La vulnérabilité de l’Afrique de l’Ouest face au trafic de drogue s’est accentuée ces dernières années. Située à la croisée de plusieurs routes très utilisées par les narcotrafiquants, la région enregistre régulièrement des saisies ou des événements liés au trafic de drogue.
Félicienne HOUESSOU
L’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC) révèle qu’ « entre 2019 et 2022 au moins 57 tonnes de cocaïne ont été saisies en Afrique de l’Ouest ou en route vers cette région, principalement au Cap-Vert (16,6 tonnes), au Sénégal (4,7 tonnes), au Bénin (3,9 tonnes), en Côte d’Ivoire (3,5 tonnes), en Gambie (3 tonnes) et en Guinée Bissau (2,7 tonnes) ». Ces données constituent le panorama du trafic de cocaïne en Afrique de l’Ouest. Les trafiquants de drogue utilisent souvent la région comme point de transit pour la cocaïne en route de l’Amérique du Sud vers l’Europe. Les trafiquants sud-américains de cocaïne redirigent leur production vers le marché européen, en utilisant l’Afrique comme une étape intermédiaire. Ceci pour pallier la saturation du marché américain, l’indépendance accrue des cartels mexicains et la fermeture de la route des Caraïbes. Estimant qu’environ 50 tonnes de cocaïne destinées au marché européen transitent chaque année par le golfe de Guinée, l’ONUDC a plusieurs fois alerté le monde sur cette « attaque » sur l’Afrique. Contrairement à la cocaïne et l’héroïne qui sont des drogues de transit qui ne sont pas produites sur le continent africain, le tramadol prend ses racines en Afrique. Le haschich ou cannabis est largement cultivé en Afrique et transporté vers l’Europe, notamment par des réseaux nigérians. En 2018, les saisies de cannabis ont augmenté de moitié et l’Afrique se place au second rang mondial derrière l’Amérique du Sud. Les estimations de la même année révèlent que le Maroc cultive près de 50.000 hectares de cannabis pour une production estimée à plus de 24.000 tonnes. Le tramadol développé par une entreprise allemande dans les années 1970 a vu son usage non médical se diffuser dans toute l’Afrique de l’Ouest. Le Nigeria, le Bénin, la Côte d’Ivoire et le Niger, rien que des pays de l’Uemoa sont les plus concernés par le trafic et la consommation de ce médicament moins cher que l’héroïne.
Des quantités record de cocaïne saisies
La marine et la police militaire guinéennes ont annoncé le jeudi 4 août dernier une saisie d’environ trois tonnes de cocaïne qu’elles ont trouvées cachées sur un navire ancré dans les eaux guinéennes. « Deux cargaisons (de drogue) ont été saisies », a déclaré à la presse le capitaine de vaisseau Mamadou Yaya Diallo. En janvier 2021, trois tonnes de cocaïne ont été ainsi saisies à Banjul, la capitale gambienne, tandis qu’au mois de mars, la marine française a saisi six tonnes de cette même drogue au large de la Côte d’Ivoire. Le Sénégal a également saisi environ deux tonnes la même année. Dans son dernier rapport mondial sur les drogues, l’ONUDC estime que « si 90% de la cocaïne saisie dans le monde suit les routes maritimes, d’importantes saisies enregistrées au Niger (214 kg), au Burkina Faso (115 kg) et au Mali (33,9 kg) depuis 2021, démontrent que la route sahélienne reste une zone de transit relativement importante ». L’année 2019 marque le retour de l’Afrique dans le grand jeu des trafiquants avec un record de saisies de cocaïne au sein du continent. Pour la seule année 2019, une vingtaine de tonnes ont été saisies sur le continent, dont 80% en Afrique de l’Ouest. Des quantités record de cocaïne ont été saisies en Afrique de l’Ouest en 2019, dont 9,5 tonnes provenant d’un navire qui a accosté au Cap-Vert. Selon les estimations de l’institution onusienne, les récentes saisies de cocaïne en Afrique de l’Ouest, notamment au Cap-Vert, en Guinée Bissau, en Gambie et au Sénégal, atteignent 42 tonnes entre 2019 et 2021. « L’Afrique se consolide comme la première route en ce qui concerne le trafic de cocaïne vers l’Europe », affirme Amado Philip de Andrés, directeur régional pour l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale de l’ONUDC.
