Lors de sa réunion du 09 décembre 2022, le Comité de Politique Monétaire (CPM) de la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) a décidé pour la troisième fois, d’une nouvelle hausse de ses taux. Ainsi, à compter du 16 décembre 2022, le principal taux directeur auquel la Banque Centrale prête des ressources aux banques passe de 2,50% à 2,75%, et le taux de guichet de prêt marginal passe de 4,50% à 4,75%.
Selon la BCEAO, cette décision, qui fait suite à la première hausse des taux intervenue en juin 2022, contribuera à ramener progressivement le taux d’inflation dans l’intervalle cible de la Banque Centrale sur le moyen terme (entre 1% et 3%). Cette hausse des taux vise à rendre les emprunts des entreprises, des Etats et des particuliers plus chers, ce qui réduit en théorie la demande, donc l’inflation. L’autre objectif qui pourrait se dissimuler derrière une telle mesure serait l’évitement des fuites de capitaux étrangers en raison du relèvement du taux d’intérêt sur les dépôts à l’extérieur de l’UEMOA. Cependant, ces motivations ne sauraient avoir du poids face au besoin de financement de l’économie.
On serait tenté de croire à un suivisme, une sorte de conformisme politico-monétariste. Si la tendance est aujourd’hui au relèvement des taux directeurs dans les banques centrales du monde entier, il faudra en situer le contexte. Par exemple, la Banque Centrale Européenne (BCE) a longtemps mis en œuvre une politique monétaire non conventionnelle qui se veut très accommodante le « quantitative easing ou assouplissement quantitatif » avec des taux directeurs très faibles, voire négatifs depuis au moins 10 ans, suite à la dernière crise financière. D’ailleurs, les hausses opérées ces derniers jours par la BCE ne relèvent pas d’une politique restrictive comme le témoignent plusieurs économistes, mais un retour aux politiques conventionnelles ; car malgré ces hausses 3 fois plus importantes que celles de la BCEAO, le taux de refinancement des banques commerciales s’en ressort à 1,50%, bien loin de 2,5%. Même lorsque la BCEAO s’évertue à dire que sa politique monétaire est « accommodante », elle en est bien loin en réalité, vu les besoins de financement de l’économie.
Une mesure symbolique ou autodestructrice ?
En théorie, une politique monétaire restrictive est nécessaire dans le cas d’une économie en phase d’expansion voire en surchauffe. Si la quantité de monnaies en circulation et le niveau d’endettement sont trop importants, les prix montent en flèche et la banque centrale se doit d’intervenir pour réaliser son objectif de stabilité des prix.
Dans le cas des pays de la zone UEMOA, s’il est vrai que l’inflation connaît une envolée pour s’être établie à 8,1% en juillet 2022 puis 8,4% en octobre 2022, on est loin d’une phase d’expansion encore moins d’une situation de surchauffe. L’inflation sous-jacente, c’est-à-dire l’inflation calculée en excluant les produits dont les prix sont les plus volatils (produits frais et énergie), est ressortie à 5,4% en octobre 2022 dans la zone avec une croissance économique de l’Union qui s’établirait à 5,9% en 2022 en termes réels. La quantité de monnaie en circulation n’a enregistré qu’une hausse modérée d’environ 12% en une année et le déficit global, base engagements, dons compris, s’est établi à 979,2 milliards ou 3,6% du PIB à fin mars 2022 contre 1.059,5 milliards ou 4,5% du PIB un an auparavant (BCEAO, juin 2022).
La banque centrale en montant les taux d’intérêt cherche à réduire la masse monétaire, ce qui participe au ralentissement de l’économie et permet le contrôle des prix en ralentissant les dépenses et l’investissement notamment. Or, d’après les enseignements de la courbe de Philipps, diminuer le niveau de l’inflation aura pour effet d’accroître le chômage. Cette relation témoigne du compromis nécessaire entre niveau de chômage et stabilité des prix, permettant à la Réserve fédérale (FED) par exemple, de remplir son double mandat de politique monétaire. A l’opposé, les mesures que la BCEAO adopte depuis six mois n’auront aucun effet sinon un effet aggravant, conduisant à une surchauffe des prix qui pourra être difficile à maîtriser à court et moyen termes.
