La politique industrielle fait son grand retour. Les décideurs cherchent de plus en plus à remanier leurs économies en ciblant des branches de production, des entreprises ou des activités économiques spécifiques au moyen d’outils tels que les subventions. Mais parce que les tensions politiques et commerciales autour du soutien public se font de plus en plus ressentir, les subventions, même motivées par des objectifs nobles, ont souvent un coût élevé.
Des subventions bien conçues sont un instrument important pour faire face aux défaillances du marché et atteindre des objectifs légitimes de politique générale. Mais parce que les subventions nationales ont des effets sur d’autres parties prenantes, elles ont longtemps représenté des difficultés pour le commerce mondial. La coopération entre les gouvernements, plutôt que la non‑coopération ou la confrontation, est d’une importance cruciale pour apporter plus de clarté sur le volume et la conception de ces subventions ainsi que leurs retombées potentielles au‑delà de l’économie qui les accorde. Des données et des analyses pourraient éclairer les discussions sur la question de savoir si des règles internationales révisées, y compris à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), sont nécessaires, soit pour discipliner davantage certains comportements, soit pour offrir des flexibilités additionnelles. Une plus grande certitude pourrait contribuer à réduire les tensions commerciales et éviter le risque de laisser sans réponse les principaux défis de politique générale.
Les subventions sont coûteuses, même lorsqu’elles sont bien conçues
L’augmentation des défis mondiaux découlant de la pandémie de COVID‑19, du changement climatique, de la transition numérique, de la résilience des chaînes d’approvisionnement et de la concurrence géopolitique, ainsi que le caractère pressant de ces défis ont réorienté le débat sur le juste équilibre entre l’intervention de l’État et les forces du marché. Récemment, les décideurs des grandes économies se sont révélés favorables aux subventions et à d’autres instruments de politique industrielle pour soutenir certains objectifs.
Toutefois, régler la question des subventions est loin d’être simple. Il existe des raisons économiques solides en faveur du soutien public, comme l’appui à la recherche et au développement sur les vaccins contre la COVID‑19 ou la transition verte. Mais les aspects économiques des subventions ne sont ni noirs ni blancs — en fait, un grand nombre de subventions sont dans une vaste palette de gris, du fait de leurs effets mitigés. Ainsi, elles peuvent à la fois contribuer à la réalisation d’objectifs légitimes de politique générale et avoir des retombées positives, et causer diverses formes de dommages. Mais une chose est sûre. Même dans des circonstances optimales, les subventions coûtent cher non seulement pour le pays qui les accorde, mais aussi souvent pour le reste du monde.
Au niveau national, les subventions peuvent accroître les pressions budgétaires et détourner les ressources d’autres besoins urgents. Du point de vue de l’environnement, des années de subventions à la pêche, de subventions aux combustibles fossiles et de subventions agricoles ont nui à la biodiversité et au climat. Pour les pays qui n’accordent pas de subventions, les entreprises concurrentes et les travailleurs, les subventions peuvent avoir un effet de distorsion sur les échanges et l’investissement, éroder les engagements commerciaux existants et accroître le sentiment d’injustice lié au fait que ceux qui ont les poches pleines peuvent faire pencher la balance en leur faveur en termes de concurrence. En outre, il y a le risque de recherche de rente et de protectionnisme.
L’absence de coopération a des conséquences
Il est peu probable que les entreprises et les gouvernements qui sont touchés par ces retombées négatives restent les bras croisés. Dans un environnement sans coopération, cinq conséquences sont possibles — aucune d’elles n’étant bénéfique:
- Premièrement, les gouvernements qui peuvent se le permettre peuvent adopter un comportement semblable. Selon un rapport de Global Trade Alert, un ensemble de subventions accordé par une économie est généralement suivi, six mois après, par des subventions similaires provenant d’une autre économie.
- Deuxièmement, les ministères des finances ou les autorités locales peuvent s’engager dans une politique d’un prêté pour un rendu, chacun cherchant à surpasser l’autre, en accordant des subventions toujours plus élevées, ce qui pourrait lancer une course aux subventions à l’échelle mondiale. Le secteur des semi-conducteurs en est un bon exemple. En complément de ces subventions, des restrictions à l’exportation ou d’autres mesures peuvent être introduites, comme pour les minéraux essentiels nécessaires à la transition verte, selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).
