Le changement climatique et la dégradation de l’environnement posent aujourd’hui des défis importants et les risques seront plus grands à moyen et long termes. Face à l’urgence d’action, le Bénin multiplie ses chances pour bénéficier des solutions innovantes ainsi que de la dynamique de financements des institutions de développement.
Félicienne HOUESSOU
Les pays africains comptent pour moins de 4 % des émissions de gaz à effet de serre, mais subissent les pires effets du changement climatique. Ainsi, le Bénin comme la plupart des pays africains se retrouve confronté à un double défi : relancer la croissance économique après la pandémie du Covid-19, tout en donnant la priorité à la résilience climatique et à la transition vers une économie verte. Si la résilience climatique s’impose en raison de la recrudescence des catastrophes naturelles, une transition juste vers une économie verte est plus urgente que jamais pour la croissance économique et pour le marché de l’emploi. Sécheresses, inondations frappent de plus en plus durement le pays. Au titre de l’année en cours, de fortes précipitations ont causé une montée des eaux au Bénin et des inondations dans plusieurs villes du pays. La cellule de prévision et d’alerte actualise chaque jour son bulletin avec des niveaux de relevés d’eau qui inquiètent. Près d’un million de personnes se retrouvent sous la menace des inondations. L’eau est montée dans les bassins des fleuves jusqu’à 9 mètres, le pic enregistré à Zagnanado. À une centaine de kilomètres de Zagnanado, il a été signalé le balayage d’une cinquantaine de cases par les eaux faisant de nombreux sans-abris. Des planteurs ont perdu plusieurs hectares de leurs récoltes, plusieurs pistes menant dans les champs sont inaccessibles, englouties par les eaux. Selon le ministre de l’Intérieur, l’alerte peut rapidement virer au rouge. La situation ne se limite pas à ces cinq communes et pourrait s’étendre à plusieurs autres en raison de la montée des eaux dans les bassins des fleuves. Les priorités pour le Bénin concernent donc l’adaptation et l’atténuation des effets du changement climatique.
Des obligations vertes et bleues à émettre
L’engagement du Bénin sur la finance climatique est axé sur le Programme d’action du gouvernement et sur le document des Contributions déterminées nationales (CDN). Le pays fait d’ailleurs partie des premiers à finaliser dès 2017 son document de CDN. Ces documents actualisés après la réélection du président Talon en 2021 et l’élaboration du cadre d’action pour les Objectifs de développement durable (Odd) ont été d’une importance capitale. Ces instruments ont permis au Bénin d’être le premier pays africain à faire une émission d’obligations internationales dédiées au financement de projets à fort impact sur l’atteinte des ODD en juillet 2021. L’émission d’obligations internationales dédiées au financement de projets à fort impact sur l’atteinte des ODD des Nations-Unies a permis de mobiliser un montant de 328 milliards de Fcfa, avec une échéance de remboursement fixée à 2035. D’après le ministre d’Etat en charge de l’Economie et des Finances, Romuald Wadagni, les fonds mobilisés serviront exclusivement au financement de divers projets à caractère social et environnemental contribuant aux engagements du Bénin pour l’atteinte des ODD. En avril 2022, African Guarantee Fund pour les petites et moyennes entreprises (AGF) a accordé une ligne de garantie de portefeuille d’un montant total de 1,6 milliard de F CFA à Ecobank Bénin pour accompagner les PME, l’entrepreneuriat féminin et l’économie verte au Bénin. En janvier 2021, la Banque ouest-africaine de développement (BOAD) a lancé la première obligation à objectif de développement durable du continent, dite obligation verte. L’opération a permis de lever 750 millions d’euros, sur une maturité de douze ans, au taux très attractif de 2,75 %, bien inférieur au prix du marché. Les ressources collectées sont investies dans des projets à fort impact social et environnemental, en accord avec les objectifs de développement durable (ODD) des Nations unies. Les secteurs prioritaires couvrent l’agriculture et la sécurité alimentaire, les énergies renouvelables, les infrastructures de base, la santé, l’éducation et l’habitat social.
