La sécurité économique est la matérialisation d’une politique visant à protéger et à promouvoir les intérêts stratégiques d’une entreprise ou d’une nation. Aujourd’hui, à l’ère du numérique, l’intérêt pour ce secteur s’en va grandissant car les entreprises et nations ne reculent devant pas grand-chose pour se faire des gains ou défendre leurs investissements. Qu’en est-il au Bénin ? Quels sont les tenants et aboutissants de la sécurité économique au Bénin ? Ce sont autant de questions auxquelles a répondu notre invité. Président directeur général (PDG) de l’Agence privée d’investigations et d’analyses stratégiques (Apias), promoteur de l’Ecole internationale de détective et de stratégie (EIDS), notre interlocuteur est l’ex chef de la Brigade économique et financière (Bef) et contrôleur général de Police à la retraite, Clovis Adanzounon. Lire ci-dessous, l’intégralité de ses propos.
L’économiste du Bénin : Que renferme le concept de sécurité économique ?
Clovis Adanzounon : La sécurité économique est une notion très large, diversement abordée. Mais celle dont nous parlons, est l’une des étapes ou volets essentiels du renseignement économique. Il s’agit d’une démarche globale qui vise la sécurisation du patrimoine informationnel (des entreprises et des pouvoirs publics), la préservation de l’activité économique en général, et de celle des entreprises en particulier, la défense du périmètre stratégique de souveraineté, c’est-à-dire des activités et entreprises sensibles ou vitales.
En d’autres termes, c’est la matérialisation d’une politique d’Etat ou globale visant à protéger et à promouvoir les intérêts stratégiques d’une nation, d’une entreprise à savoir : les découvertes, les brevets, les savoir-faire.
Quels impacts la sécurité économique a-t-elle sur les activités économiques des entreprises et par ricochet sur l’économie béninoise ?
Clovis Adanzounon : La mise en place d’une démarche ou politique de sécurité économique permet à une entreprise et/ou à un Etat d’identifier les menaces et risques potentiels susceptibles d’influencer sa performance et de veiller à les réduire.
En tant que politique, la sécurité économique n’est pas figée. Elle est dynamique et s’adapte à l’orientation politique globale de développement de l’entreprise ou du pays.
Le déploiement de la sécurité économique aussi bien pour l’Etat que l’entreprise permet d’avoir un avantage concurrentiel par rapport aux concurrents. Par exemple, si nous regardons un peu l’actualité, les Etats-Unis ayant constatés que l’opérateur télécom Huawei étant en avance sur les entreprises américaines sur le déploiement de la 5G, usent tous les subterfuges pour ralentir le développement de ce dernier en évoquant tantôt la sécurité nationale tantôt l’espionnage.
Malheureusement, nos pays africains n’ont pas cette puissance des Etats-Unis et s’occupent très peu du sort de leurs entreprises. Le Bénin n’a jamais fermé ses frontières à quelque pays sous prétexte de menaces économiques ; mais le Nigéria le fait régulièrement. C’est dire que ce concept ne fait pas encore école dans le langage de nos gouvernants francophones.
Quels sont les inconvénients que présente la sécurité économique ?
Clovis Adanzounon : Il n’y a aucun inconvénient qui soit lié à la sécurité économique. Au contraire, la sécurité économique rassure les entreprises. Elle assure leur pérennité et conduit à leur performance. Toutefois, on dira à l’intérieur de l’entreprise qu’il y a plutôt des contraintes qui sont liées à une flopée de procédures qu’il faut respecter pour la sécurité économique de l’entreprise. Du coup, il y a au sein du personnel des tentatives de rejet de la part de ceux qui commettent des larcins, des détournements ou la corruption.
Qu’est-ce que la sécurité économique apporte aux nations africaines et celles occidentales ?