La source de l’inflation n’est pas la demande…
En effet, l’inflation actuelle est essentiellement due à une crise de l’offre. Ainsi, faudrait-il noter que les échanges extérieurs des pays de l’Union sont habituellement déficitaires : la zone UEMOA importe plus qu’elle exporte. Au cours du deuxième trimestre 2022, les échanges extérieurs se sont soldés par un déficit global de 508,8 milliards. Cette évolution est principalement liée à une forte dégradation du solde courant, du fait notamment de l’alourdissement de la facture pétrolière et alimentaire ainsi que du fret, dans un contexte de contraction des entrées nettes au titre des comptes de capital et financier. L’inflation qui secoue actuellement la zone est essentiellement portée par les composantes « produits alimentaires » et « transport ». La contribution à l’inflation totale de la composante « produits alimentaires » s’est accrue de 0,5 point pour se situer à 6,2 points tandis que celle de la composante « transport » a progressé de 0,1 point pour atteindre 0,5 point en juillet 2022.
La BCEAO dans son bulletin synthétique du mois d’août 2022, explique que la hausse des prix des produits alimentaires en juillet 2022 est liée au déficit de l’offre locale, dû à la baisse de la production céréalière dans l’Union au cours de la campagne 2021/2022. Elle est aussi le reflet des difficultés d’approvisionnement des marchés, subséquentes à la persistance des conséquences des crises sanitaire et sécuritaire. A ces contraintes s’ajoutent l’envolée des cours internationaux des denrées alimentaires importées par l’Union (+39,5%), la dépréciation de l’euro face au dollar, ainsi que les tensions sur le marché international, exacerbées par la crise russo-ukrainienne.
Pour le transport, la hausse découle du renchérissement des services de transport, liée au relèvement des prix des produits pétroliers. Dans ce contexte difficile de redressement des cours mondiaux de pétrole brut, la hausse des prix à la pompe de l’essence sur un an, a atteint en moyenne 21% dans la zone à fin juillet 2022. Il va de soi, que l’inflation actuelle est non seulement liée à l’insuffisante offre mais également à l’inflation importée en lien avec les importations. La BCEAO n’a aucun moyen d’influer sur cette donnée et d’autant plus qu’elle a peu de visibilité sur la durée du conflit et de son évolution.
Quelles conséquences pour l’économie de l’Union ?
La première conséquence d’une telle mesure est la rareté du crédit dans l’économie. À terme, les banques vont prêter plus cher et moins. D’un côté, les banques commerciales sont incitées à moins prêter et de l’autre à placer leurs excès de trésorerie car elles sont mieux rémunérées grâce à la hausse du taux de facilité de dépôt. Or, le financement du secteur privé est déjà très problématique, dans la zone, notamment pour les ménages et les petites entreprises. Par exemple, selon le rapport sur la politique monétaire des pays de l’UEMOA de juin 2022, sur les 6884,8 milliards FCFA de volume de crédit supplémentaire, la part accordée aux ménages n’est que de 14% environ. Alors que c’est dans cette catégorie d’agents économiques qu’on retrouve l’essentiel du secteur informel. Il regroupe en effet les petits commerçants de biens et services, mais aussi des centaines de milliers de producteurs agricoles, des éleveurs ou des pêcheurs qui, en période de crise, se sont révélés être les piliers de la résilience économique au sein des Etats.
A terme, on assistera à l’exclusion de nombreuses entreprises et ménages du marché de crédit, ce qui endiguera les efforts engagés ces dernières années pour l’inclusion financière. La remontée des taux va conduire à une baisse de la demande et donc à une baisse de la croissance voire la récession et par ricochet au chômage.
Une autre conséquence est l’alourdissement de la dette des Etats pour les futurs emprunts. Ce qui pourrait pénaliser les investissements publics et ainsi ralentir la mise en œuvre des plans de développement. En effet, les Etats représentent les meilleurs emprunteurs grâce à leur profil de risque qui est a priori plus faible que celui des entreprises et ménages.