- Troisièmement, des mesures compensatoires visant à compenser les retombées négatives des subventions sur les marchés intérieurs ou les marchés de pays tiers peuvent proliférer, avec le risque d’une augmentation des coûts et des pertes pour tout le monde.
- Quatrièmement, il se peut qu’il y ait contournement et évasion des droits compensateurs, les entreprises se livrant à des comportements dépensiers, et parfois même illicites, pour tenter d’éviter de perdre des parts de marché.
- Et cinquièmement, il y a le risque de controverses, qui peuvent avoir des répercussions sur le commerce et l’investissement au niveau mondial, ainsi que sur la réalisation des objectifs mêmes que les subventions visaient à atteindre en premier lieu. Des commentateurs ont déjà averti que, par exemple, le risque existe que les frictions et les obstacles résultant des subventions vertes augmentent, rendant la transition vers des émissions nettes nulles de gaz plus coûteuse ou plus longue.
Compte tenu de l’ampleur des aides de l’État et de leurs effets systémiques potentiels, la nécessité de remédier aux retombées internationales des subventions est maintenant plus urgente que jamais. Alors, que peut‑on faire?
Plus de transparence, d’analyse et de dialogue pourrait aider
Le point de départ pour élaborer de meilleures politiques et contribuer à réduire les tensions est une meilleure information sur les subventions. À la suite de la publication d’un rapport conjoint sur les subventions, le commerce et la coopération internationale en 2022, la Banque mondiale, le Fonds monétaire international (FMI), l’OCDE et l’OMC ont établi une plate-forme en ligne conjointe pour les données sur les subventions qui fournit des liens vers les sources de données existantes de chaque organisation.
La plate‑forme, lancée en mai dernier, vise à faciliter l’accès à l’information, première étape en vue de trouver un terrain d’entente entre les gouvernements sur l’utilisation et la conception appropriées des subventions. Elle décrit les différents types de données sur les subventions disponibles dans les quatre organisations, ainsi que la structure des différentes bases de données sur les subventions, et fournit des descriptions détaillées de leur contenu et des méthodes de collecte de données correspondantes. Du point de vue de l’OMC, un objectif essentiel est de faciliter l’accès aux notifications concernant les subventions adressées à l’Organisation en les mettant à disposition dans un format plus pratique pour la recherche, ce que les experts ont à juste titre identifié comme étant une prescription minimale pour l’analyse statistique.
En travaillant à la fois séparément et conjointement, la Banque mondiale, le FMI, l’OCDE et l’OMC ont l’intention de continuer à développer et à élargir la plate‑forme et à approfondir leur analyse, par exemple en évaluant l’efficacité budgétaire des programmes de subventions et leurs retombées transfrontières, ou en améliorant les règles et la conception des politiques régissant les subventions. Ils inviteront aussi les chercheurs et les milieux universitaires à recueillir des données et à effectuer davantage de recherches et d’analyses.
Les quatre organisations ont également mis en place une série de mécanismes pour favoriser le dialogue sur les subventions. Ainsi, le FMI fournit des conseils en matière de politique dans le cadre de ses mécanismes de surveillance ordinaires; l’OCDE entretient un dialogue constant avec ses membres sur les questions relatives à la conception des subventions, aux impacts et aux options de réforme; les engagements de la Banque mondiale aux niveaux national, régional et mondial soutiennent l’analyse et la sensibilisation; et l’OMC sert d’enceinte pour examiner et résoudre les problèmes liés au commerce. D’autres options dans d’autres configurations, impliquant éventuellement les ministres des finances et du commerce, peuvent aussi être utiles pour permettre un débat sur les questions pertinentes relatives aux retombées des subventions.
Des règles de l’OMC actualisées peuvent jouer un rôle clé
Les règles existantes de l’OMC, notamment l’Accord sur les subventions et les mesures compensatoires (Accord SMC), ont globalement été utiles aux gouvernements pendant plus de 25 ans, dans le cadre d’un système de règles commerciales plus large qui a permis une croissance tirée par le commerce et la prospérité dans le monde entier. Mais ces disciplines ont été adoptées il y a de nombreuses années, et la plupart des commentateurs experts ont souligné qu’elles avaient besoin d’être révisées.