Des défis colossaux
Lors de la 6e édition de la Green finance conférence tenue à Cotonou, Jules Ngankam, directeur général groupe African Guarantee Fund a déploré de grandes disparités. Chaque année, 300 milliards de dollars d’émissions vertes sont émis dans le monde. L’Afrique n’en capte que 1 %. « Quand on est un pays pauvre et qu’on a la pression de sa population pour fournir de l’électricité, la tentation d’avoir une centrale qui marche au fioul lourd est forte malheureusement. De l’autre côté, on ne peut pas passer d’un coût d’investissements de 750 000 à 2 millions d’euros pour un Mégawatt. C’est plus que le double », fait remarquer Romuald Wadagni à la même occasion. Pour lui, les financements ne sont pas faciles à mobiliser pour une centrale à gaz, dans le cadre de la transition. Les coûts d’investissements pour la transition verte en Afrique sont élevés. Aujourd’hui pour produire un Mégawatt d’électricité à base du fioul lourd, le coût de revient est d’environ 750 000 euros. Il faut un million d’euros pour une centrale à gaz et 2 millions d’euros pour le solaire. Au Bénin, l’économie verte englobe des activités dans des domaines variés allant de l’agro-alimentaire aux énergies en passant par la gestion des déchets, l’eau, la santé et le tourisme. Pour répondre au triple objectifs environnemental, social et de rentabilité économique, les actions vertes nécessitent de gros investissements ou engendrent des coûts de production significatifs. Par exemple les énergies renouvelables nécessitent des investissements initiaux importants bien que leurs coûts d’exploitation soient faibles contrairement aux énergies fossiles. D’une part, le secteur privé est sollicité pour financer des projets résilients face au changement climatique en Afrique. Il y a des opportunités d’investissements à saisir pour créer la résilience. D’autre part, les difficultés de l’économie verte sont liées à l’accès aux financements ou à des pratiques de taux d’intérêt élevés à causes des réticences des investisseurs face à des risques élevés. Pour favoriser la rentabilité des investissements dans l’économie verte, des efforts financiers et une révision des modèles de développement sont importantes. Les dispositions financières et fiscales qui pour l’instant pénalisent le développement de cette économie peuvent être transformées en facteurs favorables à ce dernier.
Les opportunités de financement de l’économie verte
Les activités vertes créent de nouveaux marchés et permettent la création d’emplois. La transition vers une économie verte plus qu’un simple maintien du statu quo ou des politiques publiques entravant ne pourrait qu’améliorer la croissance économique. Ainsi, plusieurs instruments économiques ont vu le jour notamment le mécanisme de développement propre et le marché carbone découlant du protocole de Kyoto. Le secteur financier est essentiel pour permettre cette transition car il peut fournir des capitaux et des mécanismes efficaces de partage des risques. L’intégration d’une logique de transition juste dans les opérations du secteur financier peut générer des résultats sociaux et environnementaux positifs, tout en minimisant et en traitant les conséquences négatives potentielles telles que les actifs bloqués, les pertes d’emplois et le déclin de l’économie locale. Des institutions financières publiques, des fonds souverains et des banques de développement ont commencé à orienter une partie de leurs investissements dans l’économie verte favorisant son développement bien qu’il soit encore modeste.
Le Fonds d’investissement pour l’agriculture et le commerce en Afrique (AATIF), l’une des collaborations de longue date de l’OIT avec des investisseurs à impact, cherche à financer les entreprises agricoles qui envisagent des activités d’adaptation et d’atténuation du changement climatique. Dans le cadre de cet engagement, l’AATIF a récemment mis à jour son cadre de mesure d’impact pour inclure une dimension environnementale qui contient des indicateurs d’atténuation et d’adaptation au changement climatique. A travers une assistance technique, l’AATIF accompagne ses entreprises détenues dans la compréhension et la gestion des risques climatiques dans leurs activités. Par exemple, l’AATIF aide les institutions financières à entreprendre une analyse des risques climatiques de leurs portefeuilles de prêts afin de comprendre les impacts potentiels du changement climatique sur leur portefeuille de prêts. L’objectif est de développer des solutions pour identifier, adapter et atténuer les risques potentiels, conformément aux recommandations du Groupe de travail sur les divulgations liées au climat.
En décembre 2021, la Banque a lancé l’Initiative pour une transition juste, qui bénéfice de l’appui des Fonds d’investissement climatiques. Dans ce cadre, des consultations seront menées avec les parties prenantes africaines, afin d’établir un consensus autour d’une définition pratique d’une transition juste qui puisse être véritablement mise en place. En marge de la Semaine africaine du climat, Gareth Phillips, responsable du financement du climat et de l’environnement à la Banque africaine de développement, a insisté sur la nécessité de considérer la transition juste d’un point de vue africain et de veiller à ce qu’elle soit pertinente pour tous les Africains. « La Banque africaine de développement appuiera la contribution de l’Afrique à la lutte contre le changement climatique et à la limitation du réchauffement de la planète à un niveau bien inférieur à 2 – et idéalement – à 1,5 degré Celsius, pour qu’elle soit juste et inclusive, et ainsi répondre aux préoccupations sociales, de genre, économiques et environnementales du continent », a-t-il déclaré devant un parterre d’acteurs régionaux. La Banque africaine de développement, en partenariat avec le Centre mondial pour l’adaptation, a pour ambition de continuer à financer très fortement les actions d’adaptation et de résilience climatiques, en y consacrant, d’ici à 2025, jusqu’à 25 milliards de dollars, dont environ 12,5 milliards tirés de ses fonds propres. Compte tenu de son niveau d’engagement financier en faveur du climat en Afrique, la Banque a été choisie pour accueillir le bureau régional africain du Centre mondial pour l’adaptation. La BAD a développé une large gamme d’instruments financiers pour permettre les investissements dans l’action climatique. Il s’agit des prêts, des garanties partielles de risque et de crédit, des obligations vertes, des lignes de crédit vertes aux institutions financières et techniques qui soutiennent le secteur privé. La Banque fournit également des financements climat, notamment via le Fonds d’énergie durable pour l’Afrique (SEFA), un fonds spécial multi-donateurs qui fournit un financement catalytique pour appuyer les investissements du secteur privé dans les énergies renouvelables.