Clovis Adanzounon : Comme je l’ai dit tantôt, les nations africaines n’ont pas des entreprises qui ont connu un développement organisé jusqu’au niveau cartel. Du coup, il n’y a que de petites entreprises qui sont souvent victimes de détournement, de vols, et d’espionnage de la part des pays occidentaux et asiatiques. C’est d’ailleurs à cause de ce déficit de la notion de la sureté économique que notre école EIDS, s’échine à vulgariser le concept pour prévenir les entrepreneurs africains.
Quant aux pays occidentaux, ils se livrent de rudes combats dans ce domaine. Nous avons évoqués tout à l’heure le cas des USA à travers l’opérateur Huawei qui est soupçonné d’espionnage et de détournement des inventions américaines. Il y a aussi le Japon avec plusieurs autres pays occidentaux. Chaque pays préserve ses entreprises et les découvertes de ces dernières. Le cas de Huawei donne une vision de la férocité du combat économique dont la sécurité économique en constitue la toile de fond.
Bien mise en œuvre, qu’est-ce que la sécurité économique peut apporter aux entreprises et à l’économie béninoises ?
Clovis Adanzounon : Bien mise en œuvre, la sécurité apporte beaucoup. Convenons que, lorsque les acteurs économiques (chefs d’entreprises, ouvriers, Etats…) se portent mieux, c’est l’économie qui en bénéficie.
La sécurité économique consiste à sécuriser tout ce qui peut apporter un souffle à l’économie. Que ce soit en entreprise ou au niveau de l’Etat, la bonne mise en œuvre de la sécurité économique, conduira normalement à une meilleure performance de l’économie.
Ainsi, quel que soit le système de renseignement économique, la sécurité économique est dimensionnée tant dans les Etats que dans les entreprises en s’appuyant sur quelques pistes de question à savoir : comment tirer le bilan de l’échec d’une entreprise ou d’une stratégie ? Comment se positionner face à la concurrence ? Comment garder le contrôle du patrimoine technologique de l’entreprise et de l’Etat ? Comment mobiliser le personnel de l’entreprise/Etat sur la question de la compétitivité de l’information ?
Les bonne réponses à ces questions assureront aux acteurs de faire face efficacement aux problèmes qui se posent à eux et donc à l’économie.
Comment est-ce que les nations utilisent la sécurité économique pour déstabiliser leurs rivales ?
Clovis Adanzounon :Le but premier de la sécurité économique n’est pas de déstabiliser les rivaux mais, de se protéger contre les concurrents et rendre son économie ou son activité plus performante.
Ainsi, la sécurité économique permet d’identifier les menaces potentielles et de proposer des solutions pour les réduire ou les enrailler. C’est la phase défensive.
La phase offensive n’intervient que lorsque les Etats ou les entreprises se sentent dépassés par leurs concurrents dans un domaine technologique ou spécifique. Alors interviennent les mesures de représailles pour ralentir ou déstabiliser ces derniers. Une fois encore, dans le cas des Etats-Unis et de la Chine, les mesures protectionnistes du président américain en augmentant les taxes douanières à travers le monde, en disent long.
Le Bénin a-t-il déjà été victime de la sécurité économique ? A-t-il déjà eu à gagner grâce à la sécurité économique ?
Clovis Adanzounon : Le Bénin a été victime de la sécurité économique de la part du Nigéria pendant la période de gouvernance de l’ex président Obasanjo par rapport aux activités des véhicules importés, qui à l’époque étaient interdits au Nigéria. Mais suite au constat de la floraison de ce commerce au Bénin en direction du Nigéria, le gouvernement nigérian a alors levé l’interdiction en autorisant l’importation de ces véhicules. Du coup cette activité a chuté jusqu’à ce jour au Bénin. Les opérateurs économiques béninois se plaignent sans savoir les causes réelles de la chute de l’activité.
Dans la même période, le même président avait interdit les produits manufacturés importés en provenance du Bénin à savoir le riz, les huiles végétales, etc. Ce faisant, il a décrété la fermeture de ses frontières et seuls les produits fabriqués au Bénin sont autorisés pour être exportés vers le Nigéria. Mais le Bénin qui n’avait pas un tissu industriel développé, ne pouvait rien exporter à l’exception de quelques produits agricoles (huile de palme, ananas, orange.)
