Dimanche 28 janvier, le Niger, le Mali et le Burkina Faso ont annoncé vouloir quitter la Cedeao avec « effet immédiat ». Interrogé par RFI, l’ancien Premier ministre béninois, Lionel Zinsou, passe en revue les implications socio-économiques de cette décision.
RFI : L’annonce du Mali, du Niger et du Burkina Faso est-elle une surprise ?
Lionel Zinsou : Pas du tout. Ces trois pays étaient suspendus de la Cédéao (après les coups d’État qui ont porté à la tête des juntes militaires), avec des sanctions en sus. Même si elles ont été levées pour le Mali, elles sont particulièrement dures pour le Niger. On voit qu’il y a une solidarité entre ces trois pays. Qu’ils quittent la Cédéao en même temps n’est donc pas une surprise, c’est la conséquence d’une vraie crise avec l’institution.
La CEDEAO a-t-elle été trop loin selon vous ?
Je ne dirais pas ça. C’est dans la logique de la Cédéao de vouloir garder une situation normalisée en matière de fonctionnement démocratique, plutôt que de légitimer des régimes issus de coup d’États. Suspendre les pays concernés est dans la logique des institutions. Après, il s’établit des rapports de force et ce que l’on voit en est une manifestation. Chacun est dans sa propre légitimité : la Cédéao veut faire respecter ses principes de droit, et les pays du Sahel tentent d’échapper à des sanctions qui ont des conséquences économiques et sociales importantes.
Que va-t-il se passer au niveau des institutions ?
Théoriquement, il se passe un an entre la notification et le départ effectif de la Cédéao. Mais il a été dit que les annonces prenaient effet sans délai. Je pense plutôt qu’il va y avoir une négociation. Une médiation officielle du président du Togo est d’ailleurs en cours. Peut-être que nous sommes dans une phase de transition plutôt que de rupture immédiate.
Quelles sont les conséquences de ces départs de la Cédéao ?
Quand le Mali, le Burkina Faso et le Niger auront quitté la Cédéao, des droits de douanes vont s’appliquer pour faire entrer leurs marchandises dans les pays membres de communauté économique. Cela risque donc d’être un petit peu plus difficile pour les entreprises de ces pays qui travaillent déjà dans toute la région, mais aussi pour attirer de nouveaux investisseurs.
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Les pays sahéliens sont des fournisseurs importants des pays côtiers, notamment en denrées animales. Les choses vont être aussi plus compliquées pour les services de transports et les ports, puisque les pays de l’Alliance des États du Sahel (formée par le Mali, le Burkina Faso et le Niger en septembre 2023) sont enclavés. Or, ils ne peuvent pas évacuer leurs productions vers le Nord en traversant le désert algérien. En outre, il est impossible que ces pays s’isolent, car d’un bout à l’autre de la Cedeao, les échanges de population sont trop importants. Les éleveurs qui font de la transhumance vont continuer de passer à travers les frontières sont poreuses.
On peut donc imaginer qu’il y aura des accords bilatéraux avec le Maroc ou la Mauritanie pour faire sortir la production des pays sahéliens ?
Ce n’est pas la fin de l’histoire. On ne peut pas couper les pays les uns des autres, car ils sont beaucoup plus intégrés qu’on ne le croit. Les statistiques douanières ne prennent pas en compte le commerce informel, qui est très important. Par ailleurs, il faudra bien évacuer l’uranium et le pétrole du Niger par le Bénin, ou encore envoyer de l’électricité de la Côte d’Ivoire jusqu’au Mali. Même d’un simple point de vue culturel et humain, les pays sont trop liés pour qu’ils s’isolent. Il faudra traduire ça institutionnellement : soit par des accords bilatéraux, soit par un compromis avec la Cédéao, soit par un régime particulier.
Pensez-vous que l’étape d’après pour les États de l’Alliance des pays du Sahel consiste à sortir de l’Uemoa et à créer leur monnaie commune ?
C’est en tout cas beaucoup plus compliqué que de sortir d’un marché commun. L’Uemoa permet d’échanger avec le reste du monde en utilisant les ressources de devises de tous les pays membres. Elle permet aussi de financer les déficits budgétaires de ses membres. Sortir de là, ça veut dire trouver des moyens monétaires pour palier à ces deux problèmes. Ce n’est pas évident dans le cas des pays de l’Alliance des États du Sahel, qui ont deux déficits importants (6,8% pour le Niger en 2022, 8,5% pour le Burkina Faso, N.D.L.R) et une situation sécuritaire difficile. Quant à la création d’une monnaie commune, c’est un processus très complexe. En Afrique de l’Est, la communauté d’Afrique de l’Est (EAC) travaille depuis des années à créer une monnaie commune entre le shilling kenyan, tanzanien, ougandais et le franc burundais et rwandais… Ce sont des démarches très difficiles. C’est pour cela que ce n’est pas forcément l’étape suivante.
SOURCE : Radio France Internationale