Le Conseil Régional de l’Epargne Publique et des Marchés Financiers (CREPMF), organe de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) est devenue l’Autorité de régulation des Marchés Financiers (AMF). Dans cette interview, Ripert Bossoukpè, Secrétaire de l’institution aborde ici, les actions menées par le CREPMF depuis sa création et les perspectives pour 2020. Suite et fin de l’interview du jeudi 20 février 2020
- Vous prenez le poste de Secrétaire Général, il y a juste 6 mois à un moment où on observe une baisse généralisée des cours sur la BRVM. Tout d’abord, quelle est l’ampleur de cette baisse ainsi que les raisons ?
Depuis 2016, le marché secondaire (BRVM) a amorcé une tendance baissière. L’indice BRVM Composite a reculé entre le 1er janvier 2015 à l’ouverture du marché et le 31 décembre 2019 à sa clôture, en passant de 303,93 points à 159,24 points, soit une baisse cumulée d’environ 48 %.
Dans le détail, le BRVM Composite a successivement baissé de 3,87 % en 2016, de 16,81 % en 2017, de 29,14 % en 2018 puis de 7,54 % en 2019. Ces baisses s’apprécient aussi au niveau du volume et des valeurs de transactions qui sont aujourd’hui en deçà des niveaux observés en 2015.
Ce qui est rassurant, c’est que la situation financière des entreprises cotées à la BRVM est globalement bonne sinon en amélioration pour la plupart. De plus, la situation macroéconomique des Etats de l’Union s’améliore et enregistre une hausse d’environ 6,6 % du taux de croissance depuis 2012. La baisse observée devrait se corriger très prochainement si nous améliorons la communication financière sur le marché. C’est donc le bon moment pour les investisseurs de long terme de se positionner sur les titres plutôt que de céder à la panique.
Quant aux causes probables de cette baisse, plusieurs facteurs ont été observés :
- une forte demande de certains titres jusqu’en 2016 pour lesquels les sociétés ont offert des dividendes généreux alors que les titres disponibles dans le public en termes de flottant étaient inférieurs au seuil réglementaire de 20 %. Cette situation qui a induit un renchérissement anormal des cours boursiers s’est par la suite corrigée avec la mise en application des décisions sur le fractionnement des titres. En effet, l’application du fractionnement qui a permis d’accroître la liquidité du marché a induit une multiplication par 15 du volume de titres du compartiment actions en circulation, passant de 80 millions en moyenne en 2015 à plus de 1,1 milliard de titres en 2019 ;
- la baisse des cours des matières premières qui a affecté les performances de certaines entreprises du secteur agricole (hévéa, huile de palme) ainsi que celles des deux premières capitalisations du marché (47 % du marché) accompagnée d’un désengagement de certains investisseurs entre 2012 et 2018 ;
- les pratiques anormales d’investissement de certaines SGI (globalisation des ordres, etc.). Certains acteurs ont été lourdement sanctionnés (sanctions disciplinaires, administratives et pécuniaires) au cours de l’année 2019 et les investigations se poursuivent auprès d’autres intervenants ;
- la faible participation des nouveaux intervenants commerciaux agréés aux activités du marché entre 2016 et 2019 ;
- l’irrationalité des investisseurs dans un contexte marqué par des phénomènes sociaux provoqués par certaines sociétés d’agrobusiness ou la résurgence de systèmes de Ponzi dans quelques pays de l’Union ayant mis à mal leur épargne.
Par ailleurs, la baisse d’affluence au titre des introductions à la cote et l’absence de réaction de la plupart des sociétés cotées face à la chute de leur capitalisation notamment en termes de communication financière n’encouragent pas certains investisseurs, parfois attirés par des gains de court terme.
L’adoption en 2020 du projet de Loi Uniforme sur les infractions boursières et assimilées permettra également de renforcer non seulement la transparence et la prévention des abus de marché mais aussi son attractivité.
- Certains investisseurs indiquent que le fractionnement des titres observé depuis les trois (03) dernières années serait à l’origine de la volatilité des titres et donc par ricochet du marché qui est dans une tendance baissière continue depuis 4 ans. Partagez-vous cet avis ?
C’est un avis parmi tant d’autres. Le fractionnement s’il est bien compris n’est qu’une opération technique puisque la valeur des actifs détenus par les investisseurs reste inchangée à la fin de l’opération. Comme je vous l’ai tantôt dit, il y a plusieurs raisons probables à cette tendance baissière. Celle que vous évoquez n’en est qu’une et non la seule.
En outre, la baisse de l’indice Composite de la BRVM a probablement été accentuée par la tendance générale observée au niveau des bourses africaines marquée par des replis respectifs de 14,60 % et 12,60 % observés sur les places du Nigéria et du Ghana en 2019. De manière générale, les bourses africaines ont été en difficulté. En 2018, l’indice MCSI Emerging Markets plongeait également de 18 % dans un contexte peu favorable.
Au total, cette tendance baissière générale des marchés relevée au niveau des pays émergents a été un peu plus accentuée sur notre marché en raison de l’absence d’une communication financière appropriée et des pratiques anormales de certains acteurs.
- Les sociétés cotées tardent à publier leurs résultats périodiques et ce manque d’information est souvent pénalisant pour le marché. Avez-vous des moyens de coercition pour les y contraindre ?
L’information financière est un élément clé de la transparence du marché et constitue un élément primordial dans la formation des prix sur une place financière.