Des conséquences très négatives pour l’économie béninoise…
Pour rappel, la décision de rehausser les taux directeurs dans la zone est sous-tendue par l’objectif de réduire l’inflation et la ramener à son seuil de 3%. Mais qu’en est-il des pays comme le Bénin qui réalise en glissement annuel des taux d’inflation faibles voire négatifs sur la même période (taux d’inflation ressorti à -1% en juillet 2022). Une telle politique au-delà de pénaliser les autres économies de l’Union, pénalise très gravement l’économie béninoise en restreignant la quantité de monnaie en circulation. D’autant plus qu’au niveau du marché bancaire, le Bénin applique l’un des taux d’intérêt débiteurs les plus élevés de la zone, établi au-dessus de la moyenne communautaire, soit 7,2% contre 6,3% en moyenne pour la zone sur la période juin 2021 à juillet 2022. Ces taux appliqués justifient en partie le niveau faible du financement de l’économie réelle.
Par exemple, au titre du financement accordé aux PME/PMI par les établissements de crédit dans le cadre du dispositif de soutien au financement des PME/PMI dans l’UEMOA, les informations communiquées par l’Association Professionnelle des Banques et Etablissements Financiers du Bénin (APBEF-Bénin) font ressortir un faible niveau de financement ; soit 3,1 milliards à fin juin 2022 contre 4,8 milliards à fin mars 2022, correspondant à un taux d’approbation de 17,83% pour une demande totale de 17,4 milliards.
Que devrait faire la BCEAO ?
En tout état de cause, la source de l’inflation dans l’Union est essentiellement liée à une insuffisance de l’offre aussi bien interne qu’externe. Elle a donc très peu de marge de manœuvre. Tant qu’il y aura des tensions sur les prix dans les pays fournisseurs, la zone subira à l’instar du reste du monde, l’inflation. Les économies de la zone n’ont nullement besoin d’une politique monétaire restrictive. Il faudra plutôt alors soutenir les gouvernements et les banques pour renforcer la résilience des économies. Dans tous les cas, deux options peuvent se présenter.
Une première option consisterait en ce que la BCEAO amplifie les initiatives lancées en 2021 relatives aux Obligations de relance (OdR) et aux Bons de Soutien et de Résilience (BSR) dans le cadre de l’accompagnement des plans de relance initiés par les Etats membres de l’Union suite à la pandémie COVID-19. En utilisant ainsi des outils non conventionnels, la Banque centrale peut aider les pouvoirs publics dans leur objectif de soutien au pouvoir d’achat des ménages et à la résilience des économies face aux chocs adverses et inhabituels qui touchent les économies avec la nouvelle crise russo-ukrainienne et la montée subséquente des cours des produits alimentaires, pétroliers et énergétiques. La Banque pourrait à cet effet accorder des facilités permanentes ou encore des opérations ciblées de refinancement surtout dans le cas du Bénin.
Au demeurant, une seconde option consisterait en ce que la BCEAO ne change pas sa politique d’avant les hausses, c’est-à-dire celle en ligne avec le maintien de l’orientation « accommodante » de la politique monétaire de la BCEAO. Les demandes de refinancement des banques de l’Union devraient donc revenir au taux minimum de 2,00%.
Pour engager la Banque centrale résolument dans cette ère de soutien à l’économie avec des mécanismes permanents de financement, il devient nécessaire de revisiter son mandat. Au-delà de l’objectif de stabilité des prix, adjoindre à celui-ci, un objectif explicite de croissance de l’économie n’est pas préjudiciable dans le contexte des économies de l’Union. Ceci impliquera une révision de l’article 8 des statuts de la Banque centrale dans le cadre d’une réforme de la politique monétaire dans l’Union. C’est aussi à l’aune de ce financement de l’économie, de la production et de la croissance qu’il faudra évaluer l’efficacité de la politique monétaire de la banque centrale.
Alain BABATOUNDE
Maître de Conférences, Agrégé de Sciences Economiques