En termes de gains, le gouvernement béninois en refusant l’importation des ciments de Dangote, protège sans nul doute les entreprises cimentières du Bénin qui paient leurs impôts au Bénin. C’est ce qui est à la base des griefs de l’opérateur économique nigérian Dangote contre notre pays.
Que peut coûter la mise en place d’un tel outil en matière d’investissement et de fonctionnement au Bénin ?
Clovis Adanzounon : Le coût de déploiement d’une politique de sécurité économique est fonction des objectifs de l’unité qui la sollicite, ainsi que de sa taille. Il comprend d’une part les honoraires des experts et d’autre part les implications financières de la mise en œuvre du plan qui aura été établi.
Il faut savoir aussi qu’il n’y a pas de coûts standards pour déployer la sécurité économique. Les experts dans le domaine, reçoivent des termes de référence sur la base desquels, ils discutent et travaillent.
On comprend dès lors que les coûts vont varier selon que l’on veut travailler pour l’Etat, une PME (Petite et moyenne entreprise), une TPE (Très petite entreprise), etc.
Et comme nous le disons, la sécurité n’a pas de prix. Si une entreprise veut être pérenne et être à l’abri des menaces de tous genres, elle doit penser à la mise en œuvre d’une cellule de sécurité économique.
Quelles sont les goulots d’étranglement que rencontrent les acteurs qui mettent en place cet outil au Bénin ?
Clovis Adanzounon :Il y a plusieurs goulots d’étranglement. Il s’agit de : l’incrédulité des potentiels bénéficiaires liée surtout à un défaut de connaissance sur le sujet ; la réticence des acteurs, appelés à mettre en œuvre les mesures préconisées…
Il faut souligner que dans nos Etats et surtout au Bénin, pour nombre d’entrepreneurs, avoir l’argent est gage de réussite. Mieux ils pensent que la mise en place des procédures de gestion suffise pour assurer la performance de leur entreprise. Notre combat est de bannir cette idée de leur tête et leur faire savoir que la performance et la réussite d’une entreprise ne dépendent pas seulement du financement. Car, qui dit entreprise dit stratégie, ressources humaines, culture d’entreprise, patrimoine, etc. Il y a également la nécessité de cultiver ce qu’on appelle la sécurité économique. Il y a enfin la volonté politique d’aider et de booster les entreprises privées à des fins d’une hégémonie régionale ou sous régionale.
Pour ce qui concerne la réticence des acteurs dans la mise en œuvre des mesures de sécurité économique, cela se comprend. Ils sont parfois des bénéficiaires directs ou indirects de la situation d’insécurité économique de leur unité économique. Ils œuvrent donc à faire échouer la politique afin de renouer avec les pratiques qui sont les leurs.
Donc, globalement, on retient que les gens trouvent que la sécurité économique coûte chère et c’est quand ils subissent les revers (attaques, pertes d’avantages concurrentiels, perte d’image, faillite, etc.) qu’ils se rendent compte qu’ils se sont trompés.
Quels conseils pouvez-vous donner pour un Bénin économiquement sécurisé ?
Clovis Adanzounon :En termes de conseils, pour assoir une sécurité économique, il faut que le personnel ou les fonctionnaires d’un Etat développent les aptitudes ci-après : la culture d’entreprise ou le patriotisme ; l’éthique et la bonne conduite en se débarrassant des vecteurs aliénants tels que le vol, les détournements ; la surveillance de son environnement pour se prémunir de l’espionnage des concurrents ou des Etats ; la protection du savoir-faire ou des inventions et des informations économiquement stratégiques.
Ce n’est qu’à ce prix que l’homme qui est au centre de la sécurité économique pourra conduire de façon pérenne et performante son entreprise ou sa nation.
Interview réalisée par Nafiou OGOUCHOLA