(Le sexe remplace l’argent dans des réseaux de jeunes)
Dans les écoles et lycées, un nouveau concept du commerce sexuel a fait surface au sein de la jeunesse : la tontine de sexe. Cette pratique qui se fait dans l’ombre, depuis des années, prend de l’ampleur et s’étend dans les quartiers de ville du Bénin.
Félicienne HOUESSOU
Bien que cachée, la tontine sexuelle est un phénomène qui fait parler du Bénin même au-delà des frontières. Au fil du temps, cette activité a pignon sur rue dans plusieurs établissements et même dans les quartiers de ville. La tontine est une collecte d’argent effectuée, et dont les fonds sont reversés à tour de rôle à un membre. La tontine sexuelle, quant à elle, place dans la plus grande discrétion, le sexe au centre de cette opération, en remplacement à l’argent. Pour Elodie, cette activité existe dans plusieurs établissements mais un élève peut faire tout son cursus scolaire sans avoir vent de cela à cause de la discrétion autour. « Alors que j’étais en seconde, un camarade de classe s’est fait ami avec moi dans l’objectif de me convertir dans ce réseau. Au départ, il m’a fait croire qu’il s’agissait d’une ‘’fraternité’’ dans laquelle s’organisait des fêtes, des sorties et des tontines financières. Mais puisqu’il y avait de petites rumeurs sur ce dernier et ses amis, je me suis méfiée », témoigne-t-elle. Elle poursuit : « il y a avait un test pour être sûr que j’étais capable de rester dans un tel réseau. Au fait, il m’a invité chez lui à une de nos heures libres. Tous ses parents étaient au boulot. On était accompagné par une autre fille très proche de lui. Une fois chez lui et après 20 minutes de discussion et de rire, il met un film pornographique. Les deux amis ont tout fait pour me convaincre de rester car pour eux il n’y a rien de mal à regarder un film du genre puisque à trois rien d’inquiétant ne pouvait se passer. Alors que la vidéo a évolué de quelques minutes, l’ambiance était devenue de sorte que si je me laissais faire, on allait passer au sexe à trois ». Selon les dires d’Elodie, c’était une méthode qui permettrait de détecter sa capacité à s’ouvrir à une vie de débauche. Un recrutement qui a échoué car, révèle-t-elle : « j’ai réussi à m’échapper et c’est environ deux mois plus tard que j’ai su qu’il s’agissait d’un réseau de tontine sexuelle. Dans certains cas, cette tontine sexuelle est cette trouvaille qui permet aux intéressés d’utiliser leur sexe pour se faire de l’argent. Et c’est ce qui justifie l’adhésion de plusieurs jeunes filles.
La tontine de sexe sous toutes ses formes
Selon les informations reçues des membres de différents groupes qui ont levé le voile sur leurs pratiques, on peut décompter différentes manières de faire la tontine de sexe. Primo, des groupes de garçons adolescents lèvent régulièrement des fonds pour une cause commune et à tour de rôle. Ce montant varie entre 5000 et 10.000 FCFA selon les groupes. Une fois la somme remis à un membre du groupe, ce dernier l’utilise pour les dépenses (chambre, restauration, revenue de la fille …) afin d’entretenir des rapports sexuels avec une fille de son choix dans une auberge ou autre endroit de son choix.« Entre garçons, on cotise de l’argent chaque jour. A chaque quinzaine, on remet l’argent à celui qui est au tour pour sortir avec une fille de son choix », raconte Serge, un élève de la classe de première D. pour lui, ce réseautage permet de réaliser les fantasmes de jeune garçon sans être obligé de supporter les caprices d’une fille. « On n’a plus besoin de copine qui vous fait dépenser inutilement. Nous faisons avec des filles intéressées puisqu’elles sont payées », ajoute le jeune garçon. Alicia est une élève de première dans un établissement de la place. Elle nous révèle que ce réseau fait ravage dans son établissement. A l’en croire, il y a le réseau des garçons et le réseau des filles. « Chez les filles, on se cotise aussi de l’argent pour aider celle qui est au tour à être au top. Nous regardons plusieurs films pornographiques qui nous permettent d’avoir les astuces inédits. Entre garçons, ils se racontent tout. C’est-à-dire comment la rencontre a été. Entre filles, nous faisons aussi pareil. Et pour être la préférée des garçons, il faut bien se cultiver afin d’être calée dans toutes les positions. Genre, envoyer le garçon au7ème ciel », confie-t-elle.
Secundo, la tontine de sexe consiste pour des jeunes filles, parfois des élèves, réunies en associations, à attirer tour à tour des hommes fortunés dans le but de leur soutirer de l’argent. Ce genre de groupe fonctionne de deux manières. D’une part, elles partagent le fonds récolté avec le reste du groupe. Parfois, ces réseaux sont connus des hommes âgés à la recherche de la ‘’bonne chair’’. Ainsi, ils viennent vers ces filles et proposent d’aller au sexe coucher avec elles. Alors, dans le groupe, une fille, à priori celle qui est au tour, est choisie pour offrir ses services à l’homme en question. D’autre part, elles mettent l’argent en tontine, pour subvenir à leurs besoins. C’est-à-dire mener une vie que les parents sont incapables de leur offrir : une vie de luxe avec des portables dernier cris. Les mises commencent par 5000 FCFA. Certaines filles souscrivent le double ou même le triple, en fonction de la capacité à supporter plusieurs rapports sexuels dans la journée. Ainsi, lorsque la jeune fille est de tour, elle peut sortir avec plusieurs hommes afin d’élever son gain. Selon les propos de plusieurs adeptes rencontrés, il s’agit carrément d’un business florissant qui permet de se doter de biens matériels.
