La Banque mondiale a publié le mardi 15 février 2022, son Rapport sur le développement dans le monde 2022. Le Rapport qui examine la précarité financière engendrée par la crise de la COVID-19 et l’absence de transparence des données sur la dette, propose des axes d’actions prioritaires au service d’une reprise équitable.
Félicienne HOUESSOU
La crise mondiale de santé publique provoquée par la COVID-19 s’est rapidement transformée en la plus grande crise économique mondiale depuis plus d’un siècle, avec pour conséquences un net recul de la croissance, l’augmentation des taux de pauvreté et l’élargissement des inégalités. Les mesures de soutien engagées par les pouvoirs publics ont révélé plusieurs problèmes liés à la dette privée qui doivent être abordés au plus tôt. Il s’agit notamment du manque de transparence des rapports sur les prêts non productifs, le traitement tardif des actifs en difficulté et le resserrement ou la perte de l’accès au crédit pour les ménages et les entreprises les plus vulnérables. Selon le nouveau rapport, des enquêtes réalisées auprès d’entreprises de pays en développement pendant la pandémie ont révélé que 46 % des participants s’attendaient à accumuler des arriérés. Les défauts de paiement pourraient augmenter considérablement et la dette privée se muer rapidement en une dette publique à mesure que les gouvernements déploient des mesures de soutien. En dépit de la forte contraction des revenus et du chiffre d’affaires des entreprises du fait de la crise, la proportion des prêts non productifs reste essentiellement stable et inférieure aux attentes. Mais cela peut être imputé aux politiques de tolérance et à l’assouplissement des normes comptables qui dissimulent un large éventail de risques cachés qui ne deviendront visibles qu’une fois les politiques de soutien retirées. De plus, les poussées inflationnistes et les hausses de taux d’intérêt posent de nouveaux défis pour la reprise post-Covid-19. Selon le président du Groupe de la Banque mondiale, David Malpass, le risque est que la précarité financière favorise la propagation de la crise économique inflationniste et la hausse des taux d’intérêt. « Le durcissement des conditions de financement à l’échelle mondiale et l’atonie des marchés intérieurs de la dette dans de nombreux pays en développement découragent l’investissement privé et freinent la reprise », a-t-il déclaré. Des secteurs financiers en bonne santé libèrent des ressources au profit d’investissements urgents. C’est pour cela que les experts de la Banque mondiale, à l’issue de leur étude sur le développement dans le monde 2022, ont émis de nombreuses recommandations à l’endroit des dirigeants.
Hiérarchiser les ressources en fonction de leur situation
Selon le Rapport sur le développement dans le monde 2022, les risques peuvent être masqués parce que les bilans des ménages, des entreprises, des banques et des administrations publiques sont étroitement liés. Actuellement, des niveaux élevés de prêts non productifs et de dettes cachées entravent l’accès au crédit et réduisent considérablement les possibilités de financement pour les ménages à revenus modestes et les petites entreprises. Ainsi, l’institution de Bretton Woods, dans ses conclusions, attire l’attention sur plusieurs domaines d’action prioritaires, dont la détection précoce des risques financiers. « Il est essentiel d’œuvrer à l’élargissement de l’accès au crédit et de veiller à ce que les capitaux soient affectés de manière à stimuler la croissance. Cela permettrait à des entreprises de plus petite taille, mais plus dynamiques, et à des secteurs présentant un potentiel de croissance plus important, d’investir et de créer des emplois », souligne le président du Groupe de la Banque mondiale, David Malpass. Étant donné que peu de pays ont la marge de manœuvre budgétaire et les capacités qu’il faut pour s’attaquer en même temps à tous les défis qu’ils rencontrent, le rapport démontre comment ils peuvent hiérarchiser les ressources en fonction de leur situation. « C’est le moment de privilégier des actions rapides et sur mesure destinées à soutenir l’assainissement du système financier afin qu’il puisse fournir le surcroit de crédits nécessaires pour stimuler la reprise. À défaut, ce sont les plus vulnérables qui seront les plus durement touchés », estime Carmen Reinhart, vice-présidente sénior et économiste en chef du Groupe de la Banque mondiale.
Le rapport invite aussi à une gestion anticipatoire des prêts en difficulté. Car, beaucoup d’entreprises et de ménages ploient sous une dette insoutenable à cause des baisses de revenus et de recettes. Enfin, il est essentiel d’assurer l’accès de tous aux services financiers pour soutenir le relèvement d’une pandémie historique. Dans les pays à revenu faible ou intermédiaire, 50 % des ménages sont incapables de satisfaire leurs besoins de consommation de base pendant plus de trois mois. L’entreprise moyenne signale qu’elle dispose uniquement de réserves de trésorerie pour couvrir deux mois de dépenses. Les ménages et les petites entreprises sont les plus menacés de perdre l’accès au crédit, alors que ce dernier renforce la résilience des ménages à faible niveau de revenu et permet aux petites entreprises d’éviter une liquidation, de rester en activité et, au bout du compte, de prospérer et contribuer à la reprise. Les outils et produits financiers numériques peuvent aider grandement à évaluer le risque emprunteur et offrir un recours en cas de défaut. Ce faisant, ils améliorent la gestion du risque de crédit, favorisent l’octroi de prêts et promeuvent de nouvelles opportunités économiques.
Revoir le code des impôts
Dans les pays à faible revenu, le secteur bancaire formel est essentiellement au service des ménages les plus riches et les plus résilients ainsi que des entreprises les plus grandes et les mieux établies, alors que les ménages à faible revenu et les petites entreprises les plus durement touchés par la pandémie n’ont souvent pas accès au crédit bancaire. Le rapport soutient que des politiques budgétaires, monétaires et financières bien conçues peuvent atténuer les risques et générer des résultats positifs en appui à la reprise économique. Ainsi, « Les gouvernements peuvent, par exemple, revoir le code des impôts afin d’encourager les investissements verts, tandis que les banques centrales et les autorités de contrôle peuvent exiger un niveau plus élevé de provisionnement des risques pour les prêts accordés aux secteurs engagés dans des activités non durables », précise le Rapport. En effet, la Banque estime que les gouvernements et les banques centrales disposent d’une série d’instruments politiques pour soutenir la transformation vers une économie plus verte par une tarification appropriée des émissions de carbone et un soutien à la finance verte et aux technologies durables. Les réformes rendues nécessaires par cette crise unique en son genre donnent aux gouvernements l’occasion d’adapter leurs économies à la réalité et au risque largement négligé du changement climatique.