(Le Professeur Coffi Sambieni dévoile les secrets d’une réforme réussie)
Le tout nouveau Directeur de l’Alphabétisation et de la Promotion des Langues Nationales (DAPLN), Professeur Coffi SAMBIENI a fait, ce jeudi 21 novembre 2024, sa première sortie médiatique sur le thème : « Apport de l’alphabétisation dans la mise en œuvre des réformes dans l’Enseignement et la Formation Technique et professionnelle et la contribution du PAGEDA et de l’UNESCO ». Comme un caïman dans l’eau, il a montré son savoir-faire dans son nouveau milieu après avoir pris fonction le lundi 18 novembre 2024. L’enseignant de linguistique à l’Université d’Abomey-Calavi, a insisté sur les avantages de l’option de l’alphabétisation fonctionnelle par rapport à l’alphabétisation de masse autrefois pratiquée. À propos des partenaires qui financent l’alphabétisation au Bénin, il a souligné que le Fonds d’Aide à l’Alphabétisation et à la Promotion des Langues Nationales (FAAPLN), l’UNESCO et la Coopération Suisse à travers le Programme d’Appui à la Gestion Décentralisée de l’Alphabétisation (PAGEDA) constituent le bras opérationnel de la DAPLN.
Bonjour Monsieur le Directeur, depuis son arrivée à la tête de notre pays le Bénin, le Président Patrice TALON a entrepris nombre de réformes dans différents secteurs dont spécifiquement celui de l’éducation. Le volet alphabétisation au niveau de l’enseignement et la formation technique professionnelle n’ayant pas été du reste, quel état des lieux faites-vous à ce niveau après huit ans de mise en œuvre ?
Je vous remercie monsieur le journaliste ; avant d’aller sur le vif de votre préoccupation, permettez-moi de faire un petit rappel (bref historique) du chemin parcouru avant 2016.
De la période coloniale à nos jours, plusieurs programmes d’alphabétisation ont été conçus, mis en œuvre en République du Bénin et ont permis de réduire dans une certaine mesure l’effectif de la population analphabète.
En effet, ces programmes ont principalement facilité l’acquisition de connaissances instrumentales (écriture/lecture). Mais leur mise en œuvre a révélé plusieurs faiblesses et insuffisances qui n’ont pas facilité l’atteinte des résultats escomptés.
Ainsi, jusqu’au début des années 1970, la perception initiale, vision fondatrice des premiers cours d’alphabétisation était caractérisée par des objectifs et des contenus fonctionnels, dans une perspective d’autonomisation des producteurs de coton et des coopérateurs des périmètres de production de palmiers à huile.
Suite aux « Etats Généraux de la culture, de la jeunesse et des sports » de mai 1990, des réformes d’orientations stratégiques sont intervenues. Ces réformes ont marqué la rupture par rapport à la stratégie de « l’alphabétisation de masse » et ont révélé l’inexistence d’un document de politique devant permettre de donner des orientations claires dans le sous-secteur de l’alphabétisation.
Mieux, la formation administrée aux apprenants au lendemain de la conférence des forces vives de la nation ne répondait plus aux besoins du temps puisque plusieurs personnes se faisaient former pour devenir artisans ; l’éducation formelle ayant connu des moments de perturbations : d’où la naissance de l’alphabétisation fonctionnelle.
Monsieur le Directeur, de façon concrète, en faveur des réformes qu’est-ce qui a changé dans le domaine de l’alphabétisation et quels en sont les impacts ?
L’alphabétisation est devenue aujourd’hui fonctionnelle et sa cible est bien connue : les artisans car la demande est plurielle.
Cette demande en alternative éducative arrimée à la formation professionnelle et gérée au niveau local est satisfaite par des offres d’alphabétisation répondant aux besoins de l’économie.
Le développement de l’environnement lettré permet aux néo alphabétisés de réinvestir les acquis de l’alphabétisation dans leurs activités professionnelles pour améliorer leur quotidien.
La bibliothèque numérique que l’on peut retrouver sur le site www.alpha.educmaster.bj permet une consultation partout où l’on se trouve.
Le Conseil des ministres du 13 juillet 2022 a autorisé l’introduction progressive de l’alphabétisation fonctionnelle et du numérique dans les dispositifs de certification professionnelle par apprentissage. De plus, la stratégie nationale de l’EFTP en a fait cas.
Grâce à l’appui de l’UNESCO, nous avons : Elaboré le référentiel de compétences du métier d’électricien ; Elaboré le référentiel de compétences du métier d’agroalimentaire ;
Ceci pour expérimentation dans les centres de formation professionnelle des artisans d’Abomey.
Aujourd’hui, Monsieur le Directeur, certaines réformes sont toujours en cours et portent certainement leurs fruits. Parlez-nous-en.
Les artisans sont formés et savent lire, écrire, calculer, réfléchir et même argumenter dans leurs langues maternelles ; ils sont déclarés alphabétisés et exploitent les connaissances pour développer et diversifier leurs activités après deux années de formation. Les personnes alphabétisées tiennent facilement leur comptabilité, entretiennent mieux leur cadre de vie, respectent les règles d’hygiène et de sécurité sur leur lieu de travail et suivent mieux leurs enfants à l’école.
De plus, l’Organisation du monde islamique pour l’éducation, les sciences et la culture (ICESCO) a formé en 2020 des couturières et brodeuses au lycée technique Sino béninois d’Akassato. Au terme de cette activité, chacune d’elle a bénéficié d’une machine qu’elle utilise à bon escient aujourd’hui et les activités prospèrent.
