Le magasine ‘’Jeune Afrique’’ n°3085 du 23 au 29 février 2020 a consacré un dossier au Bénin. Dans ce dernier, une interview avec le ministre de l’Economie et des finances, Romuald Wadagni, a été publiée. La rédaction de l’économiste du Bénin a décidé de publier intégralement l’interview telle que publiée par Jeune Afrique. Lire ci-dessous, l’intégralité de ladite interview.
Jeune Afrique : Le budget 2020, adopté à la fin de décembre, est en hausse de 5,8% par rapport à 2019, à près de 1987 milliards de F CFA (environ 3,03 milliards d’euros). Cette hausse est-elle « soutenable » ?
Romuald WADAGNI : Notre taux de croissance est supérieur à 6% depuis trois ans, et nous sommes engagés dans une réforme structurelle, notamment à travers un plan d’investissements ambitieux qui soutient cette croissance. Nous faisons par ailleurs des efforts constants pour mobiliser plus de ressources propres, pour compter sur nous-mêmes. Nous sommes passés de 745,7 milliards de F CFA à 1098,2 milliards de 2016 à 2019, soit une hausse de près de 50%. Et cela alors qu’aucun impôt nouveau n’a été créé- nous en avons même supprimé une dizaine – et que les taux d’imposition n’ont pas augmenté.
Comment êtes-vous parvenus à augmenter cette part des ressources propres ?
Par la modernisation de nos régies, d’abord. Nous avons dématérialisé les procédures, nous allons vers la digitalisation des paiements, etc. Dans les faits, le Bénin est le seul pays de la région où les entreprises soumettent en ligne leurs états financiers. Nous avons ainsi les données qui permettent de faire des analyses de risques, de mieux cibler les contrôles. Avec peu de moyens, nous avons beaucoup plus d’efficacité dans le recouvrement. Et puis, en dématérialisant les procédures, on évite aussi les contacts entre l’usager et l’administration fiscale. Cela évite les possibilités et les tentations de pratiques problématiques…
Qu’en est-il des grands équilibres budgétaires ?
Le déficit est maîtrisé, l’inflation également, la qualité de la dette est bonne. En particulier parce que nous nous sommes dotés de mécanismes de financement innovants qui nous permettent de profiter des possibilités de levées de fonds à des coûts intéressants sur les marchés internationaux et d’utiliser des mécanismes d’atténuation du risque pour gérer notre dette de manière dynamique, moderne et efficace
Le respect du critère de convergence de l’Uemoa visant à maintenir le déficit public au-dessous de la barre des 3% du PIB n’est-il pas un frein pour une économie en phase de décollage ?
En 2016, nous avions fait un plan sur cinq ans qui montrait que nous rentrerions dans les critères de convergence à partir de 2019. Nous l’avons rempli.
Si l’on doit reposer la question de la pertinence de ces critères, on doit le faire ensemble, en tenant compte des enjeux nouveaux pour la sous-région : la sécurité, les changements climatiques, etc. En attendant, tant que ces critères sont là, nous tenons à les respecter parce qu’il y va de la crédibilité de notre pays et de la sous-région.
Les efforts déployés pour attirer des investisseurs ont-ils payé ?
C’est un pari que nous gagnons chaque jour ! Il suffit de voir nos performances économiques actuelles. Par le passé, avec une crise telle que celle que nous connaissons avec le Nigéria, nous n’aurions pas été capables de tenir. Cela montre la résilience de notre économie et que nos efforts de diversification sont payants.
Le britannique Blue Skies s’est récemment installé au Bénin. Le singapourien Olam vient également de signer un accord pour s’y implanter. Une société chinoise veut y délocaliser la fabrication de mèches et de perruques pour les femmes… De nombreux projets se mettent en place chaque jour, parce que nous avons fait les réformes qu’il faut.
Quelles mesures ont été les plus efficaces pour améliorer cette attractivité ?
C’est un tout. Nous avons réglé la question de l’énergie, nous avons simplifié la fiscalité, revu le code des marchés publics, réalisé une importante réforme du code du travail. Et, désormais, nous nous sommes lancés dans une vraie réforme de l’enseignement, qui vise, à terme, à ce que 70% des Béninois soient formés dans des filières professionnelles techniques. L’objectif est d’avoir une main-d’œuvre qualifiée, à bon prix. Avec tout cela, nous allons attirer de la délocalisation.
CDD renouvelables presque indéfiniment, plafonnement des indemnités de licenciement, limitation de la durée du droit de grève… Ne craignez-vous pas d’être allés trop loin en matière de flexibilité du droit du travail?
Notre droit du travail devait être modifié. Certaines entreprises préféraient faire venir des salariés sous contrat de droit étranger parce qu’elles ne voulaient pas avoir affaire à nos tribunaux prud’homaux… Ce que l’on oublie de dire, c’est que nous avons prévu des cadres de dialogue social et que cela marche : on se parle, on traite les sujets… La pratique a montré que, quand vous mettez en place les mécanismes de dialogue et qu’il n’y a pas d’abus, la flexibilité crée de l’emploi. Quand vous êtes formé, que vous avez une compétence, vous savez que vous avez une valeur sur la place.
Qu’en est-il de ceux qui n’ont pas les compétences requises par les entreprises ?
Année après année, la part du budget que nous accordons aux dépenses sociales prioritaires augmente. En 2020, la dotation budgétaire atteint près de 464 milliards de F CFA. Nous avons mis en place un ensemble de services sociaux. C’est notamment le système Arch [Assurance pour le renforcement du capital humain, dont la phase pilote a été lancée en juillet 2019], pour permettre aux personnes pauvres ou extrêmement pauvres d’avoir accès à la formation, à l’assurance maladie, à la microfinance, etc. L’objectif, c’est de ne laisser personne sur le bord de la route.
Nous sommes engagés dans une transformation profonde de notre économie telle que, à terme, l’Etat restera dans son rôle de régulateur. Il doit veiller à assurer une égalité des chances (égalité des chances, pas nécessairement de traitement), mais il doit laisser le secteur privé jouer son rôle de créateur de richesse.
La fermeture des frontières terrestres avec le Nigéria change-t-elle les perspectives ?
La part des recettes imputable à la fermeture des frontières est estimé à 48,6 milliards de F CFA, soit un peu plus de 10% des recettes brutes de la douane et moins de 5% des recettes totales de 2019. C’est un impact relativement limité. Cependant, il faut que le Bénin ait une économie mieux préparée pour profiter de la chance d’avoir ce voisin et ne pas être un simple point de passage. C’est le sens de nos réformes. On peut devenir une terre d’attache, même pour des entreprises du Nigéria, qui doivent pouvoir produire, au Bénin, pour le marché nigérian.
Plus important encore, cette fermeture concerne tous nos voisins. Au sien de la Cedeao, nous avons les accords de libre-échange. Nous travaillons actuellement sur un accord – que je qualifierai de politique – sur une monnaie unique. Cette fermeture doit nous pousser, désormais, à construire une politique agricole et industrielle commune. J’en suis profondément convaincu. Quels sont les atouts de chacun ? Quelles filières développer et où ?… Il faut le faire de façon intégrée, collectivement, pour produire à la bonne échelle et pour augmenter les échanges de produits à valeur ajoutée entre nos Etats. Lorsque l’on y sera parvenu, on réduira la pauvreté, on donnera du travail aux jeunes et on pourra même se renforcer monétairement, puisque l’on préservera nos devises par la maîtrise de nos importations.
Propos recueillis à Cotonou par MATHIEU MILLECAMPS
Source : Jeune Afrique n°3085 du 23 au 29 février 2020 Page 95