Le développement de l’Afrique passe par une croissance stable et durable de ses Etats. Pour ce faire, il est important de concentrer des efforts sur des points stratégiques. C’est ce que semble penser le consultant en management des entreprises et organisations et spécialiste des Objectifs de développement durable (ODD), Harry Viderot. A travers une tribune libre parvenue à notre rédaction l’expert béninois renseigne sur la thérapie qu’il préconise pour que l’Afrique atteigne le développement qui fait rêver ses fils et filles depuis 60 ans.
Tribune libre de Harry Viderot
60 ans après les indépendances de nombreux pays africains , on parle encore de la dépendance de l’Afrique vis-à-vis de l’Occident ; en pensant généralement aux domaines politique (satellisation et mise sous tutelle des Etats par les anciennes puissances coloniales) , économique (diktat des occidentaux sur les plans d’ajustement structurel), financier (poids de l’endettement et de l’aide au sous-développement), technologique (Afrique comme réservoir de matières premières), commercial (échange inégal et inéquitable) , alimentaire et sanitaire. Face à tout ceci et avec les effets de cette crise de COVID19 il devient indispensable de repenser le fonctionnement du monde dans nos choix et stratégies et pour l’Afrique, de penser à une réelle indépendance et ceci passe par : l’indépendance culturel pour une identité et une personnalité, l’indépendance éducatif pour et la construction d’une société solide sans oublier l’indépendance économique qui doit être avant tout monétaire en passant par la restructuration de notre économie ‘informelle’
La dimension culturelle du développement est indispensable pour une indépendance de l’Afrique
Nos systèmes de valeur, bien différents de ceux de l’Occident, vivent en conflit et peut-être en sursis avec des valeurs importées. L’Afrique vit aujourd’hui dans une certaine ambivalence où les institutions traditionnelles et les idées qu’elles sous-tendent, cohabitent péniblement avec de nouvelles formes d’action et de pensée importées d’Occident. L’Afrique traverse une crise d’identification culturelle et idéologique vu l’occidentalisation des sociétés africaines. Le quasi-monopole qu’exerce l’Occident sur les moyens d’information lui a permis de projeter jusque dans nos sociétés elles-mêmes. Le mode de vie dans nos cités est copié de l’Occident ; des images stéréotypées de nos peuples qui envahissent la vie quotidienne de nos populations les plus reculées. « La culture reste l’instrument clef dont dispose tout peuple pour la définition de sa propre identité. » Non, qu’il s’agisse de l’Afrique ou d’une autre région ou communauté du monde, il n’existe pas de développement sans culture. C’est en fonction de ses valeurs culturelles : histoire, institutions et société, que le développement de chaque communauté est perçu et ordonné. Il est illusoire de penser que vu la mondialisation, qu’il existe quelque part dans le monde une culture dont les valeurs, les lois, les structures sociales et les produits soient imposables à tous les peuples, parce que considérés comme universels. Toute culture revêt un caractère relatif ; ses produits et ses manifestations restent fonction du temps et de l’espace dans lesquels ils sont élaborés. Entendons-nous bien : pour l’Afrique, il ne s’agit pas ici de se replier sur elle-même et de s’accrocher à des coutumes et à des institutions immuables. Par définition et dans leur essence même, les institutions sont vouées au changement, à une certaine évolution. Mais, ceci étant, chaque société est responsable de la planification et de l’évolution de son propre processus de développement. Observée de l’extérieur, une société peut paraître figée, rigide ou conservatrice à l’instar de la culture chinoise, japonaise, brésilienne ou indienne…; alors que de l’intérieur, elle est tout à fait compréhensible et cohérente. « Si nous voulons procéder à une sérieuse redistribution du pouvoir économique dans le monde, il est difficile d’éviter la révision de certaines idées et valeurs occidentales. Il faudra accorder une place importante aux dimensions culturelles du développement ».