L’Etat béninois à travers la stratégie du faire-faire en alphabétisation ouvre chaque année 168 centres d’alphabétisation ;
97% ou 100% de réussite aux examens en alphabétisation ; près de 20 métiers d’artisanat sont pris en compte ; etc.
Que comprendre par la terminologie alphabétisation fonctionnelle et quels en seraient les avantages pour le développement de l’EFTP
L’alphabétisation fonctionnelle est l’alphabétisation professionnalisante qui a pour objectif de permettre aux alphabétisés de se prendre en charge à partir des compétences acquises dans les centres d’alphabétisation. En d’autres termes, l’enseignement/ apprentissage répond aux besoins de l’apprenant selon son métier. Elle a pour but d’élever le niveau de participation des artisans et d’améliorer leur capacité technique On peut noter par exemple l’alphabétisation des tradi- thérapeutes dans le Zou et des pêcheurs dans le Mono et le Couffo.
Le PAGEDA, entendez Projet d’Appui à la Gestion Décentralisée de l’Alphabétisation est un projet initié dans le sous-secteur de l’alphabétisation au Bénin. Quelle est sa contribution dans la mise en œuvre de des réformes au niveau de l’EFTP.
Objectif Général du PAGEDA2: Contribuer au développement et à l’extension des offres éducatives d’alphabétisation de qualité en lien avec les activités professionnelles destinées aux populations non scolarisées et/ou déscolarisées précoces, notamment les femmes et les jeunes de la zone d’intervention et dans une perspective d’autonomisation, avec une approche décentralisée.
Depuis 2017, Le PAGEDA a ouvert des centres d’alphabétisation dans les départements du Borgou et de l’Alibori.
Ces actions ont été étendues dans les départements de l’Atacora et de la Donga à partir de 2022.
Groupes cibles
Hommes, femmes et jeunes, artisans et artisanes, membres des organisations socio-professionnelles.
De 2017 à 2021, dans les départements du Borgou et de l’Alibori, 30.848 (apprenants-es) membres de 720 organisations socio-professionnelles répartis dans seize (16) corps de métiers (couture, coiffure, mécanique, soudure, menuiserie, tissage, maçonnerie, tricotage, transformation de produits, apiculture, aviculture, pisciculture, maraîchage, élevage, production, etc.) ont bénéficié des cours d’alphabétisation.
De 2021 à 2024 dans les départements du Borgou, de l’Alibori, de l’Atacora et de la Donga, 35 282 artisans-es touchés par le programme.
Pour le compte de cette année 662 centres dont 308 du niveau 2 et 356 du niveau 1 ont été créés ; 18185 apprenants sont alphabétisés ;
Près de 20 métiers (coiffure, tresse, tissage, pêche, mécanique, transformation agro-alimentaire, agriculture, etc.) sont pris en compte ;
Les centres d’alphabétisation comptent plus de 50% de femmes inscrites ;
50% des effectifs des apprenants sont touchés par les formations spécifiques ;
Au moins 20 curricula en alphabétisation fonctionnelle sont élaborés ;
Promotion de l’environnement lettré pour permettre la consolidation des connaissances des apprenants et l’apprentissage continu à travers :
* 115 bibliothèques fixes logées dans les bureaux d’arrondissements ;
* 28 bibliothèques itinérantes ;
- 01 plateforme numérique « xanoo » de documents en Français et en langues nationales (Baatonum, Fulfulde, Yoruba, Boo, Dendi et Fongbe), etc.
Outre l’appui du PAGEDA financée par la coopération suisse, avez-vous d’autres partenaires ?
Bien sûr monsieur le journaliste, en dehors de la coopération suisse qui appuie le PAGEDA, nous avons l’UNESCO qui assure le lien Alpha-EFTP- Numérique à travers l’élaboration des référentielles de compétences. Je ne saurais occulter le Fonds d’aide à l’alphabétisation et à la promotion des langues nationales qui est le bras financier au niveau de l’Etat.
Quels sont les perspectives au regard des efforts actuels du gouvernement et de l’appui du PAGEDA et des autres partenaires ?
Comme perspectives, nous avons :
La conception des modules et supports alpha-formation professionnelle de formation des apprenants des centres d’alphabétisation ;
L’élaboration des supports des formations techniques et spécifiques prenant en compte l’arrimage alphabétisation/formation professionnelle ;
Traduction de supports spécifiques en lien avec les métiers assortis de lexiques en langues nationales ;
Finalisation du référentiel de rédaction de matériels didactiques pour l’alphabétisation en lien avec la formation professionnelle et le numérique ;
Poursuite de développement de référentiels de compétences du métier d’agroalimentaire (finalisation et validation) ;
Rédiger le document de stratégie nationale d’alphabétisation et d’éducation des adultes (finalisation) ;
Poursuivre la codification des langues nationales (finalisation) ;
Nous sommes au terme de cet entretien. Monsieur le Directeur, votre mot de la fin.
L’implication de tous les acteurs dans le processus de l’alphabétisation et la promotion des langues nationales. L’alphabétisation des fonctionnaires sur leur lieu de travail pour un meilleur rendement. La pratique des langues maternelles au sein des familles
Propos recueillis par Pamphile ZINSOU-PLY (Coll)