja, mil, sorgho, gari, tubercule d’ignames, manioc, oignon, etc. S’il est vrai que les produits agricoles qui s’y trouvent proviennent de plusieurs localités du Bénin notamment la partie septentrionale, le Centre et le Sud, il est aussi vrai que les agriculteurs des pays de la sous-région y déversent une bonne part de leurs récoltes agricoles.
L’approvisionnement, un parcours de combattant
La difficulté d’accès aux données officielles rend impossible la quantification de la part relative aux produits agricoles dans l’activité économique du marché Dantokpa. Mais sur la base des estimations faites par les acteurs de ce commerce, ce sont des centaines voire des milliers de sacs de céréales qui sont vendus au quotidien dans le marché. Aïchath Bawa, grossiste de produits vivriers au marché Dantokpa tente de faire une répartition des produits. Selon elle, le sorgho, le mil et l’igname sont plus facilement réunis dans les parties nord de l’Atacora et du Borgou. Tandis que le maïs, le manioc et quelques graines oléagineuses sont fournis par les régions du Mono, de l’Atlantique, de l’Ouémé et du sud du Zou. Habituée à ces localités, elle renseigne que d’autres milieux fournissent une quantité importante de produits agricoles au marché. Précisément, au centre, dans la zone nord du Zou et les zones sud de l’Atacora et du Borgou, qui sont considérées comme « intermédiaires », l’igname, le maïs et le manioc sont plus aussi disponibles, sans oublier le sorgho. Bien que la méthode d’approvisionnement par le biais des relations intra-familiales ou amicales entre les villes et les campagnes, soit l’un des moyens les plus prisés par les commerçants, cela relève cependant du parcours du combattant.
L’anecdote que raconte Marguerite, la quarantaine et titulaire d’une Maîtrise en sciences économiques, l’explique bien. « Commercer à Dantokpa nécessite un dynamisme et une adaptabilité à toutes les conditions que vous impose le terrain, surtout quand il s’agit de l’achat et de la vente des produits agricoles. À mes tous débuts en 2010, les livreurs agricoles m’ont plantée deux fois, parce qu’ils n’hésitent pas à vendre une partie du stock qu’ils vous réservent et pour lequel vous avez déjà payé, à d’autres commerçants. Et puisque tout cela sert d’expérience, aujourd’hui, je ne vis plus ce problème. Mais, je dois vous avouer que pour être ici avec un camion rempli, c’est plusieurs jours de déplacement dans différents villages du nord Bénin. C’est de l’argent. Il faut être endurant », confie-t-elle, tout en se réjouissant de la suppression des postes de contrôle douanier qui jalonnaient la voie du nord au sud, et qui leur rendaient difficile le trafic. Aussi, bien que l’oignon se cultive au Bénin, son importation dans le marché Dantokpa s’effectue régulièrement du Niger qui ne dispose que de deux variétés, le violet et le rouge. Le marché de Dantokpa n’est pas spécialisé dans un type de produit : les produits vivriers locaux comme les produits importés, les produits de transformation artisanale comme industrielle, les produits manufacturés importés ou non, la pharmacopée traditionnelle, les ossements d’animaux et autres, s’y trouvent avec des vendeurs regroupés par catégories.
Le textile : le gros business de Dantokpa
Félicienne HOUESSOU
De « Missèbo » à « Singboglwè », en passant par les hangars installés en plein cœur du marché, le business de l’habillement fait vedette à Dantokpa avec plusieurs centaines de boutiques. Fortement dominé par les importations, ce secteur fait partie des plus prisés de la clientèle provenant du Bénin et d’autres pays de la sous-région. Le secteur de la mode et du textile est quasi dominant au marché Dantokpa. Sur un domaine d’environ 20 hectares, est érigé l’immeuble principal à 3 niveaux de 66m de long sur 44m de large appelé « Singboglwè » (sous l’immeuble en langue Fon). Cet espace de 1.100 places de vente, constituées de « boxes » à louer et de boutiques est totalement dédié à la vente de pagnes, du prêt à porter, des chaussures, sacs, des bijoux et autres accessoires de mode. Se greffent à l’édifice principal, des hangars et « appâtâmes » construits par les vendeurs de produits vivriers, mais également des vendeurs de chaussures. Ces hangars et « appâtâmes » offrent près de 5.000 emplacements supplémentaires. Une tenancière de boutique rencontrée sur les lieux nous indique que ce mini-marché est considéré comme ‘’la galerie du luxe’’. « Ici, nous ne vendons pas du n’importe quoi. Nous vendons des objets de grandes valeurs. Vous entrez avec de l’argent et vous ressortez comblé car nous sommes reconnus pour la qualité », explique-t-elle. Judith, venue à « Singboglwè » dans le cadre des préparatifs de sa dot ne dira pas le contraire : « lorsque tu prépares un grand évènement et que tu laisses les boutiques spécialisées de la ville pour venir à Dantokpa, il n’y a pas un autre endroit plus sûr. Ici, tu as tout. Des mèches jusqu’aux chaussures, en passant par le vrai Kanvo bien perlé et les tissus imprimés ». Ainsi, ce bâtiment est majoritairement fréquenté par les fonctionnaires, cadres et autres personnes peu ou prou aisées ou qui cherchent à sortir de l’ordinaire dans le cadre des préparatifs d’un grand événement.
