C’est avec raison que le monde a le regard orienté sur la crise géopolitique en Europe orientale. Mais c’est à tort, si en se focalisant sur la crise Ukrainienne, l’on occulte le retour vigoureux de l’inflation, notamment dans la zone UEMOA où la stabilité brimbale déjà.
L’histoire de l’humanité nous enseigne qu’une flambée des prix a, souvent, été précurseur de crises révolutionnaires pouvant ébranler tout gouvernement. Qu’une flambée des prix alimentaires survienne, et la misère individuelle – surtout celle des plus démunis dont le budget affecté à la consommation des biens de première nécessité ne connaît jamais que le régime de la stricte rigueur – a tôt fait de se transformer en mécontentement collectif et soulèvement populaire capables de renverser n’importe quel régime. Les autocrates. Et même les sultans ! Le roi Louis XVI lors de la Révolution française (1789) et le président Ben Ali en Tunisie (2011) l’ont appris à leurs dépens. Nier cela ferait se retourner dans sa tombe, le président Hosni Moubarak, qui lui aussi a fait l’expérience de la Révolution du Nil (Egypte, 2011).
Rappel historique… au printemps de l’an 1789, la mauvaise récolte de céréales de l’année précédente provoque une flambée des prix partout en France. En juillet 1789, désormais sur le marché de Pontoise, il faut 50 livres pour le setier de froment alors qu’il n’en fallait que 23 en juillet 1788. L’ouvrier parisien, payé 30 sous par jour, est incapable de nourrir sa famille lorsque le prix du pain passe de 8 à 20 sous. La chute du roi Louis XVI qui s’est ensuivie n’aura été que spectaculaire.
Mais, évidemment, dans les trois cas, il n’y avait pas que la flambée des prix. L’instabilité politique et d’autres carences ont aussi précipité les crises révolutionnaires. Sans tomber dans l’alarmisme, cela renforce, par ailleurs, l’importance de s’abstenir d’une politique de l’autruche face au phénomène inflationniste dans l’espace UEMOA. La région pâtit déjà d’une crise d’insécurité jumelée à une inflation de l’instabilité politique (coups d’Etat militaires et constitutionnels) dont la crise ukrainienne a réussi à détourner les attentions momentanément.
Revenons aux faits
A l’instar des autres régions du monde la zone UEMOA n’est pas épargnée de la flambée des prix. Les prix à la consommation y ont progressé nettement de 6,5% en janvier 2022 relativement au niveau observé à la même période l’année précédente. Au Mali cette progression s’établit à 8,7% – 7,9% au Bénin – 7,5% au Togo – 7,2% au Burkina Faso – 6,5% en Guinée-Bissau – 5,6% en Côte d’Ivoire – 5,5% au Sénégal – et 5,4% au Niger. Ailleurs, à la même période, les prix ont augmenté de 7% (en glissement annuel) aux Etats-Unis, soit le plus haut niveau depuis près de 40 ans et de 5,1% dans la zone euro.
Ce renchérissement des prix mondiaux, d’une part, est imputable à la persistance des effets de la pandémie de COVID-19. D’autres facteurs ont aussi induit une accélération des prix des denrées alimentaires. Notamment, les mauvaises récoltes en Amérique du Sud et en Malaisie ont entraîné une réduction des stocks qui s’est ensuivie d’une envolée des prix de céréales, d’oléagineux, des huiles végétales (huiles de palme et de soja pour la production de biodiesel). Les prix des principaux intrants à forte intensité énergétique (carburant, engrais et pesticides) ont également atteint des niveaux quasi record.
Certes, la hausse des prix est mondiale et les niveaux observés surpassent les anticipations. Qui est plus, la crise ukrainienne, sans doute, pourrait exacerber le phénomène inflationniste. C’est donc sur le diagnostic de la nature des dynamiques sous-jacentes qu’il faut davantage pondérer afin d’apporter une réponse adéquate avec le bon timing. C’est une urgence, en particulier, dans les pays de l’UEMOA importateurs nets de denrées alimentaires, et où les perturbations de la pandémie ont déjà renforcé les déséquilibres sociaux préexistants (accroissement des inégalités sociales, accentuation de la malnutrition…). L’enjeu porte donc sur la sécurité alimentaire des populations déjà durement affaiblies.
Globalement, nous distinguons deux origines de l’inflation. L’une domestique, résulte des déséquilibres sur les marchés du travail et des biens et services au sein du pays. La seconde est exogène dépendant des facteurs mondiaux (les prix alimentaires et énergétiques) ou grossièrement de l’inflation importée (par les coûts, la dépréciation des taux de change, ou la dévaluation fiscale).
Les prix régionaux (UEMOA) de janvier 2022 sont principalement propulsés par l’évolution du niveau des prix alimentaires (11,9%), et énergétiques (4,5%) – électricité, gaz et autres combustibles. On peut aisément avancer que la source inflationniste dans la région UEMOA est exogène (facteurs mondiaux). En Europe, la source inflationniste est essentiellement énergétique. Aux États-Unis où la relance budgétaire vigoureuse a conduit à une surchauffe de l’économie (surconsommation des biens et services…), la source inflationniste est plutôt domestique. Ce diagnostic est utile pour poser le cadre d’une politique économique adaptée au contexte afin de limiter efficacement la progression rapide des prix. Car faut-il encore le rappeler l’inflation est une taxe sur la consommation et les pauvres sont les plus vulnérables.