Les jeunes de moins de 35 ans sous le coup
A l’occasion du lancement de son rapport mondial sur les drogues, l’ONUDC souligne qu’en Afrique de l’Ouest, « 9,7% de la population âgée de 15 à 64 ans a consommé du cannabis en 2020 et 2,4% des opioïdes pharmaceutiques à des fins non-médicales ». C’est plus que « les estimations au niveau mondial qui s’élèvent respectivement à 3,8% et 1,2% », selon l’ONUDC. En effet, l’organisme note que la consommation de drogue en Afrique touche principalement les jeunes hommes de moins de 35 ans et que 93% des personnes traitées pour des troubles liés à la consommation de drogues en Afrique sont des hommes dont l’âge moyen est d’environ 30 ans. Au Bénin, la toxicomanie touche essentiellement les jeunes et les jeunes adultes de 15 à 30 ans. Ces derniers représentent 86% des toxicomanes hospitalisés dans le service de santé mentale de l’hôpital psychiatrique de Cotonou. Environ 70% utilisent de la marihuana et des médicaments. Dans une interview accordée à Rfi, Amado Philip de Andrés, directeur régional de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime pour l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale, estime, par exemple, qu’il y a près de 10 000 toxicomanes au Sénégal.
Selon Amado Philip de Andrés, le continent compte trois routes principales de transit pour les trafiquants. « La route de Nouakchott qui vient du Maghreb ; la route de l’héroïne en provenance de l’océan Indien qui a transité par des pays de l’océan Indien… qui s’est modifiée. Elle transite par l’Afrique de l’Est, va ensuite vers l’Afrique du Sud et repart vers l’Europe par la mer, en contournant le continent en bateau via l’Afrique de l’Ouest », souligne-t-il en indiquant que 10%-17% du produit reste dans les différents pays pour des consommateurs locaux. Ce qui facilite la consommation au niveau local.
Un trafic qui finance des conflits au Sahel et au Sahara
Le narcotrafic et l’insécurité alimentent depuis peu, une spirale délétère. En effet, un rapport de l’ONUDC indique que le commerce illégal de la drogue contribue au financement des groupes armés, alors que la déstabilisation des États de droit par les « croisades » jihadistes suscite la tentation du deal. Le rapport de l’ONUDC précise d’ailleurs que plusieurs individus soupçonnés d’être impliqués dans le deal de cocaïne, dans les pays côtiers, détenaient des passeports de pays sahéliens. Une partie de la marchandise illicite pénètre le Niger, le Burkina Faso et le Mali, au profit des organisations terroristes qui sèment depuis quelques années la désolation. Cette implication dans le trafic de drogue a été une pièce maîtresse du déploiement d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) dans certaines régions du Sahel qui rimaient avec désœuvrement et corruption.
Selon Amado Philip de Andrés, directeur régional de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime pour l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale, les terroristes se sont mis à fonctionner comme un groupe criminel transnational organisé et ils essaient de passer inaperçus en se mêlant aux communautés locales. Aujourd’hui, la frontière entre terrorisme et narcotrafiquant est plus fluide et s’adapte constamment. C’est un système informel où des membres de la population vont se mettre en rapport avec d’autres personnes pour établir un contact, pour obtenir un droit de passage. L’ONUDC souligne en outre que « les atteintes à l’État de droit générées par les conflits et les tensions politiques offrent un environnement propice à la production et au trafic de drogues, générant des revenus aux groupes armés qui, à leur tour, alimentent les conflits ». « Les groupes armés sahéliens trafiquent par exemple de la résine de cannabis, principalement produite en Afrique du Nord pour les marchés de consommation d’Europe et du Moyen-Orient. Ce trafic donne parfois lieu à des affrontements meurtriers entre les groupes armés de la région », précise l’institution onusienne.