Dans le cadre de la commémoration de ses cinq (05) années d’exercice au Bénin, Coris Bank International Bénin a initié une conférence publique le samedi 26 mars 2022 à Cotonou. Animée par le professeur John Igué, elle porte sur la monnaie et le développement économique et a réuni plusieurs professionnels et responsables de banque et d’autres économistes de haut niveau dont le Directeur de l’Ecole nationale d’économie appliquée et de management (Eneam). C’est le Directeur général adjoint de la CBI, Jean-Marie Compaoré qui a ouvert les travaux.
Bidossessi WANOU
La commémoration des cinq années d’activité de Coris Bank International Bénin (CBI Bénin) n’est pas faite que de festivités. Le banque a initié des activités scientifiques à l’instar d’une conférence publique de haut niveau conduite par le professeur John Igué, passionné des questions d’économie et directeur de laboratoire. Devant un public difforme en compétences, qualités, composés de banquiers, d’économistes et même de collègues enseignants chercheurs et universitaires, le conférencier a ouvert le débat. C’est à la suite d’une brillante présentation sur le sujet notamment la monnaie, ses origines en Afrique, son évolution, les relations entre la monnaie et le développement, le projet de la CEDEAO de battre monnaie et les enjeux y afférents et autres. A l’entame des travaux, le Directeur général adjoint de la CBI a présenté le contexte et les motivations de ce rendez-vous d’échanges et de partage. «La présente conférence s’intègre aux activités commémoratives des cinq ans de présence de Coris Bank international au Bénin. Il s’agit d’un élan citoyen souhaité par la direction générale de la banque. « Cette activité participe de notre volonté de contribuer à l’éducation financière de toutes les couches socio-professionnelles », a souligné Jean-Marie Compaoré. Selon le DGA/CBI, c’est un exercice « fort instructif » où, guidé par l’expertise du conférencier les participants ont poussé loin la réflexion sur le rôle de la monnaie dans le développement des économies comme celle du Bénin, en y apportant leur son de cloche.
De l’origine, utilité et évolution de la monnaie
La monnaie, histoire de la monnaie en Afrique de l’ouest, structure de création et de la circulation monétaire en Afrique de l’ouest et particulièrement au Bénin puis monnaie et financement du développement national. Ce sont-là les grandes articulations de la présentation du professeur John Igué. D’entrée, « la monnaie joue un rôle extrêmement important dans la vie des nations et des hommes. La facilité de la vie, le mythe social, le progrès, tout repose sur la monnaie », a souligné le conférencier qui a justifié : « La monnaie est au cœur des problèmes de développement économique et du bien-être des populations. Que ce soit les Etats comme les hommes, notre préoccupation essentielle aujourd’hui, c’est de s’enrichir ». Depuis l’époque coloniale, l’Afrique a traversé différentes époques et histoires avec la monnaie. Mais de tout temps, deux principaux acteurs interviennent dans le processus de la gestion de la monnaie à savoir : les banques Centrales et les banques commerciales. De tout temps, la difficulté observée a été également la convertibilité de la monnaie des banques en monnaie physique et métallique. Cela s’avère davantage préoccupant dans la CEDEAO ou en Afrique de l’Ouest. On note dans cette sous-région, neuf (09) monnaies dont une seule à valeur de devise, le FCFA. Cela pose de véritables problèmes aux économies selon John Igué. La situation se pose même avec beaucoup plus d’acuité dans les pays francophones.
Du projet de battre monnaie en Afrique de l’Ouest
A en croire le conférencier, « La fermeture de la chambre de compensation a créé la nécessité d’une monnaie commune à la CEDEAO ». Cependant, le fonctionnement de la CEDEAO ne lui permet pas de garantir une monnaie parce que n’ayant pas une garantie économique forte. Ce projet devrait être porté par une économie forte de la zone. Un objectif que semblent boycotter les pays francophones qui se sont empressés d’annoncer un projet de monnaie commune, qui en réalité n’a été qu’un changement du nom FCFA. Le pire s’avère qu’ils ne font pas le poids dans la sous-région où ils ne détiennent pas plus que 24% des capacités économiques. En clair, les alliés de la France dans la sous-région ne font pas le poids pour garantir ce projet de monnaie unique. Pour réaliser cependant le projet Eco, John Igué estime qu’il importe de résoudre quelques problèmes fondamentaux en l’occurrence, le problème de l’Institution qui garantira la monnaie. Pour ce faire, un Etat doit se décider et cela ne peut qu’être les locomotives. La création monétaire est devenue essentielle pour les Etats mais cela pose d’importantes distorsions, a conclu à ce sujet le conférencier qui a mis à l’index la multiplication des multinationaux, le partage équitable des ressources. Le jeu de l’argent créé le développement de l’intégrisme, a soutenu John Igué. Selon Professeur Albert Honlonkou, économiste, le problème se situe dans la gestion de la monnaie à battre pour que ça marche. « Toute la problématique dans les relations Uemoa-France se retrouve à ce niveau. Et on parle de l’indépendance de la banque centrale ». Mais si on a une banque centrale réellement indépendante on n’a pas besoin de la France, soutiennent certains. Malheureusement, les démocraties africaines étant notamment francophones et étant ce qu’elles sont, des difficultés subsistent.