Que font les gouvernements africains ?
Quelques pays de la région ont pris des mesures qu’on peut classer en trois grandes catégories : le contrôle des prix à la consommation des denrées de première nécessité (ex : Sénégal), le contrôle ou limitation des exportations des producteurs nationaux vers les autres pays de la sous-région (ex : Bénin), et les deux simultanément (ex : Côte d’ivoire). Ces réponses ont l’avantage d’avoir un impact immédiat. Cependant, elles présentent quelques limites qui jettent des doutes sur leur viabilité et ainsi que leur durabilité.
Les prix alimentaires sont exogènes, donc dépendent des facteurs mondiaux. Lorsqu’un pays fixe une borne supérieure sur son territoire en subventionnant directement les prix à la consommation, implicitement, il accorde une ligne de crédit à la population pour qu’elle puisse continuer à consommer les biens venus d’ailleurs. Mais l’Etat ne dispose de ressources que celles du contribuable. Cela signifie qu’il faudra, pour les populations, rembourser avec des impôts futurs. En France où des mesures presque similaires sont en vigueur (blocage du prix de l’électricité…), le président Emmanuel Macron a explicitement annoncé la couleur de son prochain quinquennat, en cas de victoire : il va falloir travailler plus! Pourtant, le marché de l’emploi, en France, est plutôt dynamique depuis la reprise de l’activité économique. Alors, quid des pays africains où le marché de l’emploi est beaucoup moins dynamique avec un chômage plutôt endémique ? Comment les populations pourront-elles rembourser plus tard ?
En sus, cette mesure pose un problème de durabilité. En effet, la politique du contrôle des prix alimentaires (prix à la consommation) suppose, par ailleurs, qu’on anticipe une inflation transitoire. Dans le cas contraire, il serait difficile pour les pays de la maintenir durablement à mesure que les prix poursuivent leur évolution sur les marchés internationaux. Car, c’est connu, les pays, de surcroît africains ne disposent pas de budget élastique. Or, les événements récents sur la scène internationale ne prédisposent pas forcément à une inflation temporaire.
Par ailleurs, l’histoire nous enseigne encore que les polices politiques sont souvent impuissantes face à la valse des étiquettes. En 301, l’empereur romain Dioclétien sous le joug d’une inflation galopante, a émis l’édit du Maximum qui visait le ralentissement de l’inflation via un contrôle des prix. Le résultat final s’est avéré contre-productif. La fixation des prix maxima a entraîné une fuite des producteurs, les marchands ont cessé de fournir les marchandises, et ont développé des marchés parallèles. L’empire romain ne retrouvera la stabilité des prix qu’avec Constantin Ier (310), successeur de Dioclétien et avec l’instauration d’une nouvelle monnaie Solidus.
La limitation des exportations a porté des fruits un tant soit peu au Bénin. Toutefois, cette mesure isole les producteurs nationaux, pourrait exacerber l’insécurité alimentaire et saperait l’intégration économique de la zone si tous les pays s’y adonnent.
En revanche, elle est assez révélatrice. Le résultat observé au Bénin prouve que l’équilibre des forces entre l’offre et la demande affecte bien la dynamique des prix, donc l’inflation. Une augmentation indirecte (limitation des exportations) de l’offre à l’échelle nationale a entraîné un ajustement à la baisse des prix.
La nécessité d’une politique de l’offre à l’échelle nationale
En termes de recommandation, cela implique qu’il faut, plus que jamais, pondérer sur la stimulation de la production domestique (parfois des biens alternatifs) afin d’augmenter l’offre sur le marché. Ce qui conduirait à un réajustement à la baisse des prix. On parle de politique de l’offre. La politique fiscale et budgétaire peut être mobilisée à cette fin. Il s’agira, par exemple, de supprimer temporairement les taxes sur les principaux intrants agricoles (engrais et pesticides) destinés à la production, subventionner la consommation énergétique destinée à la production domestique…
Si cette solution semble plus adaptée en termes de viabilité et de durabilité, ses résultats ne sont pour autant pas perceptibles immédiatement. Et il va falloir s’y mettre assez tôt. Surtout, étant quasiment à la veille de la saison sèche dans la plupart des pays de la zone UEMOA, cela implique qu’il faut également prendre en considération les aléas climatiques et très rapidement investir sur l’axe de l’irrigation des domaines agricoles.
La spécificité du Bénin
Au Bénin, il existe déjà une politique de subvention des intrants agricoles. Seulement qu’elle couvre essentiellement les principales cultures d’exportation (coton, anacarde…). Il s’agit donc d’élargir le programme aux cultures vivrières.
Au plan régional, l’importance de prioriser la sécurité à l’autosuffisance alimentaire
Certains pays sont tentés, à tort, de limiter leurs exportations. En réalité, c’est une façon détournée de recherche individuelle d’autosuffisance alimentaire. C’est un processus autocentré. Or, ce n’est pas le moment car les pays, individuellement, ne sont pas assez outillés pour cela. Il faut plutôt une coordination des politiques régionales pour garantir la sécurité alimentaire basée sur les spécifications internationales (régionales) et les avantages comparatifs dans la production et ensuite libéraliser les échanges entre pays. D’ailleurs, sommes-nous dans une zone de libre-échange.
Beringer GloGlo, Economiste, Fondateur CJEA