Le chef de l’Etat béninois, Patrice Talon, a pris part ce lundi 02 décembre 2019 à Dakar, à la conférence sur le « Développement durable et la dette soutenable » en Afrique. Occasion pour le numéro un béninois d’attirer l’attention des institutions multilatérales sur leur perception du risque qui ne favorise pas les pays africains. Il faudra changer la donne.
Joël YANCLO
« … En ce qui concerne la mauvaise perception du risque, nous sommes malheureusement tributaires dans les emprunts que nous faisons sur les marchés, de la perception même des institutions de référence », a déclaré le président Patrice Talon à la conférence sur le « Développement durable et la dette soutenable » en Afrique tenue à Dakar, lundi 02 décembre 2019. Ceci en marge d’une session extraordinaire de la conférence des chefs d’Etat et de gouvernement de l’UEMOA. Aux côtés de ses pairs de la sous-région, le prmier des Béninois s’est illustré par la teneur de son propos qui a provoqué de fréquents applaudissements nourris de la salle remplie d’experts de la question. Cette conférence s’est tenue dans la perspective d’encourager à une bonne perception du risque en Afrique. Patrice Talon s’est adressé un peu à la Directrice du Fonds monétaire international (Fmi) pour lui dire que « nous faisons de l’exhortation pour une bonne perception du risque en Afrique. Mais les institutions multilatérales ne nous aident pas dans ce domaine. Elles font seulement des discours ». Pour étatyer son propos, le président Talon indexe l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). « Je vais donner le malheureux exemple de l’OCDE qui, sur une échelle de 0 à 7 dans l’appréciation de risque, classe la plupart des pays de la sous-région ouest-africaine en degré 6. Il n’y a récemment en octobre que le Sénégal qui a été mieux classé en passant à 5. Le Sénégal est un pays qui connaît une stabilité politique depuis les indépendances. Il honore ses engagements et je ne vois pas pourquoi s’il faut reclasser les gens, le Sénégal serait à 5. Le Bénin, le Togo et la Côte d’Ivoire sont à 6 sur l’échelle du risque par l’OCDE. Cela engendre automatiquement une fluctuation de la prime de risque de 12 points », a argumenté Patrice Talon qui a convaincu les spécialistes de la question de la dette en Afrique. Le Bénin est allé sur le marché financier il n’y a pas longtemps notamment l’Eurobond. Pour Patrice Talon, le pays a fait quelque chose d’extraordinaire en sortant à 5%. « Mais de façon théorique aujourd’hui, nous devons être capables d’emprunter à 1%. Si ce n’était pas cette caricature que le marché a et qui est renforcée par des institutions aussi importantes, la France va sur le marché aux environs de 1%. Nous pourrions être aussi à 2, 3, 4, 5, 6 voire 7%. Aujourd’hui, le taux de l’argent sur le marché bancaire est négatif. L’argent est disponible en excès. Nous sommes théoriquement en mesure de mobiliser cet argent à sa valeur réelle s’il n’y avait pas une mauvaise perception du risque ».
La question de la durée de l’emprunt
La perception du risque engendre un autre fait. « C’est qu’on ne peut pas emprunter à long terme. Le maximum qu’on peut obtenir est sur 10, 12 ans avec 3 ans de différé de construction. Dans le meilleur des cas, nous sortons à 15 ans. Comment peut-on financer dans ces conditions une industrie hydroélectrique avec un emprunt à 15 ans maximum. On ne peut pas financer les infrastructures de transport, de distribution d’énergie avec un crédit à 6 voire 7% à 15 ans. Le kilowattheure qui sera produit sera incompatible avec la compétitivité qu’exigent les industries. Quand on veut développer l’industrie en Côte d’Ivoire, au Bénin, au Burkina Faso, au Niger, il faut un taux d’électricité qui est trois fois celui du KWh en Asie », renseigne Patrice Talon pour qui, une bonne partie sinon l’essentiel de ce travers est lié à cette mauvaise perception, « ce qui fait qu’on ne peut pas avoir du crédit long, les taux sont élevés et les investisseurs privés demandent un rendement de 40% en Afrique alors que dans le monde aujourd’hui, les rendements de l’argent en investissement sont de 8 à 10% au plus. Ce sont autant d’éléments qui font que nous avons du mal à nous endetter alors que l’argent existe et la dette est devenue le seul moyen de financer le développement parce que l’aide au développement n’existe plus ».
Critères de convergence
L’autre aspect abordé par le chef de l’Etat béninois dans son développement concerne les critères de convergence. « Aujourd’hui, au sein de l’UEMOA, nous avons retenu qu’il ne faut pas que le déficit public dépasse 3% du PIB. Il ne faut pas que la dette cumulée dépasse 70% du PIB. Mais en réalité, ces critères ne peuvent pas nous permettre de nous développer. J’ai noté avec étonnement les propos du président Macron sur la question qui dit que 3% de déficit est dépassé. Si la France estime que limiter ce grand pays à 3% de déficit par rapport au PIB est quelque chose qui ne facilite pas le maintien du développement de la France, comment un tel taux de déficit peut nous permettre de nous développer ? » a indiqué le président Talon tout en priant le président Ouattara, président en exercice de l’UEMOA, pour que les réflexions s’engagent au sein de l’institution afin de réviser cette question et avoir la bénédiction du FMI et de la Banque mondiale, « car nous pouvons avoir un déficit public supérieur à 3% et avoir de la dette soutenable ».
« J’ai constaté malheureusement ces dernières années que le FMI refuse d’apprécier la qualité de l’investissement que la dette veut financer et estime que c’est l’affaire de la Banque mondiale. La Banque mondiale, quant à elle, déclare que son rôle n’est pas d’apprécier la soutenabilité de la dette. Du coup, nous sommes dans l’impasse. Ce sont des choses qui exigent de nous tous notamment des institutions, qu’il y ait une refonte de la réflexion et du modèle d’analyse non seulement de la viabilité de la dette et de sa soutenabilité mais également des critères de convergence. Je voudrais exhorter les institutions comme le FMI, la Banque mondiale et l’OCDE à évoluer dans l’analyse de ces critères qui vont nous permettre d’aller sur le marché privé pour nous développer », a conclu Patrice Talon dont l’intervention relance le débat sur la question du « Développement durable et dette soutenable, trouver le juste équilibre ».