La Banque mondiale a rendu public le rapport Africa’s de 2022. C’était mardi 04 octobre 2022 à WASHINGTON, au siège de l’institution. Selon le rapport, les gouvernements africains doivent rétablir d’urgence la stabilité macroéconomique et protéger les pauvres au ralentissement de la croissance et à la forte inflation.
Falco Vignon
Dans le dernier rapport semestriel de la Banque mondiale dénommé Africa’s Pulse, l’analyse des perspectives économiques régionales à court terme, prévoit une décélération de la croissance en Afrique subsaharienne, de 4,1 % en 2021 à 3,3 % en 2022, soit une révision à la baisse de 0,3 point de pourcentage par rapport aux anticipations du mois d’avril. Le rapport renseigne que la croissance économique de l’Afrique est ralentie par les vents contraires de la conjoncture mondiale tandis que les pays restent aux prises avec une inflation croissante qui freine l’avancée de la lutte contre la pauvreté. Le risque de stagflation se fait sentir alors que le haut niveau des taux d’intérêt et de la dette force les gouvernements africains à faire des choix difficiles pour réussir à protéger l’emploi, le pouvoir d’achat et les acquis du développement. A travers cette 26eme édition du rapport Africa’s Pulse de la Banque mondiale, il faut comprendre que la croissance économique en Afrique subsaharienne (ASS) devrait décélérer, passant de 4,1 % en 2021 à 3,3 % en 2022, en raison du ralentissement de la croissance mondiale, de la hausse de l’inflation exacerbée par la guerre en Ukraine, de conditions météorologiques défavorables, du resserrement des conditions financières mondiales et du risque croissant de surendettement. Ces tendances compromettent la réduction de la pauvreté, déjà mise à mal par l’impact de la pandémie de COVID-19.
Analyse des perspectives de la croissance en Afrique subsaharienne
Selon les perspectives, parmi les trois plus grandes économies africaines, la croissance est modérée au Nigeria et en Afrique du Sud, tandis que l’économie angolaise bénéficie de la hausse des prix du pétrole, d’une augmentation de la production pétrolière et des bonnes performances du secteur non pétrolier. La croissance en Afrique subsaharienne devrait rebondir à 3,5 % en 2023 et à 3,9 % en 2024. À l’exclusion de l’Afrique du Sud et de l’Angola, la sous-région de l’Afrique orientale et australe devrait connaître une croissance de 4,5 % l’année prochaine et de 5,0 % en 2024. À l’exclusion du Nigeria, la sous-région de l’Afrique occidentale et centrale devrait connaître une croissance de 5,0 % en 2023 (contre 4,2 %), et la croissance se raffermira en 2024 (5,6 %). Les économies dans les pays de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA ou WAEMU en anglais) devraient se redresser en 2023 après le ralentissement de 2022 (4,9 %), pour atteindre 6,4 %, et se raffermir encore en 2024 pour atteindre 7,0 %. La guerre en Ukraine a accéléré une inflation déjà orientée à la hausse dans la région. La hausse de l’inflation pèse sur l’activité économique en ASS en déprimant à la fois les investissements des entreprises et la consommation des ménages. En juillet 2022, 29 des 33 pays d’Afrique subsaharienne pour lesquels des informations sont disponibles présentaient des taux d’inflation supérieurs à 5,0 %, tandis que 17 pays affichaient une inflation à deux chiffres. L’inflation fonctionne comme une taxe régressive, touchant de manière disproportionnée les pauvres. En ASS, la forte répercussion des prix des denrées alimentaires et des carburants sur les prix à la consommation a fait grimper l’inflation à des niveaux record dans de nombreux pays, dépassant le plafond des objectifs des banques centrales dans la plupart des pays qui en ont un. La grande majorité de la population d’Afrique subsaharienne est touchée par les prix élevés des denrées alimentaires, car elle consacre en moyenne plus de 40 % de ses dépenses totales à l’alimentation. Ces défis économiques surviennent à un moment où la capacité des pays à soutenir la croissance et à protéger les ménages pauvres est fortement limitée.