Les règles de l’Accord SMC visent à remédier à la distorsion des échanges qui peut être causée par le subventionnement. Ce faisant, elles cherchent à limiter la mesure dans laquelle les flux commerciaux sont déterminés par les trésors publics. Pour être soumise aux règles de l’OMC, une subvention — définie, conformément à l’Accord SMC, comme étant une contribution financière des pouvoirs publics ou de tout organisme public du ressort territorial d’un Membre de l’OMC qui confère un avantage — doit être limitée à certaines entreprises, ce qui veut dire qu’elle doit être “spécifique”. L’idée qui sous‑tend la règle de la spécificité est qu’un tel subventionnement ciblé est le plus susceptible d’avoir des effets de distorsion sur les échanges.
L’Accord SMC prohibe les subventions spécifiques qui sont subordonnées aux résultats à l’exportation ou à la teneur en éléments locaux, car celles‑ci visent à influer directement sur le commerce et sont donc les plus susceptibles d’avoir des effets défavorables pour les intérêts d’autres Membres. D’autres subventions spécifiques, telles que les subventions à la production, relèvent de la catégorie des subventions pouvant donner lieu à une action, ce qui signifie qu’elles ne sont pas prohibées, mais peuvent faire l’objet de contestations à travers le système de règlement des différends de l’OMC ou de droits compensateurs nationaux si elles ont des effets défavorables pour les intérêts d’un autre Membre de l’OMC.
Les décideurs et les commentateurs ont identifié plusieurs problèmes au sujet de l’Accord SMC, principalement parce que certaines de ses règles ne sont “pas suffisamment contraignantes” ou “trop contraignantes”. Toutefois, certains sujets non résolus sont au cœur de certaines des frictions commerciales actuelles. L’absence de règles spécifiques pour remédier aux distorsions potentielles des échanges causées par les subventions que provoquent et subissent les entreprises publiques et leur conduite, en particulier dans le contexte des systèmes autres que de marché, compte parmi ces questions. Trouver un juste équilibre entre les subventions vertes et les règles commerciales est devenu un autre point urgent. Il y a aussi un aspect d’équité fondamental qui sous‑tend cette discussion: le problème des subventions est principalement un problème d’économies riches, car la plupart des pays en développement n’ont ni la marge de manœuvre budgétaire ni la marge de manœuvre politique nécessaire pour se livrer à une concurrence dans l’octroi d’aides, ce qui les met, au mieux, dans la position de simples spectateurs.
De plus en plus, les appels visant à mettre à jour, renforcer ou rééquilibrer les règles mondiales en matière de subventions se sont intensifiés, non seulement dans le domaine des subventions industrielles, mais aussi dans l’agriculture, où il existe depuis longtemps des préoccupations quant à l’adéquation des règles existantes pour maîtriser des marchés fortement faussés. L’Accord de l’OMC sur les subventions à la pêche récemment conclu, destiné à réduire les subventions préjudiciables, et la poursuite des négociations sur ce sujet sont des étapes importantes pour limiter les retombées négatives des subventions, en l’espèce sur la vie et les moyens de subsistance des pêcheurs dans le monde, ainsi que sur la santé des océans.
De nombreux accords commerciaux préférentiels comprennent des règles visant à soumettre les subventions à des disciplines, certaines incorporant des dispositions allant au‑delà des règles de l’OMC pour relever les principaux défis auxquels les décideurs sont actuellement confrontés. Mais pour faire face aux retombées mondiales, toutes les personnes concernées doivent s’asseoir autour de la même table et être en mesure de tirer parti des données et des analyses pour étayer leurs délibérations. Une compréhension commune des questions en jeu et des options qui s’offrent pour les régler pourrait ensuite servir de base à un cadre mondial révisé pour mieux régir les subventions dans le monde d’aujourd’hui.
« Réflexions sur le commerce », de la DGA de l’OMC, Anabel González