L’activité bancaire au Bénin
En dépit de l’exigence faite aux banques de justifier d’un montant en capitalisation d’au moins 10 milliards, la réalité des banques au Bénin comme ailleurs dans la sous-région ne favorise pas un meilleur rayonnement des économies. Selon le conférencier, on note une très faible couverture avec une forte part de concentration en milieu urbain. A preuve, l’emprise des banques sur la société au Bénin ne serait que de 16% et cela s’avère être le taux le plus élevé de l’Uemoa et donc de la zone monétaire FCFA de l’Afrique de l’Ouest. Le professeur John Igué a diagnostiqué dans son analyse, « des bilans financiers très faibles », et « un niveau de capitalisation et de couverture assez disparate ». Au Bénin, 75% des agences de banques sont basées à Cotonou tandis que deux départements ; la Donga et le Plateau sont demeurés à ce jour dépourvus d’agences bancaires. Ce n’est qu’à Sakété dans le plateau qu’on retrouve une agence d’un groupe bancaire qui fonctionne elle aussi à contretemps.
Des capacités très limitées de financement
Pour un besoin de 8000 milliards FCFA/an de financement de l’économie béninoise, les banques de la place, une quinzaine, couvrent moins du quart, soit moins de 25%. Selon le conférencier John Igué, les banques et SAE n’apportent que 1819 milliards FCFA. Au fait, elles n’apportent véritablement que 1648 milliards FCFA, le reste étant couvert par les institutions de microfinance. Il ressort de ces chiffres que l’apport des banques reste encore insignifiant et très faible. Des études consultées et rapportées par l’universitaire, on note tout de même dans les injections des banques par secteur, un véritable déséquilibre. Sur un engagement de 1648 milliards FCFA, 1600 vont au commerce de gros, les services sociaux, les Bâtiments et travaux publics (BTP) et autres. Le secteur primaire et secondaire est très peu soutenu. A titre illustratif, « le tourisme n’est pas soutenu par les banques aujourd’hui au Bénin » et pourtant, c’est l’un des axes prioritaires du Programme d’actions du gouvernement en cours depuis décembre 2016. Il se dégage donc que les orientations actuelles des banques sont en déphasage avec les priorités du gouvernement. Ces chiffres ne sont pas cependant partagés par Josiane Tchoungui, directrice générale d’Orabank et vice-présidente de l’Association professionnelle des banques et établissement financier. Présente à la rencontre, elle rectifie : « Les chiffres sont autour de 2000 milliards. C’est déjà 25% des besoins. Ce n’est pas rien », a expliqué le VP/Apbef qui a indiqué qu’il ne s’agit là que du volet crédit à l’économie. Car, à côté de cela figurent des financements via des titres, qui avoisinent 2300 milliards également. Dans les explications de la banquière, il a précisé qu’il s’agit notamment de titres de grandes entreprises et Etats dont certains sont vis-à-vis de l’Etat du Bénin; « une forme d’accompagnement ». Aussi, sachant que la majorité des secteurs nécessitent des besoins de financement à long terme, l’appui à long terme dans les portefeuilles de banques béninoises n’est que de 7%. Une situation qui se trouverait aggravée par les ambitions « de battre monnaie ». Car, la création de monnaie contient « des risques d’illiquidité » dans les banques commerciales. Le poids du Nigéria dans la sous-région et sa proximité avec le Bénin qui entretient des relations d’affaires assez fluides avec ce voisin n’ont pas échappé au conférencier. Cela reste perceptible à travers les brassages économiques qui tendent à donner à certaines zones béninoises, un double usage monétaire (le CFA et le Naira). C’est pourquoi, le conférencier averti des relations entre le Bénin et le Nigéria a exhorté les banques à étudier les relations entre les deux monnaies d’une part et à trouver le mécanisme pour tirer profit du secteur informel, non chiffré le plus souvent mais qui concentre pourtant des forces économiques et où circule une masse monétaire tout autant élevée. Un point qu’a soutenu l’économiste et universitaire, Albert Honlonkou. « Pourquoi jusqu’à présent, personne n’a pensé à des accords monétaires de l’Uemoa avec le Nigéria ? Pourtant, c’est 70% du PIB », a-t-il confié. Selon lui, il y a des réflexions profondes à faire pour mieux voir les perspectives. On peut régulariser beaucoup de choses entre le Bénin et le Nigéria, croit-il savoir en s’appuyant sur une série d’exemples, tels la « randisation des économies des zones sud-africaines, la Yuanisation de l’économie zimbabwéenne et la dollarisation d’autres économies. « On pouvait quand même jouer sur ces mécanismes-là d’abord progressivement », a suggéré Albert Honlonkou, le temps de mûrir les réflexions et d’évoluer vers une monnaie unique. C’est d’ailleurs ce qu’a conseillé in fine le conférencier aussi aux banques, ce qui fera d’elles des banques intégrées à leur société. « Si vous ne prenez pas le Naira dans vos guichets, vous n’êtes pas intégrée à la société béninoise », a confié John Igué.
Un public passionné et satisfait
C’est un public passionné et d’hommes avertis des différentes préoccupations qu’a réuni CBI Bénin. Très émus, certains ont exprimé leur gratitude à la banque et ont souhaité que cette initiative se multiplie et surtout s’étende à d’autres thématiques cruciales de développement.
« C’est toujours intéressant d’avoir d’autres perspectives et quand vous écoutez le professeur, il y a beaucoup d’autres perspectives», a témoigné professeur Albert Honlonkou, universitaire, enseignant chercheur et Directeur de l’Ecole nationale d’économie appliquée et de management (Eneam). Au terme de la présentation et des débats, le DGA/CBI Jean-Marie Compaoré a remercié les participants de leur attention soutenue et surtout de leur intérêt pour la question. « Cette conférence, c’est la première, ce sera une série qui va probablement se poursuivre. Nous avons noté toutes vos préoccupations », a rassuré le DGA/CBI plein de gratitude.