La gestion des finances publiques et les défis à relever
L’analyse des données montre que la marge de manœuvre budgétaire est presque épuisée dans certains pays d’Afrique subsaharienne, principalement en raison du niveau élevé de la dette, de la hausse des coûts d’emprunt et de l’épuisement de l’épargne publique. Le déficit budgétaire de la région s’est creusé pendant la pandémie pour atteindre 5,6 % du PIB en 2020 (contre 3,0 % du PIB en 2019). En 2022, le déficit s’élève à 4,8 % du PIB en raison des efforts de consolidation. La dette devrait rester élevée à 59,5 % du PIB en 2022 en Afrique subsaharienne. Huit des 38 pays éligibles à l’IDA dans la région sont en situation de surendettement, et 14 risquent fortement de les rejoindre. Les gouvernements africains ont consacré 16,5 % de leurs recettes au service de la dette extérieure en 2021, contre moins de 5 % en 2010. Pour préserver les acquis du développement dans la région, les pays doivent en priorité protéger les ménages les plus pauvres tout en maintenant la stabilité macroéconomique. Pour cela, il faut mettre en œuvre des politiques monétaires, budgétaires et d’endettement cohérentes afin de faire baisser l’inflation et de dégager une marge de manœuvre budgétaire. Si les pressions inflationnistes ne sont pas maîtrisées, cela pourrait entraîner des troubles sociaux, intensifier les conflits et, en fin de compte, provoquer une instabilité politique
L’insécurité alimentaire
La hausse des prix des denrées alimentaires entraîne des difficultés aux conséquences graves dans l’une des régions du monde où l’insécurité alimentaire est la plus forte. La faim a fortement augmenté en Afrique subsaharienne ces dernières années, en raison des pertes de revenus et des perturbations de la chaîne d’approvisionnement causées par la pandémie, des conflits régionaux et mondiaux, des conditions climatiques extrêmes et de l’invasion de criquets. Plus d’une personne sur cinq en Afrique est confrontée à la faim – une proportion bien plus grande que dans les autres régions du monde. L’insécurité alimentaire aiguë (phase 3 de la CIP ou plus) est également en hausse : on comptait 140 millions de personnes en situation d’insécurité alimentaire aiguë en 2022, contre 120 millions en 2021.Au moins 55 millions de personnes dans la Corne de l’Afrique sont en situation d’insécurité alimentaire grave, l’Éthiopie, le Kenya et la Somalie connaissant la pire sécheresse depuis 40 ans. Si les décideurs africains ne prennent pas de mesures urgentes, la sécurité alimentaire continuera de se dégrader, avec des conséquences dévastatrices pour les populations les plus pauvres et les plus vulnérables d’Afrique. En période de crise et de ressources limitées, il est impératif que les gouvernements trouvent des moyens de soutenir les ménages les plus pauvres tout en réorientant leurs dépenses agricoles et alimentaires vers les biens publics qui produisent les meilleurs résultats en matière de développement. La réorientation des dépenses agricoles et des subventions mal ciblées vers les biens publics, peut apporter des avantages considérables. Un investissement de 1 dollar US dans la recherche agricole génère en moyenne un flux de bénéfices futurs équivalant à 10 dollars US (en termes de valeur actuelle nette). Les bénéfices des investissements dans l’irrigation sont également élevés – avec des rendements en ASS allant de 17% pour les grands projets à 43% pour les petits projets. L’innovation scientifique et une meilleure gestion des ressources en eau limitées seront essentielles pour accroître la productivité face aux impacts climatiques. L’approfondissement du commerce régional (sous régional et continental) et l’intégration au sein de l’Afrique peuvent également renforcer la résilience des systèmes alimentaires face aux chocs internationaux. Actuellement, le commerce interrégional des produits agricoles, en pourcentage du commerce agricole total de l’Afrique, reste inférieur à 20 %, soit l’un des plus faibles au monde. Les communautés économiques régionales et la toute nouvelle Zone de libre-échange continentale africaine (connu sous son acronyme anglais AfCFTA) offrent la possibilité d’abaisser les barrières commerciales agricoles et de créer des marchés régionaux susceptibles de réduire la volatilité des prix intérieurs et de stimuler les investissements dans la production, la distribution et le transport des denrées alimentaires.
Les projections de croissance pour les principales économies d’Afrique orientale et australe
En Afrique du Sud, l’économie a ralenti à 0,2 % en glissement annuel au 2022 contre 2,7 % au trimestre précédent. L’économie devrait croître de 1,9 % cette année, soit une révision à la baisse de 0,2 point de pourcentage par rapport aux premières projections d’avril. L’économie angolaise est l’un des principaux bénéficiaires de termes d’échange favorables qui se traduisent par une croissance réelle de 3,1 % en 2022, contre 0,8 % l’année précédente. Le Kenya devrait connaître une croissance de 5,0 % en 2023 (contre 5,5 % auparavant) et remonter à 5,3 % en 2024. L’Éthiopie aura du mal à retrouver ses performances d’avant la pandémie en raison du conflit prolongé dans la région du nord qui fait fuir les investissements. Le PIB réel devrait croître régulièrement, de 5,3 % en 2023 (contre 3,5 % auparavant) à 6,1 % en 2024. Le Botswana et la Zambie connaîtront une croissance de 4,0 % en 2023 (contre 3,2 et 3,3 % respectivement). Alors que la croissance devrait se ralentir au Botswana (3,7 %) en 2024, elle devrait s’accélérer pour atteindre 4,2 % en Zambie.
Les projections de croissance pour les principales économies d’Afrique occidentale et centrale La croissance du PIB réel au Nigéria devrait ralentir, passant de 3,6 % en 2021 à 3,3 % en 2022, la croissance économique du pays continuant de pâtir de la contre-performance du secteur pétrolier. Le Tchad et la République du Congo devraient sortir de récessions de deux et sept ans en 2022 et devraient connaître une croissance de 3,1 et 1,9 %, respectivement, grâce à la combinaison de la flambée des prix du pétrole, de la stabilité de la production pétrolière et des bonnes performances du secteur non pétrolier. Au Niger, la croissance devrait bondir de 3,6 points de pourcentage pour atteindre 5,0 %, grâce à l’expansion du secteur agricole après une grave sécheresse en 2021. Au Ghana, la croissance devrait ralentir en 2022 pour atteindre 3,5 %, ce qui est bien inférieur à la performance moyenne du pays avant la pandémie (7 %), en raison de la hausse de la dette publique, de l’inflation élevée et de la dépréciation de la monnaie. La croissance en Côte d’Ivoire devrait rebondir de 5,7 % en 2022 à 6,8 %, avant de retomber à 6,6 %. Après avoir ralenti à 4,8 % en 2022, la croissance au Sénégal devrait bondir à 8,0 % en 2023 et se raffermir à 10,5 % en 2024. Le Gabon devrait poursuivre sa tendance à la hausse, mais à un rythme lent. La croissance devrait atteindre 3,0 % en 2023 (contre 2,7 % auparavant). Au Cameroun, l’économie maintiendra sa croissance régulière en 2023 (4,3 %) et 2024 (4,6 %), soutenue par l’investissement et la consommation privée. Le rapport de la Banque mondiale présente les défis à relever pour un véritable développement des économies africaines.