Dans l’univers du Wax et de la dentelle
La rue qui mène à Missèbô est le deuxième espace du marché dédié au textile. De l’immeuble Hadj Ali jusqu’à Missèbô, gravitent des milliers de boutiques et « appâtâmes », tant des importateurs (de wax, guipures, lessi, bazin, good luck), que des revendeurs. Ici, il est importé des tissus de tout genre, des Pays-Bas, de la Côte d’Ivoire, du Ghana, de la Chine, du Nigéria, de la Suisse, pour ne citer que ceux-là. Le pagne est le vêtement traditionnel d’une majorité d’habitants du Bénin comme des autres pays d’Afrique de l’Ouest. Les hauts étals multicolores où s’empilent et s’entremêlent les centaines de pièces d’étoffes de cette zone, desservent la quasi-totalité des clients venus au marché Dantokpa à la quête de pagnes. Ce sont les rayons des ‘’Avogan’’, ‘’Chiganvi’’, ‘’ChiganNice’’, ‘’Victoire wax’’, ‘’Meet fabrics’’, ‘’Hantex’’, ‘’Holantex’’, ‘’Antique’’, toute une panoplie de tissus dont les prix varient entre 2000 Fcfa et 50.000 Fcfa la demi-pièce. Sewa Koffi, un tenancier de boutique laisse entendre que les ventes quotidiennes se chiffrent pour la plupart du temps à plusieurs millions de Fcfa. « Ici, nous vendons des guipures en détail comme en gros. Par jour, il peut arriver qu’on vende jusqu’à 10 douzaines en une journée. Tout dépend du marché », précise-t-il. Sewa Koffi vend des guipures dont les prix varient entre 20.000 Fcfa et 33.000 Fcfa l’unité. Ainsi, si nous considérons 10 douzaines de guipures de 20.000 Fcfa, Sewa Koffi se retrouve à pas moins de deux millions francs Cfa chaque jour. Ce qui démontre qu’il s’agit bien d’un mini-marché, où l’on brasse des millions de francs Fcfa au quotidien. L’autre coin connu des clients en quête de tissus et autres accessoires d’habillement est appelé ‘’Hangamè’’ (dans les hangars, en français). Comme un ‘’backrooms’’ de « Singboglwè », on y trouve également des tissus, des bijoux, des sacs, chaussures, mèches etc.
Sous le poids de la crise économique
Dantokpa, l’un des points névralgiques de l’économie béninoise est frappé par la crise économique causée par la Covid-19 et la hausse inflationniste. Les commerçants disent avoir facilement accès à la marchandise mais les difficultés liées à la vente font obstacle. Benjamin Tekou précise pourtant que les prix n’ont pas changé. « Juste que les clients viennent à compte-goutte », rechigne-t-il. Animé en majorité par des femmes, le secteur est une véritable plateforme commerciale ou presque tous les accessoires de la mode et du textile peuvent être achetés ou vendus. Ce réseau compte par jour des milliers d’acheteurs venus de presque tous les pays de la sous-région ouest-africaine et d’ailleurs.
Les pièces détachées, une attirance à Dantokpa
Falco VIGNON
L’une des activités économiques les plus florissantes dans le marché international de Dantokpa, est la vente des pièces détachées et des appareils électroménagers. Quelques acteurs du secteur des pièces détachées et appareils électroménagers donnent des détails sur leurs activités. Achille Dandjinou, revendeur des pièces de rechange notamment des groupes électrogènes explique : « une pièce de rechange, ou pièce détachée, est une pièce destinée à remplacer une pièce défectueuse ou dégradée d’un bien en exploitation. Il précise que dans la famille des pièces de rechange ou détachées, on peut citer : Amortisseur & ressort ; Lave-linge, Aquastop & électrovanne ; Aube de tambour ; Charnière & hublot ; Condensateur ; Courroie ; Filtre vidange ; Interrupteur ; Manchette & hublot ; Moteur & charbon ; Poignée de porte ; Pompe de vidange ; Poulie & roulement ; Sécurité porte & verrou; Thermostat & sonde ; Turbine & ventilateur ; Tuyau, joint & durite ; Aquastop & électrovanne ; Lave-vaisselle ; Bouchon de bac à sel – Lave-vaisselle ; Bras de lavage ; Carte électronique ; Interrupteur ; Panier & roulette ; Poignée de porte ; Pompe de recyclage ; etc.. ». Achille Dandjinou ajoute que le marché de pièces de rechange est rentable mais il y a certains commerçants qui détruisent le secteur avec certains articles non conformes. En ce qui concerne ses recettes, il indique : « Par semaine, je réalise un bénéfice de près de 500.000 FCFA ». Les points de vue des hommes d’affaires rencontrés dans le marché sont divergents. Ayant déjà fait 20 ans dans l’importation au Bénin des produits des pièces détachées et appareils électroménagers, Mathieu Hountondji, commerçant au marché Dantokpa fait savoir que, « la majorité des articles vendus sont importés du Nigéria qui est un marché d’opportunité pour les opérateurs économiques béninois. Je gagne au moins 50.000 FCFA par jour après les dépenses et les taxes que nous payons ».
Des pièces de rechange importées de l’étranger
Sur la provenance des pièces de rechange ; Mathieu Hountondji, commerçant au marché Dantokpa fait savoir que « la plupart des articles sont importés des autres pays d’Afrique». Ces propos confirment le rapport de la balance des paiements de 2020 qui indique qu’en Afrique, les principaux pays africains fournisseurs du Bénin en 2019 sont le Nigeria (28,2%) et le Togo (7%). Pour les biens d’équipement ou pièces de rechange, ils ont représenté 17,8% des importations officielles en 2020 contre 15,8% en 2019. La composition des importations reflète la structure de l’économie béninoise, dominée par les activités commerciales. Ces produits alimentent essentiellement le commerce transfrontalier de réexportation informelle. De plus, les statistiques ajustées indiquent que les principaux partenaires du Bénin à l’importation en 2020 se trouvent en Afrique (41,4%), en Asie (28,9%) et en Europe (25,5%). Les importations en provenance du continent américain représentent 4,2% des importations totales du Bénin en 2020.