Les taux de publication des informations financières dans les délais réglementaires, qui se sont situés à environ 40 % en 2015, se sont améliorés au fil des années. Ils se sont affichés au titre de l’année 2019, à 98 % dont 48 % dans les délais règlementaires pour ce qui est des informations annuelles. Pour les informations semestrielles, le taux de publication est de 77 % dont 69 % dans les délais règlementaires.
Les informations trimestrielles, quant à elles, affichent les taux de publication les plus bas avec respectivement 58 % et 38 % au 1er et 3e trimestre 2019.
Pour rappel, l’année 2019 a été marquée par la sensibilisation des sociétés cotées. A cet effet, les émetteurs n’étant pas conformes aux textes en vigueur sur le marché financier régional ont été interpellés au titre du respect des exigences de publication d’informations financières, de l’exigence minimum de flottant fixé à 20 % et de l’obligation de notation financière.
Il existe une panoplie d’outils de sanctions telles que les sanctions pécuniaires adoptées par le Conseil des Ministres de l’Union en mars 2016 et les mesures administratives. Plutôt que de sanctionner immédiatement, nous avons opté pour la pédagogie et nous avons obtenus de premiers résultats positifs.
Nous pouvons désormais passer dès 2020 à la phase de sanctions puisque la plupart des émetteurs ont commencé à se conformer à leurs obligations.
- Quel bilan pouvez-vous faire de la mise en œuvre de ces directives par les sociétés cotées ? Avez-Vous des difficultés à les faire appliquer ?
Au titre des actions de sensibilisation, des rencontres individuelles entre les services du Secrétariat Général du CREPMF et les émetteurs concernés se sont tenues afin de s’enquérir de leurs difficultés et recueillir leurs attentes. Ces discussions ont souligné la nécessité d’améliorer la lisibilité du cadre réglementaire de la communication financière des émetteurs de titres cotés.
A cet effet, un projet de texte plus adapté devrait être adopté au cours de l’année 2020. Certaines mesures peuvent être précédées, entre autres, de la publication au Bulletin Officiel de la Cote de la BRVM dans les jours suivant les délais règlementaires de la liste des contrevenants et l’application effective du dispositif de sanctions.
- La réglementation offre-t-elle suffisamment de garanties aux investisseurs et petits porteurs en particulier ?
Le cadre réglementaire du marché financier régional a été jugé en juin 2009 conforme aux standards internationaux édictés par l’Organisation Internationale des Commissions de Valeurs (OICV). A ce jour, cette évaluation n’est pas remise en cause. Toutefois, après 22 ans d’activité, nous avons décidé de le moderniser avec la revue générale des textes de base du marché pour aller plus loin.
A court terme, la mise en place d’un fonds de protection des épargnants et d’un dispositif de Loi Uniforme sur les infractions boursières viendra renforcer la transparence et la confiance dans ce marché.
- Comment appréhendez-vous le processus d’intégration des marchés financiers ouest-africains au moment où l’on observe certaines réformes majeures au niveau du FCFA par le passage à l’ECO dès juillet 2020 ? Plus spécifiquement, quels pourront être les impacts sur le marché financier régional de l’UMOA ?
Comme vous le savez, l’intégration régionale ne peut pas produire des résultats appréciables en présence d’un secteur financier faiblement intégré et d’un commerce régional inopérant. C’est tout le sens des décisions et de l’engagement des plus Hautes Autorités de l’UMOA et de la CEDEAO, des Ministres des Finances et des Autorités de régulation et de supervision.
Avec l’avènement de la monnaie unique, le processus d’intégration des marchés devrait se voir faciliter et connaîtra une accélération.
Les impacts ne seront que bénéfiques pour les Etats membres de la CEDEAO à travers l’élargissement de la base des investisseurs, la multiplication des transactions, la réduction des coûts de transactions avec un système de paiement efficace, le renforcement du tissu productif de la région, l’élimination des risques de change et l’existence d’une Union mieux représentée sur l’échiquier financier international.
Dans un contexte de développement des activités transfrontalières, l’intégration des marchés financiers ouest africains permettra une meilleure réponse aux défis liés à la collecte de fonds au niveau, à la cotation multiple et constituera une plateforme assez robuste pour résister à d’éventuels chocs économiques pour une zone monétaire plus stable, forte de 300 millions de consommateurs. L’avantage de l’UMOA est qu’elle dispose déjà d’une infrastructure qui marche depuis 22 ans.
A court terme, les questions liées à l’harmonisation de la fiscalité des valeurs mobilières, au coût de sortie des opérations sur le marché financier en raison des taux d’inflation observé chez certains de nos voisins et à la protection des investisseurs devront être adressés de façon prioritaire.
Dans cet ordre d’idées, des réflexions et débats sur la feuille de route des régulateurs, les questions de l’opérationnalisation et du cadre juridique idoine sont initiées et se poursuivent avec toutes les parties prenantes à travers l’association des régulateurs des marchés de capitaux des pays d’Afrique de l’Ouest (AMFAO). Rappelons que la Conférence inaugurale sur l’intégration des marchés des financiers de la CEDEAO a été coorganisée par le CREPMF et s’est tenue du 28 au 30 octobre 2019 à Abidjan, sous le Très Haut-Patronage de son Excellence Monsieur Daniel Kablan DUNCAN.
Interview réalisée
par Sika Finance