Une éducation au service du développement des africains
L’éducation et la formation demeurent parmi le fondement d’outils pour l’autonomisation humaine pour une prospérité inclusive et un développement progressif. Cependant, le programme éducatif ne se fait pas par hasard, Il doit être planifié et bien élaboré. Les tendances démographiques actuelles en Afrique ont connu une expansion des systèmes éducatifs sans nécessairement avoir l’amélioration simultanée de la productivité et de l’efficacité. (Dr Harry VIDEROT prix de la recherche pour l’éducation UA 2019). Les systèmes éducatifs africains demeurent, dans leur fondement comme dans leur fonctionnement, assez éloignés des besoins réels des gens, insouciants des potentialités offertes par le milieu d’existence. L’enfant africain d’aujourd’hui, comme l’adulte qu’il sera demain, est un produit de mélange, assez mal réussi, de la culture traditionnelle africaine prodiguée par la famille et de la culture occidentale dite moderne assurée par l’école. « L’éducation est l’arme la plus puissante pour changer le monde » (Mandela, 1996) ; on ne peut donc pas former des nations libres avec des hommes aliénés et asservis. L’une et l’autre s’ignorent. L’école exige de l’enfant l’abandon pur et simple de toutes ces valeurs d’identité, considérées comme des obstacles au changement et au progrès, sans toutefois réussir à bâtir sur le vide ainsi créé, mais qu’une culture importée, véhiculée par une langue étrangère. On peut aisément constater cette situation, unique au monde, constituant une vraie exception africaine, car nulle part ailleurs on ne commence l’enseignement destiné aux jeunes enfants dans une langue non familière. En Afrique, surtout « francophone », on en est encore, à soixante ans après les indépendances, à se demander si les langues nationales méritent une place dans notre propre système scolaire. Et d’un autre côté, constatons que l’option de l’Afrique, pour la démocratisation de l’enseignement dans tous les ordres d’enseignement (enseignement primaire, enseignement secondaire et enseignement supérieur) a provoqué des changements, dont la massification des effectifs dans tous les ordres d’enseignement en général et en particulier dans l’enseignement supérieur. Malgré cette massification des effectifs dans les universités africaines, l’Afrique subsaharienne a, le taux d’accès à l’enseignement supérieur le plus bas au monde. Il est donc nécessaire d’innover pour permettre d’assurer l’accès de tous à une éducation de qualité, sur un pied d’égalité, et promouvoir les possibilités d’apprentissage tout au long de la vie.
L’indépendance économique qui doit être avant tout monétaire en passant par la restructuration de notre économie ‘informelle’’
L’économie informelle occupe une place centrale dans toutes les sociétés africaines. Peu de gouvernements s’y attaquent, parce qu’elle se présente comme un amortisseur social. La coexistence d’un immense secteur informel aux côtés d’un secteur formel plus réduit aboutit à une forme de schizophrénie économique, selon Mahamadou Lamine Sagna. « On observe une coupure, voire un morcellement du corps social. Dans l’économie formelle, on trouve une Afrique moderne, aisée, sophistiquée et mondialisée, qui vit à l’heure du XXIe siècle. En revanche, dans le secteur informel, se renforce « Une croissance appauvrissante ». Les taux de croissance élevés sont souvent portés par des secteurs qui ne créent pas d’emplois ou très peu, parce que sans aucune valeur de transformation. Plus grave, dans les pays de la zone CFA, la plus-value est créée avec des entreprises, filiales de sociétés mères basées à l’extérieur qui peuvent transférer sans limite tous leurs bénéfices comme le prévoyait « le pacte colonial ». La vulnérabilité, qui touche aussi bien les travailleurs que les chefs d’entreprise qui y opèrent, est visible à travers notamment : l’absence de protection juridique ou sociale, un revenu faible (inférieur à 2 dollars/jour) et irrégulier du fait d’une activité incertaine liée à un marché local limité, des emplois généralement instables. A la lisière du politique et de l’économie, il reste la question de la gestion de la dette énorme africaine dont l’essentiel est aujourd’hui constitué par des créances chinoises. Le président ivoirien, Alassane Ouattara a annoncé 21 décembre 2019 la fin prochaine du franc CFA en Afrique de l’Ouest qui sera remplacé par l’éco. Un nouvel accord monétaire en ce sens a été signé à Abidjan, et l’éco sera rattaché à l’euro. Avec l’abandon du franc CFA, le créancier chinois et ses débiteurs africains concernés devront donc se débrouiller seuls au moment où les impayés et les restructurations de dettes vont se multiplier. Cependant, la fin du franc CFA « C’est une étape dans la bonne direction parce que cela clarifie le débat. Les Français ne sont plus dans les organes de gouvernance. Nous choisissons une parité fixe arrimée sur l’euro, et demandons spécifiquement à la France de garantir cette parité », selon Abdourahmane Sarr. Si c’est à ce prix, ce sera l’idéal, mais il sera donc aussi tant de modifier les statuts de la BCEAO dans le sens d’une plus grande indépendance ou autonomie de celle-ci vis-à-vis des gouvernements africains qui font peur de leur manière de gérer les Etats par l’absence d’une démocratie constructive. L’objectif serait de protéger ce bien public remarquable que représente une monnaie unique et stable. Pour donc être politiquement acceptable, cette réforme devra s’accompagner d’une collégialité renforcée des décisions monétaires et d’une plus grande transparence de la gestion financière de la banque. D’autre part, il serait certainement souhaitable d’amender le Pacte de convergence afin de permettre une véritable coordination des politiques monétaires et budgétaires.
Dr Harry VIDEROT, Consultant en Management des entreprises et organisations, Spécialiste des ODD