Si les « terres noires » de l’Ukraine sont considérées comme les terres les plus fertiles au monde, bon nombre d’experts pensent que l’Afrique, qui compte 60% des terres arables non exploitées du monde, a les moyens de nourrir les trois quarts de la planète. Mais en réalité, c’est la désolation qui règne car l’agriculture est en berne.
Issa SIKITI DA SILVA
Le rapport de Land Matrix publié en 2016 avait tout dit : les pays africains aux terres agricoles les plus attractives pour les investisseurs étrangers sont l’Ethiopie, le Ghana, le Soudan du sud, le Maroc et la RD Congo. Par ailleurs, un autre rapport publié huit ans passés par l’Association des chercheurs sur le Moyen-Orient et l’Afrique (ORDAF) souligne que sur les 60 millions d’hectares de terres vendues ou louées dans le monde, 80% sont des terres africaines.
Il se pourrait que cette ruée vers les terres africaines par les « étrangers » (Européens, Américains et Chinois) signifie que les propriétaires de ces terres – les africains – ne comprennent pas qu’ils sont assis sur des mines d’or, plus valeureuses que le vrai or, la pierre précieuse.
Ceci pourrait être la raison pour laquelle l’agriculture piétine chaque année et contribue très peu aux richesses totales du continent, et n’arrive pas à nourrir suffisamment sa population.
« L’agriculture en Afrique a une empreinte sociale et économique massive. Plus de 60% de la population de l’Afrique subsaharienne sont de petits exploitants agricoles, et environ 23% du PIB de l’Afrique subsaharienne provient de l’agriculture. Pourtant, le plein potentiel agricole de l’Afrique reste inexploité », a indiqué une analyse de McKinsey publiée en 2019.
A en croire ce cabinet international de conseil en stratégie dont le siège est situé à New York, l’Afrique pourrait produire deux à trois fois plus de céréales, ce qui ajouterait 20% de céréales supplémentaires à la production mondiale actuelle de 2,6 milliards de tonnes. Des augmentations similaires pourraient être observées dans la production de cultures horticoles et de bétail.
Cependant, sans la volonté politique, toutes ces prévisions de McKinsey, et le rêve de certains observateurs de voir l’agriculture contribuer au moins 50% au PIB du continent, et la recommandation de la FAO d’augmenter la production agricole de 70% d’ici 2050, ne resteront qu’un vœu pieux.
Et en attendant que cela se réalise, les étrangers continuent de s’accaparer des terres fertiles du continent avec une vitesse de croisière, avec la complicité des dirigeants politiques et administratifs qui, après les avoir concédées, vont toquer aux portes de la Chine, l’Occident et les institutions de Bretton Woods pour quémander.
Déclaration de Maputo et contraintes
Et pourtant, ces dirigeants font partie des pays signataires de la Déclaration de Maputo de 2003 (Mozambique), dont les leaders à l’époque avaient juré de dédier au moins 10% de leur budget national à l’agriculture. Cependant, 19 ans après, la désolation est grande parmi les populations (frappées par l’insécurité alimentaire) et les agriculteurs (découragés par le manque de soutien de leurs gouvernements).
Entretemps, 273 millions de personnes en Afrique – plus d’un-sixième de la population totale – ont été durement affectés par la faim, selon les chiffres de 2021.
En Afrique de l’Ouest, selon un expert de l’Alliance Globale pour l’Initiative Résilience (AGIR), cité par Hub Rural, le secteur agricole fait face à de nombreuses contraintes qui plombent son envol. En effet, a expliqué Issa Martin Bikienga, les agriculteurs de cette partie de l’Afrique sont mal connectés au marché, exposés aux aléas climatiques et font face aux problèmes d’accès aux services sociaux de base, services agricoles et financiers.
« En Afrique de l’Ouest, les politiques agricoles et alimentaires ont été élaborés que ce soit au niveau de la CEDEAO, de l’UEMOA ou au niveau du CILSS. Mais dans la mise en œuvre, il y a des écarts dus à l’insuffisance de financement, d’absence de volonté politique et d’autres raisons », a affirmé cet ancien ministre de l’agriculture du Burkina Faso.
Créé le 12 septembre 1973 à la suite des grandes sécheresses qui ont frappé le Sahel dans les années 70, le CILSS est le Comité Permanent Inter-états de Lutte contre la Sécheresse dans le Sahel. Il regroupe de nos jours 13 États membres à savoir le Bénin, la Côte d’ivoire, la Gambie, la Guinée, la Guinée-Bissau, la Mauritanie, le Sénégal, le Togo, le Burkina Faso, le Mali, le Niger, le Tchad et le Cap Vert.
Selon John Holmes, ancien ambassadeur de Grande-Bretagne à Paris et à Lisbonne, les investissements publics et privés en agriculture (surtout dans la production d’aliments de base) ont diminué et conduit à la stagnation ou à la baisse de la croissance des résultats des récoltes dans la plupart des pays en développement.
L’urbanisation rapide, poursuit-il, a conduit à la conversion des terres agricoles en terres non agricoles. En outre, la faiblesse des prix a conduit les agriculteurs à se tourner vers d’autres cultures alimentaires ou non alimentaires.
Si les dirigeants politiques et administratifs africains se plaignent de la montée de l’exode rural, c’est parce qu’ils ont peur de revisiter leurs politiques agricoles inadéquates et mal appliquées.