« Dans notre établissement, il y a le réseau des garçons. Mais ce n’est pas trop intéressant. On avait commencé avec eux avec une association de 10 filles. Au fil du temps, on a compris qu’il y avait mieux. Une nouvelle venue d’un autre établissement nous a parlé de l’autre forme de tontine. Certaines d’entre nous ont refusé. On était 3 à s’allier avec la nouvelle pour cette forme de tontine qui vise les hommes qui ont les moyens. Avec le temps, une 4ème a vu que l’affaire marche bien, elle nous a aussi rejoint », nous apprend Christelle, une adolescente de 18 ans. Pour elle, ce n’estrien de difficile. « Il suffit d’être gentille, séduisante et provocante. En plus, c’est un défi. Lorsque l’autre se débrouille pour rapporter sa part (50.000 FCFA) c’est honteux d’être au tour et de ne pas faire pareil. Alors on se débrouille même s’il faut multiplier les hommes à séduire », martèle-t-elle.
A qui la faute ?
Dans les lycées, collèges et des quartiers de villes du Bénin, ce fléau qui affecte la morale, l’honneur et la dignité de lafemme prend de l’ampleur. Cette forme de prostitution fait son bonhomme de chemin, avec même de la concurrence. Un mal parmi tous ceux qui minent la jeunesse béninoise. « Les parents sont à la base de ces dépravations. Ils ne suivent pas leurs enfants comme il le faut. Un enfant qui n’a pas conscience que la vie est difficile et qu’il faut se battre pour réussir, ne peut que s’adonner à ce genre de pratiques déplorables. Tout le monde cherche l’ascension professionnelle et plus aucun parent n’a le temps d’inculquer de vraies valeurs aux enfants. De plus, certains parents refusent qu’on gronde ou qu’on punisse leurs enfants à l’école lorsqu’ils sont en faute », s’insurge Alain, un enseignant qui nous informe qu’il a découvert il y a peu, cette pratique dans son établissement et qu’il suit ces jeunes de très près. « C’est une bonne partie de la jeunesse béninoise qui court tout droit à la dérive. Il est donc important de tirer sur la sonnette d’alarme afin d’emmener les parents à être plus vigilants sur le quotidien de leurs enfants », ajoute-il. Pour lui, il faut vite commencer par sensibiliser sur le sujet. Car, ces jeunes se déscolarisent parfois et vont installer des réseaux plus sophistiqués dans leurs quartiers.
Selon nos enquêtes, plusieurs réseaux prolifèrent dans les quartiers comme Fidjrossè, Akpakpa et Godomey. Les raisons sont multiples : la dislocation de la cellule familiale, la pauvreté, la perte de valeurs etc. Selon le coordonnateur du Comité de liaison des organisations sociales de défense des droits de l’enfant (CLOSE) et directeur de l’ONG Enfants solidaires d’Afrique et du monde (ESAM), Nobert Fanou-Ako, il s’agit d’un fléau vraiment dangereux pour les jeunes filles qui s’y mettent. Ces pratiques sont à l’origine de la déscolarisation, de la prolifération des maladies sexuellement transmissibles. De plus, elles peuvent conduire à des grossesses non-désirées, et donc des avortements, qui pourraient entraîner la mort.
Des mesures urgentes s’imposent
Jonas Kindafodji, coordonnateur de la plateforme synergie d’action et membre du réseau les jeunes ambassadeurs trouve qu’il est important de mener une grande et permanente campagne de sensibilisation autour du sujet. Conscients qu’un certain nombre de groupes particulièrement vulnérables, notamment les fillettes, sont davantage exposées au risque d’exploitation sexuelle, et que l’on recense un nombre anormalement élevé de fillettes parmi les victimes de l’exploitation sexuelle, le CLOSE a adopté des conclusions et observations. Entre autres : la promotion des normes sociales de protection de l’enfant par le biais de projets de développement communautaire de la société civile tels que les groupes de jeunes, les organisations religieuses et les médias, y compris les réseaux sociaux; l’engagement et la capacité d’action des gouvernements… « Il ne devrait pas être nécessaire d’obtenir la permission des parents de l’enfant pour porter plainte ou pour intenter des poursuites judiciaires dans ces cas. Les enseignants, les entraîneurs et les responsables communautaires peuvent contribuer à informer les enfants de leurs droits et des meilleurs moyens de se protéger », explique-t-il. L’éducation à la santé sexuelle doit faire partie des priorités, non seulement dans les établissements mais aussi dans les églises, familles et autres regroupements communautaires. La capacité d’action des familles et des communautés est cruciale pour l’éradication de ce mal qui gangrène la future génération.