Depuis quelques décennies, l’ONG Oxfam publie à la veille de chaque forum international économique de Davos, un rapport sur les inégalités dans le monde. Ce rapport intervient donc dans un contexte très particulier, car, idéologiquement très marqué, Davos étant considéré comme la grande messe de l’ultra-libéralisme et Oxfam une ONG marqué à gauche pour ses orientations stratégiques et thématiques. Le chiffre phare du rapport de janvier 2019 est que « 82 % des richesses créées dans le monde l’année dernière ont bénéficié aux 1 % les plus riches ». Tel est ce qu’on peut retenir du rapport publié cette année. Qu’en est-il de ce rapport ?
Christian Lucien ABOUTA (Sociologue-Evaluateur)
Les inégalités constituent quel qu’en soit la forme qu’elles prennent, la vraie menace de toutes les sociétés. Bouazizi en Tunisie reste un symbole emblématique de ce que les inégalités peuvent avoir comme conséquence au plan politico-social ou même environnemental. Les inégalités sont donc multiples et multiformes même si elles prennent des allures différentes selon les pays. Est-il possible de calculer les inégalités mondiales et comment ? En effet, Oxfam calcule l’inégalité globale sur la base de la richesse nette de chaque individu, c’est-à-dire les actifs moins les passifs. Autrement, la richesse est mesurée en soustrayant les revenus d’une personne de ses dépenses. Si je gagne 100 de Fcfa par an et que j’ai une dette annuelle de 80 Fcfa alors je suis riche de 20 Fcfa (Actif moins passif). La richesse peut-elle se réduire à ce calcul simple ? Qu’est-ce donc la richesse ? Je ne veux nullement réduire la méthodologie de Oxfam à cette différence, car elle utilise des bases plus complexes et peu contestées. Oxfam se base sur les données Global Wealth Databook de Crédit Suisse et de son rapport annuel sur la richesse mondiale qui peine encore à inclure les données de plusieurs pays. Cette méthodologie est jugée très partielle pour rendre compte réellement des inégalités. Le point capital des limites se situe au niveau du capital humain, des dynamiques politiques et de la thématique elle-même.
Autrement, un étudiant américain endetté par le coût de ces études, l’entrée tardive sur le marché de l’emploi d’autres jeunes du fait des études universitaires et les investissements aujourd’hui pour plus de facilités dans le futur sont autant de variables qui renseignent sur la riche réelle ou supposée aujourd’hui et demain. De plus, l’effectivité du droit à la santé et à l’instruction sont des investissements publics mais qui influencent fortement les passifs ou les actifs individuels. La pauvreté financière individuelle n’est pas toujours une variable pertinente pour mesurer les inégalités. Les investissements publics dans les secteurs de l’éducation (infrastructures et personnels enseignants) permettent aux parents de moins solliciter les écoles privées ou les répétiteurs comme c’est le cas au Bénin et donc investissent moi d’argent dans l’éducation de leurs enfants. Il en est de même du secteur de la santé. Ne mange-t-on pas bien dans certains villages africains particulièrement en absence de tout aléa climatique que dans beaucoup de villes en Afrique comme sur les autres continents. Zones rurales connues plus pour les échanges non monétaires. Les inégalités sont donc multiples, leurs estimations aussi. Un indicateur pour en donner une mesure oui mais…
Un indicateur est la traduction d’un phénomène social, politique, ou économique…sous la forme d’une variable, quantitative ou qualitative ou les deux à la fois, dans le but de simplifier une information (parfois complexe) pour la rendre compréhensible et utilisable par un public cible. Il permet de décrire une situation à un moment et à un endroit donné. Il est par essence réducteur de la réalité et toujours partielle dans beaucoup de cas. Les inégalités mondiales sont complexes et difficiles à ensacher dans une variable. Comme Oxfam, le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) publie aussi des rapports annuels sur le développement en occurrence l’Indice du Développement Humain (IDH).
En effet, l’IDH est l’alternative trouvé par les Nations Unies pour classer les pays selon leurs niveaux de développement mais plus seulement sur la base de leurs Produits Intérieur Brut (PIB) par habitant. Pour ce faire, cet indicateur composite a été conçu et intègre d’autres variables telle que la santé l’éducation et le Produit Intérieur Brut. Il est tout de même critiqué pour la quantification de variables par excellence qualitative et la non intégration dans son calcule de la liberté et de l’environnement thématiques qui ont pris une importance majeure dans le bien être aujourd’hui.
Toutefois, les indicateurs quel qu’en soit leurs limites, ont le mérite d’exister. Ils nous renseignent fort bien sur la réalité, c’est un élément d’alerte indispensable. Ainsi donc, tous les indicateurs sont à prendre avec recul. Ils sont pour la plupart conçus et calculés pour une fonction bien déterminée. Pour ce qui concerne l’ONG Oxfam, l’objectif principal est de mettre à la disposition des participants du forum de Davos mais aussi des acteurs sensibles à cette thématique les informations, des indicateurs qui renseignent sur l’état des inégalités dans le monde et d’inviter à plus d’actions pertinentes pour réduire le gap entre riches et pauvres.